Montréal, 2 septembre 2000  /  No 66
 
 
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Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
  
LE SEXE DIVERSIFIÉ
DANS LA CULTURE CANADIENNE
 
par Gilles Guénette
  
  
         « OUTfest on CBC television. A showcase of lesbian and gay entertainments. Five midnight presentations beginning Monday. A week-long festival. OUTfest, beginning Monday on CBC. »
 
          Récemment, le réseau anglais de Radio-Canada diffusait cette publicité pour annoncer son festival de productions gaies et lesbiennes. À l'affiche, des films comme Love and Human Remains, Hollow Reed et Boca A Boca, des captations musicales telles k.d. Lang live in Sydney et des émissions à tendances humoristiques telles In thru the out door. Le seul critère de diffusion: l'orientation sexuelle des personnages des productions. Étonnamment, la télé d'État décidait de clore son festival avec la production américaine To Wong Foo, Thanks for Everything, Julie Newmar! Comme s'il n'y avait pas assez de films canadiens qui traitaient de la chose! 
  
          Les bureaucrates de la CBC auraient pu présenter entre autres: Lilies (des prisonniers séquestrent un prêtre le temps de régler des comptes concernant un passé homosexuel commun), The Hanging Garden (retour d'un jeune gay en Nouvelle-Écosse après une longue absence), I've Heard the Mermaids Singing (chassé-croisé entre trois femmes dans l'univers des galeries d'art), When night is Falling (triangle amoureux entre deux femmes et un homme), Being at home with Claude (un prostitué mâle tue son amant pour ne pas le perdre), Zero Patience (comédie musicale retraçant l'arrivée du virus du sida au Canada), Urinal (sept artistes gays sont ressuscités pour enquêter sur une série d'arrestations effectuées dans des toilettes publiques de Toronto), The Boys of St. Vincent (dans un orphelinat, des prêtres abusent sexuellement de jeunes garçons) ou Beefcake (dans les années 50, un magazine est mis sur pied pour une clientèle de culturistes gais) pour ne nommer que ceux-là. 

          Ou bien, ils auraient pu élargir le thème du festival à celui de la sexualité en général et présenter des films aussi « légers » que Kissed (un homme se tue pour se faire aimer par une nécrophile), Mustard Bath (un jeune homme entretient une relation amoureuse avec une femme d'âge mûr hantée par le souvenir d'un avortement fait à la main), Crash (un triangle amoureux entre des hommes, des femmes et des voitures – toutes combinaisons confondues), Exotica (un homme entretient des liens quasi pédérastiques avec une jeune strip-teaseuse), Léolo (fable scatologique dans laquelle un jeune garçon découvre les différentes facettes de la sexualité), et tellement d'autres...  
  
          Souvenez-vous par ailleurs de la controverse entourant les films Bubbles Galore et The Girl who would be King, deux films subventionnés mettant en vedette dans le premier cas une pornographe lesbienne tentant de redorer l'image de la femme dans l'industrie du film porno et, dans le deuxième, une lesbienne du genre « drag king » à la recherche de ses propres parties génitales. 
  
Diversifié, vous dites? 
  
          Comme on le voit, ce ne sont pas les films hétéro-, lesbo- ou homo-érotiques qui manquent dans le répertoire cinématographique canadien. Si on juge sur la base d'un des mandats originels donnés aux organismes subventionnaires canadiens, celui de promouvoir la diversité culturelle au pays, pas de doute que c'est un succès: on ne peut effectivement pas reprocher un manque de « diversité » dans les modèles sexuels proposés! 
  
          Pour les tenants de l'interventionnisme, la seule façon de promouvoir la « variété » des produits est en effet de s'opposer à la tendance soi-disant homogénéisatrice du marché et de permettre à des voix plus marginales et/ou excentriques de se faire entendre en les subventionnant. Dans son essai The Cultural Connexion publié à la fin des années soixante-dix, l'historien et ex-haut fonctionnaire fédéral de la culture Bernard Ostry justifiait ainsi cette politique:  

The competition of the free market tends to result in conformity and homogeneity; products tend to become like their competing products; and this homogeneity of the material culture is soon reflected in spiritual conformity. The role of the government is increasingly to correct this tendency by support to minority interests and preferences, to protect eccentric individuals and communities from the tyranny of the majority(1).
          L'implication de l'État empêcherait l'homogénéisation de l'offre culturelle. Mais l'interventionnisme gouvernemental est-il réellement un remède contre l'homogénéisation de la culture ou l'assurance d'une prolifération de produits culturels homogénéisés? 
  
Histoires de cul 
  
          Dernièrement, on apprenait qu'Ottawa allait financer une étude sur les effeuilleuses. L'historienne Becki Ross qui enseigne la sociologie à l'Université de Colombie-Britannique touchera environ 50 000 $ du Conseil de recherche en sciences sociales et humanités du Canada pour la réalisation d'une recherche sur l'histoire du strip-tease à Vancouver. La professeure estime que ce secteur d'activité est « mal connu, trop dénigré » et que l'histoire de ces femmes elles-mêmes vaut la peine d'être retracée « pour que nous sachions qu'elles ont contribué à l'histoire du divertissement à Vancouver. » (Presse canadienne, 12 juin 2000). Ce qui a fait dire au porte-parole de la Fédération canadienne des contribuables, Mark Milke, « Les strip-teaseuses ne se font-elles pas déjà suffisamment "étudier" comme ça? » Hmm... 
 
 
     « Après des années d'interventionnisme, force est de constater que les structures mises en place au nom de la diversité culturelle ne favorisent en fait qu'un genre de produits culturels: les histoires douteuses et choquantes qui ne plaisent qu'à une très petite minorité de marginaux branchés. » 
 
 
          Pendant ce temps, le Conseil des arts du Canada débloque 1 500 $ pour le recueil de poésie Where did my ass go? qui, aux dires de son auteure Molly Morin, est une honnête réflexion sur une question existentielle qui la hante depuis qu'elle a vaincu sa dyslexie et appris à écrire (5 ans avant ce projet poétique): « First Nations people have what we call Bannock ass, or flat bum. Why we have flat bum is one of the questions I asked [myself]. »(2) L'amérindienne de 34 ans dit avoir soumis le titre Where did my ass go? au comité d'experts du Conseil après que des amis lui ai recommandé l'utilisation d'un titre accrocheur. « It worked. They liked the title and they gave me money for that. » 

          Parmi les autres subventions très pertinentes du Conseil des arts du Canada, 16 000 $ sont allés à la réalisation du vidéo Wankers (ces hommes qui se masturbent), un documentaire expérimental d'une trentaine de minutes qui examine les motifs qui poussent les homosexuels à se rencontrer dans des endroits publics pour échanger des faveurs sexuelles malgré l'acceptation populaire grandissante dont ils jouissent. Pour leur projet de recherche, le professeur Ken Anderlini de l'Université Fraser en Colombie-Britannique et l'expert média de chez Video in Studios à Vancouver, Winston Xin, vont visiter parcs publics, plages et salons de thé en plus de se pencher sur le phénomène des « rencontres » sur internet pour tenter d'élucider le mystère. 

Tous des obsédés? 

          On le voit, le cinéma n'est pas le seul secteur dans lequel on « investit » au nom de la diversité culturelle. Mais comment expliquer cette multiplication des produits à fort contenu sexuel? Comment expliquer ce goût pour la sexualité marginale ou déviante? Si au grand écran vous voyez deux femmes s'embrasser à pleine bouche, des hommes se balader à poil (de face) ou des personnes s'adonner à des activités sado-masochistes, il y a de fortes chances que vous soyez en présence d'un produit canadien et qu'il soit hautement subventionné à même vos impôts.  

          Bien sûr il n'y a rien de répréhensible à réaliser des études sur les danseuses nues à Vancouver, des films comme Exotica, Crash ou Mustard Bath – qui sont bons soit dit en passant –, des vidéos sur les joies de la masturbation en groupe, ou des recueils de poésie sur les grosses fesses d'autochtones. Ce qui l'est par contre c'est qu'on nous force à financer de tels produits sous prétexte qu'ils sont notre seule planche de salut. Notre seule arme contre l'inévitable américanisation. Qu'il en va de notre survie culturelle. De notre avenir à tous. Et cetera. 
  
          Personne ne consomment ces produits, ils ne doivent pas être si essentiels! La majorité des Canadiens n'en ont rien à branler des fameuses « histoires canadiennes » de la ministre Sheila Copps. Après des années d'interventionnisme, force est de constater que les structures mises en place au nom de la diversité culturelle ne favorisent en fait qu'un genre de produits: les histoires douteuses et choquantes qui ne plaisent qu'à une très petite minorité de marginaux branchés.  
  
          Cette prolifération de produits dont personne ne veut est le résultat direct d'une offre culturelle décidée de façon centralisée par d'autres que ceux qui vont la consommer. Plutôt que d'avoir des millions d'individus qui, à chaque fois qu'ils achètent un produit culturel, favorisent un genre plutôt qu'un autre, une forme d'art plutôt qu'une autre, quelques centaines de fonctionnaires seulement décident entre eux et avec les gens du milieu de ce que sera l'offre culturelle au pays. 

          Pourtant, même notre ex-haut fonctionnaire le dit dans son Cultural Connection: « an assessor is likely to favour an applicant whose skills or techniques or ideas resemble his own, thus creating a succession of potential assessors who are likely to perpetuate a particular school of thought. » Bien sûr, il rationalisera cette faiblesse du système quelques lignes plus loin en parlant des mécanismes de protection et blablabla. Mais après quelques décennies d'interventionnisme, il faut bien se rendre à l'évidence: la diversité que nous avons dans la culture canadienne n'est pas celle de produits multiples qui répondent aux goûts de divers publics, mais plutôt celle de perversités multiformes qui comblent les fantasmes malsains d'un seul. 
  
  
1. Bernard Ostry, The Cultural Connection, McClelland and Stewart Limited, Canada, 1978, p. 96-97.  >>
2. Mark Stevenson, « Civil disobedience film, gum and bum projects win grants », National Post, 16 février 2000, p. A3.  >>
 
 
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