Montréal, 6 janvier 2001  /  No 74
 
 
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Yvon Dionne est retraité. Économiste de formation, il a travaillé à la Banque du Canada puis pour le gouvernement du Québec. On peut lire ses textes sur sa page personnelle.
 
CE QUE J'EN PENSE
  
QUAND LES MOTS PERDENT LEUR SENS:
CRITIQUE DU NEWSPEAK DES ÉTATISTES
 
par Yvon Dionne
  
  
          Le langage est devenu, avec l'évolution de l'espèce humaine, un moyen d'expression perfectionné, non seulement de la pensée mais aussi des sentiments. C'est l'usage et l'adaptation dans le processus de l'évolution qui a créé et développé ce moyen d'expression. La communication n'est pas restreinte au langage parlé ou écrit. Il y en a d'autres, qui font appel aux autres sens. Le message visuel demeure important (les animaux ont aussi une capacité sensorielle considérable et il est maintenant démontré que leur cerveau peut même penser). Toutes les formes d'expression peuvent toutefois se prêter à la déformation.
 
          Des photos célèbres ont même donné lieu à des montages (voir « Les cent photos du siècle »). La publicité utilise les trucs de la propagande; là, on vend un produit; ici, une idée. Dans les deux cas, il y a association d'idées, d'images, de messages, qui cachent le contre sans nécessairement montrer le pour. La désinformation va plus loin que la propagande: elle ment, alors que la propagande, en soi, ne ment pas; la répétition du message joue un rôle crucial dans les deux cas et dans les deux cas l'on vise l'hypnose de la clientèle visée, l'amener à croire au lieu de réfléchir (réfléchir implique une relation bi-directionnelle entre les faits et leur interprétation). 
  
          Il est souvent difficile de ne pas se laisser influencer par les messages qui nous sont catapultés de part et d'autre et surtout de distinguer le vrai du faux, de remarquer la supercherie, de déceler sous la subtilité d'un message la fausseté du raisonnement ou l'intention de duper. La propagande et la désinformation misent beaucoup sur l'ignorance de la clientèle visée. Pour qu'elles atteignent leur but, elles doivent donc autant que possible monopoliser les moyens de communication. C'est pourquoi la censure et la mainmise sur les médias caractérisent les États totalitaires. 
  
          Mais il n'est pas nécessaire que l'État soit totalitaire pour qu'il obtienne un certain succès dans la désinformation, dans la manipulation de l'information à ses propres fins, dans la propagation de messages (à même les impôts payés par tous les payeurs de taxes) pour justifier ses interventions, ses politiques, et pour accorder des privilèges à ceux qui se prêtent à un tel jeu. L'État dispose au départ d'un énorme budget de publicité. Chaque ministère a sa direction des Communications où l'information et la propagande s'entremêlent subtilement pour être mieux vendue à la population. Il dispose aussi de nombreuses tentacules dans toutes les sphères d'activité, via ses subventions, ses privilèges fiscaux, ses « intervenants » que l'on retrouve partout comme une sorte de brigade de choc chargée de veiller sur nous, et de façon plus générale sa « Nomenklatura » (ses directeurs de la santé « publique » par exemple) qui propage les messages du gouvernement en utilisant le même langage biaisé. 
  
Éliminer l'esprit critique 
  
          Or, ce langage s'apparente au Newspeak, un mot inventé par George Orwell dans son roman 1984 (publié en 1946) pour désigner le vocabulaire imposé par Big Brother. Le Newspeak c'est, à proprement parler, un langage... impropre. Plus précisément, quand les mots ne correspondent pas à la réalité, quand les mots sont remplacés ou que leur sens est modifié, le seul résultat recherché ne peut être que d'effacer la mémoire, de manipuler les comportements (c'est ce que fait, avec toutes les bonnes intentions du monde, l'ingénierie sociale), d'éliminer l'esprit critique et l'opposition aux visions des étatistes. 
  
          L'inventaire des formes de Newspeak qui suit est loin d'être exhaustif mais ces quelques exemples vont permettre d'illustrer ce qui précède: 
  
          1) Dénonçons d'abord l'obésité maladive non seulement de l'appareil gouvernemental et de son fonctionnement mais aussi de ce qu'il produit: des législations de plus en plus complexes et un labyrinthe de procédures où le citoyen ordinaire est de plus en plus perdu et perd un temps considérable à connaître les règlements et à s'y conformer. Ceci se traduit évidemment, pour ce qui est du Newspeak, par des dénominations d'une longueur à n'en plus finir, même lorsque les grands penseurs bureaucrates tentent de les résumer par des sigles! Exemple: Les CLSC et les CHSLD de la MRC xyz. 
  
          2) En deuxième lieu, je dénonce l'usage généralisé du mot « réforme » dans tous les changements que fait le gouvernement. Toutes ces prétendues réformes sont réellement pondues à l'interne, par les intervenants du gouvernement et le gouvernement lui-même qui décide de confier aux gribouilleurs à sa solde (dont un nombre imposant de conseillers juridiques) la rédaction des changements selon les objectifs qu'ils ont définis. Si le citoyen est interpellé dans ce processus (par des « consultations » manipulées), c'est seulement pour donner l'apparence de la démocratie. Une réforme doit en principe conduire à une amélioration majeure. Or, ce que l'on constate, c'est que le mot sert réellement à donner une image positive de changements pour la plupart discutables et qui réduisent de plus en plus la liberté des citoyens. Un mot plus juste pour décrire des processus législatifs tels la réforme de l'éducation du ministre Legault ou la réforme municipale de la ministre Harel serait rétrogression. 
  
  
     « Dans le langage crochu des étatistes, le gouvernement ferait preuve de "volonté politique" quand il introduit des changements quelle que soit l'opposition à ces changements. » 
 
  
          3) Que dire aussi de l'emploi abusif du mot « public » dans le but évident de sacraliser et d'auréoler tout ce que fait le gouvernement? On peut dire qu'un endroit est « public » quand il est accessible à tous (mais pas à tous en même temps...); mais qui a-t-il de public dans la santé, dans l'éducation? Des expressions telles que santé publique, instruction publique, terres publiques, intérêt public, bien public, fonction publique, secteur public, ont bien sûr fait leur chemin dans le vocabulaire courant (le dictionnaire ne fait que consacrer l'usage) mais elles sont toutes inexactes. L'adjectif donne au nom une qualité qu'il n'a pas. C'est une abstraction qui correspond peu à la réalité. La réalité, c'est que ce que les moines du collectif définissent comme public démontre sa plénitude d'incompétence quand il y a absence de concurrence avec le privé, et par privé comprenons tout ce qui est produit par l'initiative des individus et d'entreprises qui ne dépendent pas de transferts gouvernementaux pour prendre en charge leur avenir. Le public ne peut pas se définir de lui-même. L'intérêt public ou l'intérêt général est irréel. Ceux qui prétendent le défendre sont les premiers à refuser d'en discuter car cela impliquerait qu'on puisse discuter de leur définition de l'intérêt général. Au lieu de dire « directeur de la santé publique », pourquoi ne pas dire « directeur de la santé », tout simplement? Ce serait moins prétentieux. Ces petits directeurs fascisants (qui se sentent sans doute inspirés par une vocation de sauveteurs de la race) succomberaient peut-être moins à la tentation de prétendre parler pour tout le monde.  
  
          Autre exemple: les terres publiques n'ont de public que le nom; elles sont réellement des terres appartenant à tous les individus (via les impôts) et qui sont gérées (vaille que vaille, ce qui appartient à tous n'appartenant à personne) par le gouvernement. Pourquoi pas les terres de Jacques Brassard ou si vous préférez les terres du gouvernement, ou les terres pillées selon le bon plaisir de l'État omniprésent, omniscient et Tout-Puissant? Ce n'est pas un hasard si l'on parle maintenant d'un gouvernement mondial à son image. Comme un virus, il se propage d'État en État et il veut généraliser pour tous ces États maladifs et gangrenés un modèle d'État mondial où les citoyens seraient encore plus éloignés des centres de décision. Je profite de l'occasion pour saluer mon public! 
  
          4) Que dire du mot « collectif »? Tout comme le mot public, les étatistes emploient collectif pour abaisser tout ce qui ne l'est pas et justifier leurs privilèges d'apparatchiks ou de syndicalistes. Le summum de l'idéologie collectiviste est atteint dans l'expression « richesse collective » utilisée par des péquistes, des libéraux, et même... des adéquistes pour désigner la production de tous les secteurs de l'économie. C'est comme si cette richesse leur appartenait et qu'ils pouvaient en disposer comme bon leur semble. C'est la théorie des prix (ou de la valeur), à la sauce marxiste, que l'on retrouve dans Le Capital de Karl Marx, qui nous est inculquée hypocritement, mais efficacement, au moyen de la désinformation et de notre « système » d'éducation, pour nous dire que tout ce que nous faisons appartient à l'État, non pas à nous-mêmes. Or, ce que nos petits étatistes locaux ne veulent pas comprendre (imaginez ce que leurs semblables font à grande échelle), c'est que l'exercice de la démocratie est indissociable d'un régime privé où peuvent éclore toutes les initiatives. 
  
          5) Et cette expression sortie de la pensée globalisante et collectiviste: les « choix de société » ou les « projets de société »? Il ne faudrait pas, semble-t-il, en discuter, parce que ce sont des acquis (comprenez des privilèges). Le monde immuable des chérubins et des séraphins a été remplacé par celui de l'État dans le langage soi-disant révolutionnaire, mais combien sclérosé, de la pensée étatiste. Les « projets » ont été légiférés, au mépris de toute opposition ou si ce n'est de toute mise en garde, ils sont devenus des « choix » qu'il ne faudrait plus questionner. Ces gens-là nous disent: ne touchez pas aux taxes qui sont nos revenus! Ne touchez pas à toutes les législations qui nous permettent d'augmenter nos revenus (donc de voler la population) et de faire de nous un monopole dans les services financés par les citoyens! Il ne faudrait pas questionner ces choix-là? Mais voyons, il faut toujours remettre en question ces choix d'autant plus qu'ils ont souvent été faits sans que la population ait été pleinement informée des alternatives et consultée adéquatement. Voilà donc l'affirmation d'un véritable esprit dialectique, celui qui ne sert pas qu'à justifier une seule face de la médaille... 
  
          6) Un petit... mot sur l'expression « volonté politique ». La règle de la majorité dans un régime démocratique peut conduire à la négation des droits de la minorité, en particulier lorsque les élus n'ont pas obtenu de mandat clair pour effectuer les changements qu'ils font par la suite et que ces changements briment des droits fondamentaux comme celui par exemple des citoyens, dans le cas des fusions municipales, de décider de leur propre gouvernement. Dans le langage crochu des étatistes, le gouvernement ferait preuve de « volonté politique » quand il introduit des changements quelle que soit l'opposition à ces changements. L'État interventionniste est par définition un État qui s'impose. La volonté politique n'est plus l'expression de la volonté du plus grand nombre de citoyens mais plutôt celle du chef de gouvernement qui impose, contre toute opposition, les désirs de certains groupes de pression. L'expression est utilisée pour louanger le gouvernement mais elle a un sens dictatorial dans les faits. Demander au gouvernement qu'il ait le « courage de gouverner » c'est l'absoudre au départ de tous les abus de pouvoir. 
  
          7) Je termine brièvement par d'autres expressions agaçantes et colorées. « Travailleur social », ça fait pédantesque n'est-ce pas? Ce sont des techniciens en sociologie. Nous sommes tous des travailleurs... sociaux, à plus ou moins grande échelle. « Agents de conservation de la faune »: quand ils ne s'occupaient que de chasse, on les appelait gardes-chasse; pourquoi pas « gardes-faune » pour éviter la confusion avec les produits de conservation?... « Travail au noir »: ceci exprime l'intention des étatistes de vouloir tout taxer, y compris (s'ils en étaient capables) le travail domestique (le travail que vous faites pour vous-même, dans vos loisirs). Pourquoi pas « travail non taxé »? « Mandarins de l'État »: pour qui se prennent-ils? Ceux qui les ont côtoyé ont peut-être réalisé que nos mandarins sont plutôt des téteux du parti au pouvoir (et qui agissent comme un État dans l'État). Ah! Un petit mot sur « Assemblée nationale »... Si on définit généreusement (et non pas de façon restrictive) la nation comme étant l'ensemble des individus sur un même territoire, il faut bien admettre que l'assemblée nationale est loin d'être la réunion de tous ces individus et que seule une partie (la minorité) y exerce le pouvoir. En raison du régime électoral, une forte proportion n'est pas représentée. « Chambre des députés » serait plus... représentatif. 
  
          J'invite tous les intéressés à cette critique du bon parler étatiste à faire part de leurs commentaires et ajouts. Nous pourrions en faire un petit dictionnaire écrit en collaboration. De nombreux mots pourraient faire l'objet d'un article, comme liberté, démocratie, droits, État, collectif, fourmi..., etc. etc. 
 
 
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