À
défaut de créer...
Pour les ministres, les politiciens et les bureaucrates qui évoluent
dans le milieu de la culture une chose est claire: il faut encourager les
artistes si on veut que notre culture soit riche et qu'elle rayonne ici
comme ailleurs. Sans l'intervention de ces mécènes publics,
l'art, la culture n'existeraient pas. Combien de fois les avons-nous entendu
dire des énormités du genre: « The
present health of our cultural industries is in large part due to good
public policy: to the government's allocation of resources, and to the
judicious and imaginative use made of these funds by our public institutions.
»
Il s'agit ici d'un extrait de discours prononcé à la fin
de l'année dernière par la directrice du Conseil des arts
du Canada, Mme Shirley Thomson, mais il aurait aussi bien pu s'agir d'un
extrait de discours prononcé par n'importe laquelle des ministres
Maltais, Copps, ou Beaudoin. À défaut de créer quoi
que ce soit, les politiciens de la culture parasitent le milieu des arts
et font comme si... « Ne pouvant faire que les fonctionnaires
deviennent créateurs, l'État fit que les créateurs
devinssent fonctionnaires », ironise Michel Schneider.
Ainsi, il suffit à un artiste de posséder un «
background » artistique qui répond aux critères
du ministère et de soumettre un dossier bien rédigé
pour être admis dans le cercle restreint des subventionnés
de l'État. Le musicien, peintre ou auteur, en plus d'être
pris en charge par les bureaucrates de la culture qui l'aideront à
naviguer l'étendue des programmes disponibles, gagne aussitôt
le « droit » de faire pression comme n'importe
quel autre employé du secteur public pour avoir plus de fric ou
améliorer ses conditions de travail. Les plus persévérants
seront récompensés...
L'artiste qui compte plus de dix ans de pratique au Québec ou à
l'étranger et dont certaines oeuvres ont été diffusées
au Québec dans un contexte professionnel reconnu peut demander une
bourse de type A – montant maximum: 25 000 $. Celui qui compte de deux
à dix ans peut demander une bourse de type B – montant maximum:
20 000 $. Et l'autre qui compte au moins 20 ans de carrière et dont
l'oeuvre ou les réalisations ont été marquantes peut
demander une bourse de carrière – montant maximum: 60 000
$ (payant, payant).
«À défaut de créer quoi que ce soit, les politiciens
de la culture parasitent le milieu des arts et font comme si...»
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Qu'il soit établi ou aspirant, l'artiste peut soumettre des demandes
pour trois types de bourses: Volet 1, Recherche et création; Volet
2, Commandes d'oeuvres; et Volet 3, Soutien à la carrière.
Les critères d'évaluation des dossiers vont de la «
qualité du travail artistique » à
« l'intérêt et la pertinence du projet
par rapport à la démarche de l'artiste et à l'évolution
de son oeuvre » en passant par « la
clarté du projet et la qualité de la présentation
de la demande » – il faut bien que la «
création » débute quelque part.
Cette dynamique d'aide à la création, à part rassurer
le politicien dans son rôle de redistributeur (« Ils
créent, donc je suis »), donne naissance à
deux types d'artistes: celui qui a du talent et qui se plie aux directives
sans se poser trop de questions (« Il faut ce qu'il
faut ») et celui qui n'en a pas, mais qui sait se servir
des « leviers » mis en place pour arriver à
ses fins (« Ils paient, donc je suis créateur
»).
Situation propre à la France de Schneider? Dans la section «
Bourses
et subventions accordées » du
site Web du Conseil des arts et des lettres du Québec on trouve
des listes et des listes d'artistes dont personne n'a jamais entendu parlé
ou même vu le travail et qui, année après année,
reçoivent sous différentes formes leur lot de deniers publics
– votre argent, le miens. Des tas de petits artistes inconnus qui évoluent
dans le réseau des soirées « officielles »
et des cérémonies protocolaires et qui auraient probablement
fait autre chose de leur vie s'il n'y avait pas de tels programmes d'aide
en place. Aurions-nous subi une si grosse perte? La culture s'en porterait-elle
plus mal? Hmmm...
Bonne nouvelle! La ministre de la Culture, Agnès Maltais, a rejeté
la proposition du comité Larose d'instaurer une politique de prix
unique sur les livres vendus en librairie. « L'établissement
d'un prix unique risquerait de faire augmenter le prix du livre, ce avec
quoi je ne peux être en accord, d'autant plus qu'il est loin d'être
certain que cette mesure réglerait le problème de l'érosion
des librairies traditionnelles, a-t-elle fait savoir par voie de communiqué.
Il n'y a pas assez d'éléments nouveaux pour remettre en question
les conclusions des études américaines ».
Mais comme seraient tentées de dire quelques mauvaises langues:
interventionniste un jour, interventionniste toujours! Mme Maltais a tout
de même annoncé une série de mesures pour venir en
aide à l'industrie du livre et s'apprêterait à
demander qu'un crédit d'impôt soit accordé à
la consommation sur le livre. Imaginons les conséquences d'un tel
crédit sur la vie du contribuable moyen...
Discussion entre une consommatrice littéraire et un fonctionnaire
surnuméraire: « Oui bonjour, c'est pour un renseignement.
J'ai acheté quatre romans québécois cette année
et je me demandais quoi faire pour réclamer ma réduction
d'impôt? » « Rien de plus simple
mam'selle. Vous faites votre rapport comme d'habitude et à la ligne
443B, vous cochez "OUI" à la question: "Avez-vous acheté
des livres québécois (c'est-à-dire d'un(e) auteur(e)
québécois(e) et/ou traitant d'un aspect de la québécitude)
depuis la production de votre dernier rapport?". Puis vous remplissez l'Annexe
L et vous vous assurez de joindre des copies de toutes vos factures accompagnées
du titre de l'oeuvre, du nom de l'auteur(e) et du lieu où l'achat
a été effectué. Une prime spéciale est accordée
pour les achats faits en librairie indépendante. »
« Ben justement, sur ce dernier point... »
Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué.
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