Montréal, 25 novembre 2000  /  No 72
 
 
<< page précédente  
 
 
 
 
Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
 
TROP D'ARTISTES « ENTRETENUS »
 
par Gilles Guénette
  
  
          « Si l'État n'a pas le pouvoir de faire naître de l'art et des artistes, il peut par son rôle pernicieux encourager le non-art et les non-artistes à perdurer. [...] Je constate qu'il y a concomitance entre le toujours plus des aides et le n'importe quoi de ce qu'elles aident à monter et à montrer. »  
  
          Ce dont parle l'auteur de l'excellent La comédie de la Culture (Paris, Éditions du Seuil, 1993) dans cet extrait, c'est du superflu de petits artistes et d'art douteux qu'engendrent les politiques gouvernementales d'« aide » à la création. Selon Michel Schneider, ex-directeur de la Musique et de la Danse au ministère français de la Culture (1988 à 1991), cette façon d'« encourager » l'art n'encourage que bruit et médiocrité.
 
À défaut de créer... 
 
          Pour les ministres, les politiciens et les bureaucrates qui évoluent dans le milieu de la culture une chose est claire: il faut encourager les artistes si on veut que notre culture soit riche et qu'elle rayonne ici comme ailleurs. Sans l'intervention de ces mécènes publics, l'art, la culture n'existeraient pas. Combien de fois les avons-nous entendu dire des énormités du genre: « The present health of our cultural industries is in large part due to good public policy: to the government's allocation of resources, and to the judicious and imaginative use made of these funds by our public institutions. » 
 
          Il s'agit ici d'un extrait de discours prononcé à la fin de l'année dernière par la directrice du Conseil des arts du Canada, Mme Shirley Thomson, mais il aurait aussi bien pu s'agir d'un extrait de discours prononcé par n'importe laquelle des ministres Maltais, Copps, ou Beaudoin. À défaut de créer quoi que ce soit, les politiciens de la culture parasitent le milieu des arts et font comme si... « Ne pouvant faire que les fonctionnaires deviennent créateurs, l'État fit que les créateurs devinssent fonctionnaires », ironise Michel Schneider. 
 
          Ainsi, il suffit à un artiste de posséder un « background » artistique qui répond aux critères du ministère et de soumettre un dossier bien rédigé pour être admis dans le cercle restreint des subventionnés de l'État. Le musicien, peintre ou auteur, en plus d'être pris en charge par les bureaucrates de la culture qui l'aideront à naviguer l'étendue des programmes disponibles, gagne aussitôt le « droit » de faire pression comme n'importe quel autre employé du secteur public pour avoir plus de fric ou améliorer ses conditions de travail. Les plus persévérants seront récompensés... 
 
          L'artiste qui compte plus de dix ans de pratique au Québec ou à l'étranger et dont certaines oeuvres ont été diffusées au Québec dans un contexte professionnel reconnu peut demander une bourse de type A – montant maximum: 25 000 $. Celui qui compte de deux à dix ans peut demander une bourse de type B – montant maximum: 20 000 $. Et l'autre qui compte au moins 20 ans de carrière et dont l'oeuvre ou les réalisations ont été marquantes peut demander une bourse de carrière – montant maximum: 60 000 $ (payant, payant). 
 
 
     «À défaut de créer quoi que ce soit, les politiciens de la culture parasitent le milieu des arts et font comme si...» 
 
 
          Qu'il soit établi ou aspirant, l'artiste peut soumettre des demandes pour trois types de bourses: Volet 1, Recherche et création; Volet 2, Commandes d'oeuvres; et Volet 3, Soutien à la carrière. Les critères d'évaluation des dossiers vont de la « qualité du travail artistique » à « l'intérêt et la pertinence du projet par rapport à la démarche de l'artiste et à l'évolution de son oeuvre » en passant par « la clarté du projet et la qualité de la présentation de la demande » – il faut bien que la « création » débute quelque part. 
 
          Cette dynamique d'aide à la création, à part rassurer le politicien dans son rôle de redistributeur (« Ils créent, donc je suis »), donne naissance à deux types d'artistes: celui qui a du talent et qui se plie aux directives sans se poser trop de questions (« Il faut ce qu'il faut ») et celui qui n'en a pas, mais qui sait se servir des « leviers » mis en place pour arriver à ses fins (« Ils paient, donc je suis créateur »).  
 
          Situation propre à la France de Schneider? Dans la section « Bourses et subventions accordées » du site Web du Conseil des arts et des lettres du Québec on trouve des listes et des listes d'artistes dont personne n'a jamais entendu parlé ou même vu le travail et qui, année après année, reçoivent sous différentes formes leur lot de deniers publics – votre argent, le miens. Des tas de petits artistes inconnus qui évoluent dans le réseau des soirées « officielles » et des cérémonies protocolaires et qui auraient probablement fait autre chose de leur vie s'il n'y avait pas de tels programmes d'aide en place. Aurions-nous subi une si grosse perte? La culture s'en porterait-elle plus mal? Hmmm... 
 
 
 
 
          Bonne nouvelle! La ministre de la Culture, Agnès Maltais, a rejeté la proposition du comité Larose d'instaurer une politique de prix unique sur les livres vendus en librairie. « L'établissement d'un prix unique risquerait de faire augmenter le prix du livre, ce avec quoi je ne peux être en accord, d'autant plus qu'il est loin d'être certain que cette mesure réglerait le problème de l'érosion des librairies traditionnelles, a-t-elle fait savoir par voie de communiqué. Il n'y a pas assez d'éléments nouveaux pour remettre en question les conclusions des études américaines ». Mais comme seraient tentées de dire quelques mauvaises langues: interventionniste un jour, interventionniste toujours! Mme Maltais a tout de même annoncé une série de mesures pour venir en aide à l'industrie du livre et s'apprêterait à demander qu'un crédit d'impôt soit accordé à la consommation sur le livre. Imaginons les conséquences d'un tel crédit sur la vie du contribuable moyen...  
  
          Discussion entre une consommatrice littéraire et un fonctionnaire surnuméraire: « Oui bonjour, c'est pour un renseignement. J'ai acheté quatre romans québécois cette année et je me demandais quoi faire pour réclamer ma réduction d'impôt? » « Rien de plus simple mam'selle. Vous faites votre rapport comme d'habitude et à la ligne 443B, vous cochez "OUI" à la question: "Avez-vous acheté des livres québécois (c'est-à-dire d'un(e) auteur(e) québécois(e) et/ou traitant d'un aspect de la québécitude) depuis la production de votre dernier rapport?". Puis vous remplissez l'Annexe L et vous vous assurez de joindre des copies de toutes vos factures accompagnées du titre de l'oeuvre, du nom de l'auteur(e) et du lieu où l'achat a été effectué. Une prime spéciale est accordée pour les achats faits en librairie indépendante. » « Ben justement, sur ce dernier point... »  
  
          Pourquoi faire simple, quand on peut faire compliqué. 
 
 
Articles précédents de Gilles Guénette
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO