Montréal, 1er avril 2000  /  No 59
 
 
<< page précédente 
 
 
 
 
Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle poursuit des études supérieures en science politique. 
 
BILLET
 
LIBERTÉ D'ASSOCIATION...
OU PRESQUE
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Comment réagiriez-vous si on vous obligeait à faire partie d'une religion? N'importe laquelle, vous avez le choix. Mais vous devez absolument faire partie intégrante d'une Église, assister aux cérémonies, payer votre dîme, et prier tous les jours pour le salut de votre âme. 
 
          Quoi? Vous ne voulez pas être religieux? Bien sûr, pas de problème! Je comprends parfaitement. Vous êtes libres d'appartenir à la religion de votre choix, et même libre de ne croire en aucune des versions disponibles si ça vous chante. C'est ce qu'on appelle la liberté de religion, liberté protégée par notre bien-aimée Charte des droits.  
  
          Liberté; c'est à vous et vous en faites ce que voulez. Oui, bien sûr je comprends. Mais attention: si vous voulez vivre et travailler au Québec, vous devrez obligatoirement faire partie de l'une des cinq religions « officielles » reconnues par le gouvernement.  
  
          Wôôô. Minute, moumoutte! C'est un Poisson d'avril, ou quoi?  
  
Libre de prier... pas de travailler 
  
          Je sais, ça n'a pas de bon sens de forcer les gens à appartenir à une religion contre leur gré. C'est exactement ce que l'avocat Julius Grey a dit à la Cour suprême du Canada au début de la semaine dernière. Grey représente André Gareau et sa compagnie, Advance Cutting and Coring Ltd; et ils contestent la constitutionnalité des clauses d'atelier fermé qui règnent sur l'industrie de la construction au Québec.  
  
          Gareau et son ami Jocelyn Dumais ont fondé il y a sept ans l'Association pour le droit au travail (ADAT). L'association demande qu'on reconnaisse aux travailleurs de la construction la liberté de travailler légalement sans devoir nécessairement appartenir à un syndicat, au Québec comme n'importe où ailleurs au Canada.  
  
          Comment? Les travailleurs ne sont pas libres?  
  
          Depuis maintenant près de trente ans, la réponse est non. D'abord et avant tout, les travailleurs de la construction doivent posséder une carte de compétence dans leur domaine. Jusque-là, je suis d'accord avec vous: tout baigne. On aime bien savoir que les travailleurs qui construisent ou rénovent notre maison sont compétents dans leur domaine. 
  
  
     « Si le syndicalisme est aussi bon qu'on le prétend, pourquoi employer la force pour garder les moutons dans la bergerie? » 
 
 
          Le problème, c'est que l'une des conditions à remplir pour obtenir une telle carte de compétence, c'est l'appartenance à l'un des cinq syndicats approuvés par le gouvernement du Québec. C'est le gouvernement, et non le marché, qui décide combien de travailleurs seront nécessaires pour combler la demande. Le gouvernement décide du nombre de cartes à distribuer; et les syndicats décident à qui iront ces cartes (il faut également être résident du Québec, ce qui a pour conséquence d'écarter les indésirables anglos de notre carré de sable national... mais il s'agit là d'une tout autre histoire). 
  
          Tout ça pour dire que les p'tits Québécois ont besoin d'être gentils avec leur syndicat, et de filer doux en général, s'ils veulent travailler légalement sur un chantier québécois. Ceux qui choisissent de ne faire partie d'aucun syndicat sont complètement bannis des chantiers de construction de la province. Aussi simple que ça. Humpf, et il y en a qui se demandent comment ça se fait que le marché noir grouille de monde... 
 
          Enfin, je ne sais pas ce que vous en pensez. Moi, je trouve qu'en fait de liberté, les syndicats de la construction, au Québec, auraient besoin d'un cours de rattrapage. 
  
Syndicalisme organisé 
 
          Et le pire, c'est que la plupart des gens, enfin ceux qui gravitent dans les hautes sphères, pensent sincèrement qu'il s'agit là d'une mesure pleine de bons sens. Le juge LeBel est d'avis que Julius Grey exagère avec ses analogies religieuses. « Vous simplifiez beaucoup » qu'il lui a dit. Le système qui s'applique à la construction vise à favoriser la représentation syndicale, la négociation des salaires, des conditions de travail et du placement professionnel par les centrales syndicales. Il vise à améliorer les conditions qui permettront aux libertés d'être mieux protégées. 
  
          Euh... Autrement dit, forcer les travailleurs à appartenir à un syndicat, like it or not, ça sert à protéger leurs libertés? C'est moi qui n'est pas bien, ou est-ce le juge qui vient de dire une connerie? L'avocat du gouvernement québécois, lui, est d'avis que l'association forcée n'est pas excessive dans la poursuite de ce noble « but commun » qu'est la négociation collective et la préservation de la démocratie syndicale. Et il insiste pour dire que la loi ne force pas nécessairement les travailleurs à devenir membres d'un syndicat X. Tout ce qu'on leur demande, c'est de choisir un syndicat parmi la liste des cinq.  
  
          C'est comme si le vendeur de balayeuse vous annonçait que vous n'êtes pas obligé de lui acheter ses cossins; vous avez le choix entre le payer par carte de crédit ou par chèque. 
  
          Je n'ai rien contre les syndicats, soit dit en passant. Il y a des gens qui préfèrent être syndiqués, d'autres pas; et il y en a qui saupoudrent de la cannelle sur leur cappucino. Chacun ses goûts. Ce qui m'horripile, par contre, c'est lorsqu'on se met en tête de forcer les gens à faire quelque chose contre leur gré. Si le syndicalisme est aussi bon qu'on le prétend, pourquoi employer la force pour garder les moutons dans la bergerie? 
  
          Sauf, bien entendu, lorsque l'usage de la coercition cache quelque chose d'autre. Comme par exemple le fait que les centrales syndicales comptent pour beaucoup dans la balance référendaire. Et comme le mentionnait un éditorial du National Post, il ne faudrait pas oublier que la moitié des ministres péquistes actuels ont une expérience syndicale inscrite à leur CV. 
  
          Peut-être que le jour où la séparation du Québec prendra moins de place dans l'agenda, on pourra penser à se poser des questions drôlement plus importantes, du genre: est-ce que les travailleurs de la construction ont le droit, au Québec, de refuser de s'associer à un syndicat si tel est leur souhait? 
  
          Stay tuned. 
 
 
Articles précédents de Brigitte Pellerin
 
 
<< retour au sommaire
PRÉSENT NUMÉRO