Montréal, 8 juillet 2000  /  No 64
 
 
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Yvan Petitclerc est historien et habite à Montréal.
 
OPINION
  
COMMENT LES ASIATIQUES
VONT TOUT CHANGER
 
par Yvan Petitclerc
  
  
          Lentement mais sûrement le profil du traditionnel clivage droite/gauche est appelé à changer. Et les changements relatifs à la composition démographique et ethnique du Canada n'y seront pas étrangers.
 
          Jadis la gauche aimait croire à cette soi-disant « alliance des exclus » reposant souvent sur une communauté d'idées aussi factice que ponctuelle. Les minorités ethniques étaient censées être par définition les alliées naturelles des femmes, des gais et lesbiennes, des environnementalistes, des marxistes, etc. Bref des combattants dévoués à la cause du renversement du « méchant pouvoir mâle hétérosexuel blanc capitaliste ». Or, aujourd'hui l'arrivée des immigrants des pays du tiers monde modifie considérablement cette donne. Et ce sous plusieurs aspects. 

Tout en nuances 

          D'abord en ce qui a trait à la question religieuse. Aujourd'hui nombre d'immigrants ont sur les questions sociales telles l'avortement ou l'homosexualité des positions bien plus conservatrices que les Canadiens ou Québécois d'origine. Des affirmations regroupant « les femmes et les minorités visibles » étaient déjà au départ des associations fort douteuses. Elle ne le sont que davantage aujourd'hui. Le multimillionnaire pakistanais musulman de Silicon Valley n'a rien à foutre de la lesbienne séparatiste et vice-versa.  
  
          Ailleurs, le méchant pouvoir de l'homme blanc capitaliste oppresseur des Juifs et autres minorités ne tient plus la route depuis déjà longtemps. En fait, la situation est à ce point ridicule que certaines personnes continuant d'associer tous ces groupes ensemble n'ont même pas la moindre idée qu'en certains cas ce supposé « homme blanc » capitaliste est en réalité juif, et que derrière nombre des plus importants succès technologique ou du monde des sciences se trouve en fait un Asiatique.  
  
          Résultat de tout cela: on parle encore de la droite et de la gauche en des termes et associations ayant des liens de plus en plus lointains d'avec la réalité d'aujourd'hui. On parlera par exemple du fameux « digital divide » entre les Noirs et des Blancs alors que les plus importants écarts entre ceux qui disposent de moyens d'accès à l'internet et ceux qui n'en ont pas se trouvent de fait entre les Asiatiques au sommet et les Latinos au bas de l'échelle.  
  
L'argument de l'argent  
  
          Toujours pas convaincu des immenses changements qu'apporteront dans les années à venir la composition raciale nord-américaine? Jetez un coup d'oeil au Forbes 400. Chaque année depuis 1982 le magazine Forbes dresse la liste des 400 citoyens américains les plus riches.  
  
          Au début du siècle il n'y avait pratiquement que des grandes fortunes WASP, les Mellon, Carnegie, Vanderbilt, Rockfeller, etc. Par la suite vinrent se greffer nombre de fortunes juives de fils d'immigrants et que l'on connaît encore aujourd'hui: Ralph Lauren (né Ralph Lifschitz), Lew Wassermann ou les frères Newhouse (Cosmopolitan, Vogue, etc). Parmi ces fils d'immigrants, pas un seul membre de ce que l'on appelle aujourd'hui les « minorités visibles » 
  

  
     « Jadis la gauche aimait croire à cette soi-disant "alliance des exclus" reposant souvent sur une communauté d'idées aussi factice que ponctuelle. Aujourd'hui l'arrivée des immigrants des pays du tiers monde modifie considérablement cette donne. » 
 
 
          Or, parmi non pas les fils d'immigrants mais bien les immigrants eux-mêmes quels noms a-t-on vu apparaître en force ces deux ou trois dernières années? Côtoyant Ophra Winfrey, des noms tels Sanjiv Sidhu, Amar Gopal et Rajendra Singh d'Inde, ainsi que d'autres tels Ronnie Chan, Jerry Yang, John Tu, David Sun, Jeong Kim ou Charles Wang. Sans doute est-ce pour cela qu'on pouvait lire dans l'édition de novembre 1999 de Commentary que « les asiatiques avaient suivi le pattern du succès académique et de l'entrepreneurship économique démontré par les Juifs américains avant eux », ou encore que le magazine Courrier International clamait à l'automne 1999 que les Asiatiques étaient désormais les nouveaux Juifs des universités. Quant à l'hebdomadaire Newsweek il nous apprenait au mois de février 2000 que de tous les groupes ethniques aux États-Unis, les Asiatiques et « Pacific Islanders » avaient la plus forte proportion de diplômés (College Graduates) ainsi que le revenu annuel moyen le plus élevé avec 45 249 $. 
  
Meanwhile, in England 
  
          On retrouve d'ailleurs une tendance similaire en Angleterre: « Le succès des nouveaux venus asiatiques surtout Indiens et Pakistanais.....rendra l'Angleterre de 1999 encore plus semblable à la Californie. La proportion d'asiatiques inscrits dans les collèges et universités britanniques sera de nouveau plus élevée que celle des Blancs d'origine et ils obtiendront en moyenne de meilleurs résultats. Le diplômé d'école d'administration typique tout comme le jeune économiste anglais sera bientôt asiatique » (Globe and Mail Report on Business, Janvier 1999). 
  
          Ce changement aura une grande importance. Au sens où par exemple il donnera lieu à une révision croissante des traditionnelles lignes de polarisation droite/gauche. Il y a quelques années le premier exemple de ces fissures s'était déjà produit entre les Noirs et la communauté juive, les premiers accusant ces derniers d'avoir tourné le dos aux causes civiles en faveur d'un engagement croissant envers Israël, les seconds d'avoir transformé cette même lutte pour les droits civiques en une espèce de Black Power Trip. 
  
          Le rôle des Asiatiques sera quelque peu différent. D'abord il ont commencé par bousculer cette idée de discrimination positive. En effet celle-ci s'appliquant d'abord principalement aux Noirs ou aux Latinos, les étudiants asiatiques se voyaient souvent défavorisés de ce point de vue. D'autre part, s'ils sont bien en voie de remplacer pour de bon les Juifs dans nombre de sphères d'activités à titre de minorité jouissant de la plus forte sur-représentation, ils ont déjà commencé à le faire en ce qui a trait aux exemples de discrimination notoires dans le domaine scolaire. Avant, on parlait des quotas discriminatoires à l'endroit des Juifs à l'Université McGill. Aujourd'hui l'on parle de la cause du Collège Lowell à San Francisco avec ses quotas imposés relativement au nombre d'étudiants chinois pouvant y être admis.  
  
Ô Canada... 
  
          Quel sera l'événement marquant des prochaines décennies au Canada? Le triomphe de l'Indépendance? Celui du Fédéralisme? Non. Ce sera le remplacement des Juifs par les Asiatiques et les membres d'autres minorités visibles comme nouvelle image de la notion de diversité. Et ce, certains membres de la communauté juive l'ont parfaitement compris et s'adonnent déjà à un exercice de révision de nos notions admises en regard de cette idée de promotion de la diversité dans la sphère sociale. David Horowitz en tête.  
  
          Dans son dernier ouvrage Hating Whitey, il note par exemple qu'un langage virulent de la part de certains leaders de la communauté noire américaine à l'endroit de la majorité blanche nourrit un dénigrement répandu de nombre d'Américains, incluant bien sûr ceux d'origine européenne mais également des Juifs et des Arabes qui, bien que d'ethnies minoritaires et souvent à la peau foncée, sont désignés comme Blancs tant pour « les besoins officiels que sous la pression de certains groupes de défense telle la National Association for the Advancement of Colored People. » 
  
          Mieux encore, et c'est là que la venue des Asiatiques change tout, il rappelle désormais certains faits que l'on préfère souvent ignorer: « Selon une certaine gauche militant en faveur des droits civils, c'est la force du racisme institutionnalisé qui fait de la notion de chance égale un mythe. Les tests d'admissions scolaires, fait-on alors valoir, sont culturellement biaisés de façon à apparaître neutres alors qu'en fait ils favorisent les membres du groupe racial dominant. Mais cette affirmation est facilement réfutée. Les immigrants asiatiques qui doivent composer avec et une culture et une langue étrangère, obtiennent constamment des résultats les mettant aux premiers rangs des tests standardisés, surpassant les Blancs et obtenant l'admission dans les meilleures institutions scolaires. »   
  
          Au début du siècle dernier les Juifs fondaient Hollywood. En ce nouveau siècle qui vient de s'amorcer Fortune Magazine note qu'il n'est pas exagéré de dire que sans les immigrants indiens, Silicon Valley ne serait pas ce qu'elle est aujourd'hui. Be Ready! La vague de fond ne fait que commencer. 
 
 
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