Montréal, 10 juin 2000  /  No 63
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle poursuit des études supérieures en science politique. 
 
BILLET
 
LA MORT, CE SYMBOLE
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Il y a de ces occasions où nous perdons collectivement les pédales. Récemment, deux événements marquants sont venus bousculer notre train-train quotidien et ont contribué à nous faire déraper solide: le retour au bercail du soldat inconnu et la mort de Maurice Richard. 
  
          D'accord, les deux hommes sont des symboles. Mais des symboles de quoi, je vous le demande? 
 
          D'identité et/ou de fierté nationale, sans aucun doute. Les deux événements ont donné lieu à un immense chagrin de masse dans le cas du Rocket, et à une sévère prise de conscience dans le cas du soldat-sans-nom. Coup sur coup, nous avons été forcés de réaliser que 1) les vedettes ne sont pas éternelles, et que 2) la mort est hautement symbolique et contribue à alimenter les mythes collectifs.  
  
          Les mythes existent parce que les gens en parlent, y croient dur comme fer, et y associent des rituels particuliers. Les chansons douces sont romantiques; éteignons les lumières et allumons des lampions. Quelqu'un meurt; invariablement, on pleure, on est tout chose en-dedans, et ne se peut plus de louanger les qualités et vertus du disparu.  
  
          Il faut croire que les mythes et rituels remplissent une fonction importante à toute vie en société. Autrement, on n'en entendrait pratiquement jamais parler. Sûrement qu'ils sont nécessaires, donc. Mais sont-ils utilisés à bon escient?  
   
          Ma petite idée, c'est que les symboles perdent de leur signification à mesure que les gens en usent, jusqu'à ne plus rien vouloir dire du tout.  
  
Sacrifié anonyme 
  
          Le soldat inconnu. Il n'y a que quelques semaines à peine, tout le monde et son voisin se contrefichait de savoir où il était, notre bonhomme. Du jour au lendemain, c'est la folie furieuse sur la colline parlementaire. Un nouveau devoir national à accomplir: aller parader devant le cercueil, tête baissée, mains jointes devant, la mine grave. Allons rendre hommage à celui qui représente tous ceux qui se sont battus pour que nous puissions vivre en paix dans un monde libre.  
  
          J'y suis allée. J'ai fait ma petite part; quelques minutes dans la file d'attente et 22 secondes devant le cercueil, cherchant quelque chose sur quoi méditer, un peu impressionnée quand même par tous ces uniformes d'apparat immobiles autour du cercueil. 
  
          Comme à peu près tout le monde, j'ai beaucoup de respect et de sympathie pour ceux (et, occasionnellement, celles) qui ont choisi d'aller se battre dans des contrées lointaines où règnent la terreur et les fourmis rouges afin de faire triompher la paix et les valeurs de liberté auxquelles je crois farouchement. Ce qui m'embête, dans le cas du soldat canadien, c'est que le symbole ne veut pratiquement rien dire aujourd'hui – à se demander à quoi aura servi sa mort.  
  
  
     « D'un côté, on veut à tout prix faire d'une vedette sportive un héros national et de l'autre, on traite un héros anonyme mort au combat comme une vedette de western-spaghetti – en applaudissant le cortège et en déposant des sous sur sa tombe. » 
 
 
          La plupart des citoyens canadiens ne sont même pas fichus de faire respecter leur liberté bien à eux dans leur vie de tous les jours. Ils acceptent de se faire dire par le CRTC quelle émission de radio écouter, ou de se laisser imposer des taux de taxation ahurissants, pour ne prendre que deux exemples particulièrement frappants parmi tant d'autres. 
  
          Mais ils vénèrent le sacrifice anonyme d'un parfait étranger, ah ça oui.  
  
          Alors que j'attendais mon tour, je n'avais qu'une envie. Je brûlais de demander aux gens qui m'entouraient à quoi ils ont pensé, lorsqu'ils ont fait leur signe de croix (j'ai même vu des madames verser quelques larmes) devant le cercueil flanqué d'une garde solennelle. 
  
          C'est justement ça, le problème. Plus personne ne sait vraiment ce que représente le soldat mort au front. Lors des cérémonies d'enterrement à Ottawa, les gens amassés le long du parcours applaudissaient au passage du cortège funèbre. Applaudir un cortège funèbre, il faut quand même le faire. Tu parles d'un rituel. 
  
Honneur déplacé 
 
          Le Rocket. Je n'insisterai pas trop sur les interminables reportages sur les réactions à sa mort. Vous savez comme moi que ça n'arrêtait pas. La couverture mur-à-mur pour un homme dont tout le monde s'est évertué à dire combien il était simple. Si ce n'est pas de l'ironie, je me demande bien ce que c'est.  
  
          Je veux bien croire qu'il était le meilleur joueur de hockey de tous les temps. Mais de là à en faire un héros de la Nation, à renommer un aéroport et un pont en son honneur, il me semble qu'il y a une marge. C'est la course à qui honorerait le mieux Maurice Richard. Même que les joueurs des Expos porteront un « 9 » sur leurs chandails. Pourquoi ne pas instituer une journée spéciale Maurice-Richard, une barre de chocolat, ou un camping sur le bord de la 20 tandis qu'on y est? 
  
          Le comble, c'est qu'on lui a offert des funérailles d'État, avec Bouchard et Chrétien côte à côte, unis dans la douleur. Tout ça pour une vedette sportive. Un joueur de hockey. Vous ne trouvez pas que ça fait un peu beaucoup d'honneur déplacé? 
  
          D'un côté, on veut à tout prix faire d'une vedette sportive un héros national et de l'autre, on traite un héros anonyme mort au combat comme une vedette de western-spaghetti – en applaudissant le cortège et en déposant des sous sur sa tombe. Dans les deux cas, on oublie la contribution essentielle des deux hommes: l'un a fourni des soirées mémorables et continue d'être présent aux souvenirs des amateurs sportifs de plus de quarante ans et l'autre représente l'espoir en un monde meilleur, délivré des tyrans et de la guerre. 
  
          Ce que trouve malgré tout réjouissant, dans cette histoire, c'est de réaliser à quel point les symboles nationaux ne veulent plus dire grand-chose. Qui sait, peut-être qu'un jour prochain, l'édifice collectiviste s'écroulera comme un vulgaire château de cartes. 
 
 
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