Montréal, 5 août 2000  /  No 65
 
 
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Yvan Petitclerc est historien et habite à Montréal.
 
OPINION
  
LE CONSERVATISME SOCIAL
DE STOCKWELL DAY
 
par Yvan Petitclerc
  
  
          À peine le premier tour de scrutin visant à choisir le nouveau chef de l'Alliance canadienne était-il terminé que déjà tous les commentateurs et journalistes se ruaient sur le conservatisme social de Stockwell Day. Si ces interrogations s'avèrent justifiées, il fut néanmoins très surprenant de voir cette même notion de conservatisme social soudainement réduite à une seule opposition à l'avortement ou à l'homosexualité. 
 
          De même fut-il tout aussi désespérant d'entendre certains commentateurs y aller d'interprétations des plus simplistes affirmant par exemple qu'il s'agissait d'un « backlash » contre les gays, les femmes, les minorités visibles, etc. Le même discours de gauche de cassette qu'il y a trente ans. Le même discours complètement inactualisé. Avec un discours comme celui-ci de la part de nombreux sympathisants, pas étonnant que le NPD soit devenu un parti aussi marginalisé. Au fait, ces mêmes personnes n'avaient sans doute pas remarqué les turbans indiens, voire les visages asiatiques lors du congrès de l'Alliance...  
  
Vision réductrice 
  
          Cette réduction du conservatisme social à la seule question de l'orientation sexuelle ou de l'avortement doit cesser. D'abord parce qu'elle est réductrice et qu'elle empêche de poser les vraies questions sur un certain nombre d'autres sujets, mais surtout parce qu'elle relève d'une incompréhension du véritable sens devant être donné au concept de séparation de l'Église et de l'État.  
  
          Lorsqu'il affirme être opposé aux relations homosexuelles ou à l'avortement, Day le fait en accord avec ses convictions religieuses. Ici il y a certes lieu de l'interroger sur la nature de cette opposition et sur ses intentions étant donné qu'il aspire à diriger le pays. En d'autres cas cependant, les opposants au conservatisme social franchissent souvent une frontière fort ténue. L'exemple du Dr Laura chez nos voisins du sud en est une belle illustration. Animatrice radio jouissant d'une très forte popularité, elle est particulièrement loquace en regard de son opposition à l'homosexualité depuis sa conversion au judaïsme orthodoxe il y a deux ans. À tel point que les militants gays ont depuis entrepris de faire bloquer sa future émission de télé auprès d'un grand réseau cet automne. 
  
  
     « Exprimer un conviction religieuse équivaut-il aujourd'hui systématiquement à se voir associer à l'idée de l'expression d'une opinion haineuse? Il faudrait prendre grand soin de ne pas faire en sorte d'en arriver là. » 
 
 
          La question qui se pose ici est la suivante: Exprimer une conviction religieuse équivaut-il aujourd'hui systématiquement à se voir associer à l'expression d'une opinion haineuse? Il faudrait prendre grand soin de ne pas en arriver là. Le Dr Laura ne représente pas l'État. Elle exprime une opinion sur les ondes d'une station privée. À partir de cela deux conclusions s'imposent. D'une part, elle a le droit d'exprimer cette opinion et d'autre part, la station a le droit de décider de la garder ou non au nom de son apport économique ou autre. Il est temps pour le monde gay et lesbien d'apprendre à composer avec les propos qui ne font pas nécessairement son affaire. 
  
          Mais en fait, dans toute cette histoire, l'observation la plus digne de mention se trouve ailleurs. Juive pratiquante, le Dr Laura fait partie d'une communauté parfois désespérément hostile à toute critique, même lorsque justifiée. Or, aujourd'hui, ce n'est pas la moindre des ironies de voir des militants gays s'inspirer de certains militants juifs et de servir au Dr Laura cette même médecine. D'un certain point de vue ce n'est pas surprenant. Mais surtout quand la moindre petite observation factuelle ou controversée au sujet des Juifs est jugée antisémite, pas surprenant qu'une affirmation dans la bouche du Dr Laura telle « erreur biologique » pour décrire les gays soit automatiquement étiquetée comme farouchement homophobe. À l'échelle de groupe, c'est le vieux dicton qui s'applique: On récolte ce qu'on sème. Aujourd'hui des auteurs juifs se scandalisent du procès public fait au Dr Laura. Je dis que c'est avec raison. Si seulement ils étaient aussi nombreux à se scandaliser du « overkill » outrancier de certaines organisations juives contre n'importe qui et n'importe quoi... 
  
Un mode de vie? 
  
          Le 27 juin dernier la journaliste Wendy Mesley de la CBC revenait par ailleurs de nouveau sur le sujet de l'homosexualité lors d'une entrevue avec Stockwell Day. L'un des moments les plus intéressant de l'entretien fut lorsque, en cherchant à questionner Day sur sa controversée affirmation selon laquelle l'homosexualité serait un choix, elle corrobora implicitement l'affirmation de ce dernier en lui rappelant que certaines personnes le trouvaient fort critique du « gay lifestyle ». Or un « mode de vie » quel qu'il soit relève toujours d'un choix. Encore chanceuse pour elle que Day n'eut pas la vivacité d'esprit de relancer le débat sur la question de l'individu gay versus le mode de vie gay. On aurait sans doute eut droit à un échange savoureux. 
  
          Mais surtout, encore chanceux pour ceux qui crient à l'hystérie devant cette affirmation de Day que ce dernier ne soit pas plus féru de la petite histoire gay au vingtième siècle. Car il faut bien le dire, particulièrement en ce qui a trait à certains discours provenant des hommes gays versus les lesbiennes, ce ne sont certes pas les contradictions et tabous qui manquent. 
  
          Prenez seulement cette ineffable Anne Heche, compagne de la non moins célèbre Ellen Degeneres. À maintes reprises elle a affirmé que, pendant les 27 premières années de sa vie, elle avait été hétérosexuelle, mais que quand elle a vu Ellen pour la première fois elle est devenue lesbienne. Ça ne relève pas d'un choix ça? Ça ne nie pas le discours de certains militants gays affirmant sans nuance que l'orientation sexuelle est fixée au départ et immuable? Et que dire de tous ces discours féministes lesbiens des dernières années dont toute la misandrie et l'insignifiance a filtré dans le monde gay de façon non négligeable? 
  
          Quand Adrienne Rich affirme que « de tout temps les hommes ont cherché à naturaliser l'hétérosexualité féminine », ça ne constitue pas un déni de toute orientation sexuelle innée et impossible à changer? Quand la communauté gay et lesbienne fait alliance avec les bisexuels, ne s'associe-t-elle pas à des individus qui sont de par leur existence la preuve même qu'il n'y a pas nécessairement pour tous UNE SEULE orientation sexuelle fixe à la naissance? 
  
          Au fait, ne vous attendez surtout pas à voir discuter ces questions lors de la prochaine campagne électorale, voire lors d'un autre éventuel entretien avec Stockwell Day. Les positions sur ces questions comme sur tant d'autres sont de loin beaucoup trop polarisées et biaisées pour cela. 
 
 
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