Montréal,  22 janvier 2000  /  No 54
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle poursuit des études supérieures en science politique. 
 
 
BILLET
 
LE MONDE SONT MALADES
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          J'ai eu une enfance malheureuse. Imaginez: quand j'étais à la petite école et qu'une épidémie de grippe nous frappait de plein fouet, je n'avais droit qu'à quelques verres de jus de raisin, une aspirine aux quatre heures et je devais rester sagement au lit. 
 
          L'enfer.  
 
          Mes parents refusaient de me faire parader à l'urgence de l'hôpital, refusaient qu'on m'administre des antibiotiques, refusaient qu'on me plogue à une machine pour m'aider à respirer. La seule concession qu'ils étaient prêts à accepter, c'était de me fournir les kleenex et la soupe Poulet & Nouilles à volonté.  
  
          Est-ce que j'ai survécu? Oui, évidemment. Mais dans quel état, je vous le demande? Aujourd'hui je lis dans les journaux que les gens se ruent à l'urgence aux premiers reniflements. Je n'entends plus parler de grippe, mais d'influenza – ce qui, vous en conviendrez, a l'air beaucoup plus dangereux. M'aurait-on caché la gravité d'une maladie qui m'affligeait deux à trois fois par année? M'aurait-on menti effrontément?  
  
La vérité frappe 
 
          La grippe est une « maladie » pour laquelle, disait-on dans le temps, il n'y avait pas grand-chose à faire. On me disait que si je me soignais bien, ma grippe durerait une semaine et que si je ne me soignais pas, elle durerait sept jours. Je n'avais qu'à fermer ma grande g... et attendre que ça passe. Point.  
  
          Aujourd'hui, le discours a bien changé. Ça prend des vaccins pour essayer d'éviter la catastrophe. Les vaccins ne marchent pas à moitié, alors on s'empresse de corder les gens au nez plein dans des couloirs tout aussi bouchés. Le pays est en crise; on se bat contre l'influenza! Les bombes en Tchétchénie, c'est de la pe-ti-te bière à côté.  
  
          On consulte les experts, on produit des émissions spéciales, on envoie des reporters sonder les lieux et les coeurs. Mesdames et messieurs, l'heure est grave. Madame la ministre revient à la course du Mexique, et c'est à peine coiffée qu'elle annonce au bon peuple que le gouvernement « fera quelque chose » 
  
          J'espère qu'il n'y a pas d'extra-terrestres qui nous observent... on doit avoir l'air pas mal nonos. 
  
  
     « Chaque année on reçoit grosso modo la même quantité de neige et on gèle pendant à peu près le même nombre de jours. » 
 
 
          Tout le monde embarque, et pas seulement pour quelques heures. Ça fait au moins trois semaines que ça dure, cette folie furieuse. Je lisais, dans La Presse du 9 janvier, les commentaires pleins d'allure que donnait Michel Couillard, microbiologiste au Laboratoire de santé publique du Québec. Enfin! pensais-je, quelqu'un qui n'a pas encore complètement perdu le nord!  
  
          Et remarquez d'où arrive le mec: du Labo de santé publique du Québec, pas du Fraser Institute. On ne peut quand même pas accuser M. Couillard de vouloir semer le doute dans l'esprit du bon monde, de vouloir saboter le système de santé québécois – il est PAYÉ par le système. Raison de plus pour le citer à tour de bras.  
  
          Alors, que disait-il, cet expert en micriobiologie? Que la souche du virus de la grippe n'est pas plus virulente cette année que l'année passée. Que peut-être en parle-t-on plus, mais qu'il n'y a aucune raison de lancer la province dans un branle-bas de combat complètement désorganisé: l'«ennemi» est une vieille connaissance, notre corps le connaît bien. Que ça ne donne rien d'administrer des antibiotiques: la grippe est un VIRUS, pas une BACTÉRIE – oh my, maman avait raison!  
  
          Peut-être le virus s'est-il manifesté plus tôt cette année que les années précédentes. Comme le font parfois le froid de canard et les tempêtes de neige. Des fois on sacre plus souvent en décembre, d'autres fois c'est en mars qu'on perd notre calme. Mais chaque année on reçoit grosso modo la même quantité de neige et on gèle pendant à peu près le même nombre de jours.  
  
          On le sait, mais on ne peut s'empêcher de gueuler. On est faits comme ça. On peut se plaindre de la maudite grippe; on sait qu'on n'y échappera pas. C'est de la frustration, tout ça. Et c'est peut-être pour ça qu'on est si charmants.  
  
          (...)  
  
          Avant de me perdre dans le romantisme sans bornes – le Dristan à effet prolongé cogne fort, on dirait –, laissez-moi terminer en vous répétant ce que M. Couillard prescrit aux grippés: prendre son mal en patience, garder le lit et... éviter les lieux publics.  
  
          Si l'urgence de l'hôpital n'est pas un lieu public (et rempli de microbes, avec ça), je me demande bien ce que c'est.  
 
 
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