Montréal, 2 septembre 2000  /  No 66
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle poursuit des études supérieures en science politique. 
 
BILLET
  
LE ROYAUME DE LA PATATE
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Je dis souvent, trop souvent peut-être, que le système de paternalisme étatique dans lequel nous vivons (façon de parler) a de sérieux effets pervers. Par exemple, ce système a la particularité de transformer des gens « ordinaires » en ti-counes, gnagnans, grosses patates et autres bienheureux idiots. Le paternalisme étatique fait de nous des chiffes molles, des guenillons sans colonne vertébrale, des moumounes. 
  
          Savez ce qu'on me répond? Que j'exagère. Ça ne peut quand même pas être si pire que ça.  
  
          Ah non?
 
          Les quelques semaines qui viennent de s'écouler nous ont donné plusieurs exemples amusants que je m'empresse de vous communiquer illico. On s'en recause plus bas...  
  
Exemple 1 
  
          La folie paternaliste commence à nous attaquer très tôt, même avant le berceau. Rappelez-vous cette histoire de la femme enceinte qu'on voulait à tout prix empêcher de sniffer de la colle (oui, je sais. Sniffer de la colle n'est pas la meilleure chose à faire quand on est enceinte. Mais mettre cette femme-là dans une prison sanitaire ne réglera pas le problème des millions de parents irresponsables).  
  
          Passons. Et rendons-nous un peu plus loin, c'est-à-dire à l'étape du berceau, des biberons et des couches. Il n'est peut-être pas trop tard pour « sauver » les poupons et jeunes enfants des dangers publics que sont leurs propres parents.  
  
          Une épidémiologiste de l'Ontario demande, le plus sérieusement du monde, que l'on mette sur pied un système de délation afin de rapporter (et sans doute punir) les parents qui s'obstinent à fumer la cigarette dans leur maison même s'ils ont de jeunes enfants.  
  
          Les écoeurants, fumer la cigarette sur la même planète qu'un enfant aux poumons roses. Z'ont pas honte?  
  
          L'épidémiologiste déclare, sans rire: « Nous devrions nous servir des lois sur la protection de la jeunesse pour établir socialement qu'il est inacceptable de fumer à la maison en présence d'enfants. »  
  
          Enfin, si les parents sont assez cons pour souffler leur boucane directement au visage de leurs enfants, qu'est-ce que vous pensez que les lois sur la protection de la jeunesse peuvent faire?  
  
Exemple 2 
  
          Restons un moment avec les bébés et ajoutons-y un Bed & Breakfast mignon comme tout. Une dame téléphone aux gens dudit B&B pour réserver une chambre pour elle, sa douce moitié, et leur a-do-ra-ble (évidemment) poupon de quatre mois. Le proprio refuse – le bébé risque de troubler la quiétude des autres clients. La dame est « blessée et humiliée ». Ouch.  
  
          Au lieu de se trouver un autre endroit où passer ses vacances (c'est fatiguant; il faut consulter les guides touristiques, vérifier l'endroit sur une carte, composer plusieurs numéros de téléphone, parler à de parfaits étrangers), la dame choisit de se plaindre à la Commission des droits de la personne.  
  
          « Wââââââhhhhhhhh!!!! MEUUUUMANNNN, ils veulent pas me laisser y aller! »  
  
          Snif. Quatre ans plus tard, le très sérieux Tribunal des droits de la personne du Québec (qui n'a manifestement rien de plus important à faire) condamne le proprio du B&B à verser 3000 $ au couple pour, tenez-vous bien, « atteinte à leurs droits fondamentaux » 
  
          Whatever 
  
  
     « Bon ou pas bon, si tu brailles assez fort, on te donnera ce que tu demandes. » 
 
 
Exemple 3 
  
          C'est l'histoire tragique du petit David, 14 ans, de Rimouski. Gardien de but dans une équipe de hockey de la ligue mineure de « je ne me rappelle plus le nom de toutes manières ça ne change rien à l'histoire » 
  
          Décembre 1999, on est en plein tournoi. D'après le pattern établi, ce serait au tour de David d'être devant les buts. Mais il s'agit d'un match crucial, donc pas de chance à prendre. L'entraîneur décide qu'il faut mettre le meilleur gardien devant la cage; David restera assis sur le banc.  
  
          « Wââââââhhhhhhhh!!!! MEUUUUMANNNN, ils veulent pas me laisser jouer! »  
  
          Consternée, la mère de David prend les grands moyens. Hop! à la Cour des petites créances, histoire d'obtenir réparation (1000 $ à dépenser sur une nouvelle tondeuse à gazon, peut-être?) « C'est le rêve de mon fils de jouer au hockey. Je réclame justice pour lui. »  
  
          Moi, mon rêve, c'est d'être aussi riche, mignonne et populaire que Meg Ryan (je ne dédaignerais pas non plus compter Russell Crowe au nombre de mes trophées de chasse...). À qui dois-je m'adresser pour obtenir « justice » 
  
          Le plus navrant, dans cette histoire, c'est la leçon que retiendra David: « bon ou pas bon, si tu brailles assez fort, on te donnera ce que tu demandes. »  
  
Exemple 4 
  
          Les allergies, my goodness, les allergies! Folie furieuse dans une école primaire de la banlieue d'Ottawa. On n'accepte plus que des fruits et légumes crus en guise de collation. Les enfants n'ont plus le droit d'apporter leurs barres granoles, leurs muffins aux bananes; même les yogourts sont défendus. Parce que l'école espère éviter qu'un enfant s'empoisonne après avoir reniflé les relents du pouding au chocolat de la petite Mathilde. Si vous n'étiez pas encore au courant, sachez que les produits laitiers sont particulièrement dangereux pour la santé.  
  
          Ils devraient songer à l'afficher en gros sur les cartons de lait – ben quoi, ils le font bien pour les cigarettes...  
  
Exemple 5 
  
          Bon les enfants, ça finit par m'ennuyer. Passons aux ados. Vous vous rappelez les manifs de Seattle, Washington et Davos? Squeegees du monde, unissez-vous contre le commerce international! Never mind qu'aucun d'entre ne sache comment épeler « mondialisation » 
  
          L'an prochain, c'est autour de la ville de Québec d'accueillir le Sommet des Amériques, qui visera entre autres choses à établir une zone de libre-échange, « de la Terre de Feu à la terre de Baffin », comme ils disent.  
  
          Bien sûr, la police sera présente. Et en grand nombre à part ça. Et bien équipée. Mais comme on craint que ce ne soit pas suffisant, nos têtes-à-cogiter ont trouvé LE moyen d'assurer la paix et la tranquillité pendant le Sommet. Ils vont interdire, du 20 au 23 avril, l'accès au site (pour ceux qui connaissent le coin, ça va du Château Frontenac au Loews le Concorde) à tout le monde. Les résidants, travailleurs et commerçants devront se procurer une accréditation avec photo pour pouvoir vaquer à leurs occupations.  
  
          Selon le journal Le Soleil, 35 000 personnes devront 1) faire vérifier leur passé judiciaire, avant de 2) obtenir l'accréditation qui leur permettra de rentrer chez eux. Tout ça pour éviter qu'une poignée d'adolescents et leurs dreadlocks ne salissent les costards des chefs d'États étrangers.  
  
          Où ça, l'État-policier?  
  
Exemple 6 
  
          Puis il y eut cette affaire entre Cliff Oswald et la police de la langue. Vous en avez certainement entendu parler plus que moins – surtout si vous lisez The Gazette – alors je ne vais pas vous ennuyer en répétant les détails. Vous savez que le gouvernement avait saisi les biens personnels du petit commerçant et s'apprêtait à les vendre aux enchères afin de couvrir une amende non-payée de 50$, plus les intérêts accumulés pendant les trois ans que dura l'affaire, pour avoir osé placer un mot en anglais sur son affiche commerciale – AUSSI GROS QUE LES MOTS EN FRANÇAIS.  
  
          L'horreur. Et alors, dites-vous, quel rapport avec les autres exemples? Où est la moumounerie?  
  
          Ah. C'est qu'elle est sournoise, celle-là. Les affaires comme celle de M. Oswald existent parce que la règle à l'Office de la langue française dit qu'une simple plainte anonyme suffit à faire partir la machine. Une seule plainte, déposée de façon anonyme par n'importe quel bozo, et le tour est joué. On se revoit devant l'encanteur dans quelques années. Et le plus drôle, c'est que le bozo, s'il daigne communiquer son adresse à Big Brother, recevra des rapports détaillés (et gratuits) sur l'évolution de SON cas.  
  
          Et dire qu'on ne peut même pas savoir ce qui se cache dans notre propre dossier médical sans une intervention de l'ONU.  
  
 
  
  
          Voilà. Six exemples, tous plus pathétiques les uns que les autres, de ce que le columnist de La Presse Yves Boisvert appelle « la moumounisation des droits fondamentaux. »  
  
          Dites, vous trouvez toujours que j'exagère? 
 
 
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