Montréal,  4 mars 2000  /  No 57
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle poursuit des études supérieures en science politique. 
 
BILLET
 
PLUS ÇA RECOMMENCE,
MOINS ÇA CHANGE
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Youpie! Ça sent le printemps! La terre dégèle, le soleil se pointe le bout du museau, les journées rallongent (quand est-ce qu'on change l'heure?), on recommence à se balader en souliers, et on reprend tranquillement des couleurs. Bref, ça commence à aller un peu mieux.
 
Rien de nouveau dans le renouveau 
 
          Je rêvassais l'autre jour en me promenant, mains dans les poches et tête dans nuages, sur ce temps béni qu'est le mois de mars. C'est le temps des recommencements, que je me disais, l'époque du dépoussiérage, et des grands changements. On recommence à siroter sur les terrasses, on fait le ménage de ses bibliothèques, et on switche les vêtements de garde-robe.  
  
          Branle-bas de combat, v'là le printemps.  
  
          Dans les champs, les jeunes pousses débarquent le vieux foin détrempé. On enlève les restants de gazon jaune sur nos terrains pour laisser de la place au vert. Les tulipes chassent la slush. Les vêtements de lin remplacent les lainages. Chaque année c'est la même chose; et on le sait. Rien de nouveau dans le renouveau, en somme. Chaque année, le printemps mène à l'été, qui mène à l'automne, qui nous ramène à l'hiver.  
  
          Bref, on tourne en rond.  
  
          C'est comme les générations, finalement. J'observais de (très) loin le fameux Sommet du Québec et de la jeunesse (remarquez l'ordre, svp: « du Québec et... »). Les manifs, gaz lacrymogène et autres dreadlocks mis à part, il m'est resté une impression de déjà vu, de business as usual. En un mot comme en mille, ce sommet sentait le vieux pain rassis.  
  
          Il y a une chose que je ne comprends décidément pas. Pourquoi est-ce que ça prend un Sommet pour que les jeunes soient considérés « importants »? Pourquoi ils gueulent que personne ne prend le temps d'écouter ce qu'ils ont [peut-être] à dire? Pourquoi faut-il que tout le monde embarque dans cette logique usée de la recherche du consensus-à-tout-prix? Pourquoi faut-il que les jeunes se sentent obligés de fonctionner selon un modèle établi par des gens qui n'ont réussi qu'à mettre la province – et le pays – dans le trou?  
  
          Que je m'explique. Ça fait maintenant plusieurs décennies que le même modèle est en place. Voici comment il fonctionne. Les citoyens donnent la moitié de leurs sous et tout plein de pouvoirs au gouvernement. Ensuite, les citoyens s'organisent en groupes d'intérêts (syndicats, chambres de commerce, groupes de femmes, etc.) et gaspillent des énergies considérables à faire du lobbying auprès du même gouvernement et à tenter de ramasser la plus grande part du gâteau.  
  
          Autrement dit, on commence par tout donner, pouvoirs et argent, au gouvernement, et ensuite on braille afin de récupérer le plus de pouvoirs et d'argent possible. Comme si on avait oublié que l'argent venait de nos poches, et que c'est nous qui avions donné tous ces pouvoirs au gouvernement.  
  
  
     « On donne la moitié de nos sous au gouvernement, et on passe la moitié de notre vie à essayer de reprendre nos sous d'entre les mains du gouvernement. » 
 
 
          Pas à dire, on a la mémoire courte. On donne la moitié de nos sous au gouvernement, et on passe la moitié de notre vie à essayer de reprendre nos sous d'entre les mains du gouvernement. Tsk, tsk.  
  
          Pas surprenant qu'on ne produise pas grand-chose. Où trouverait-on le temps?  
  
Comment prendre sa place 

          Pour revenir au Sommet, on ne peut passer sous silence la prestation de Jacques Grand'Maison, qui, entouré de belles grandes jeunesses, s'est lâché lousse. Son intervention a tellement accroché que le ministre Legault s'est empressé de reprendre les mots heureux à son compte. Le message crevait les yeux de simplicité: si les jeunes ne font pas entendre leur « voix collective », s'ils ne s'impliquent pas, s'ils ne s'organisent pas, ils vont se « faire fourrer » 
  
          Pas très élégant, dans la bouche d'un ministre de l'Éducation. Mais passons.  
  
          Autrement dit, il faut que les jeunes apprennent à maîtriser le système mis en place avant de commencer à penser à ce qu'ils veulent faire de leur vie. Il faut qu'ils apprennent d'abord à se faire entendre par les vieux s'ils veulent que ces mêmes vieux (pardon, partenaires seniors) daignent leur accorder ce qu'ils demandent.  
  
          Le plus triste, c'est que les jeunes embarquent. Aucune imagination. À grands coups de contre-résolutions, il jouent le jeu des grands, s'organisent en sous-comités, et participent à la discussion menant au consensus. Heille, ils sont invités à la table de négociations, il faut bien qu'ils montrent qu'ils ont appris les bonnes manières.  
  
          Quand même.  
  
          À part les tonnerres d'applaudissements provoqués par les grossièretés de M. Grand'Maison, il y a une chose qu'il faut bien remarquer. Le message lancé aux jeunes, c'est ceci: « si vous n'embarquez pas dans la logique acceptée et bien en place [par nous], personne ne vous fera de cadeau » 
  
          Ce à quoi je répondrais, si on me demandait mon avis: personne n'a besoin de tout ce cirque pour arriver à quelque chose. Pour faire changement, faisons du vrai nouveau avec du vieux, pour une fois. Commençons par refuser de donner la moitié de nos sous au gouvernement – il me semble que 10 ou 15%, ça serait suffisant –, et débrouillons-nous tout seuls comme des grands...  
  
          Quoi? Désobéissance civile? Meuh non, juste un simple refus de participer à un exercice qui, en plus d'engloutir toutes nos énergies, ne nous mènera jamais plus loin que dans les dettes, le braillage et les chicanes de clôtures.  
  
           Les jeunes veulent prendre leur place dans la société. Ils veulent être considérés comme des citoyens à part entière. Bravo, j'appuie. Le meilleur moyen d'être indépendant, c'est de commencer par ne rien demander à personne. 
 
 
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