Montréal, 17 février 2001  /  No 77
 
 
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Martin Masse est directeur du QL. La page du directeur.
 
Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
ÉDITORIAL
  
LA CONCENTRATION DE LA PRESSE 
VS LA CLIQUE JOURNALISTIQUE
 
par Gilles Guénette et Martin Masse
  
  
          Les transactions survenues l'année dernière qui ont mené à la constitution de deux groupes de presse géants au Québec (Gesca-Power Corp. et Quebecor, auxquels s'ajoute Transcontinental, le plus important éditeur de magazines) ont semé la panique au sein du petit monde journalistique et intellectuel de la province. Le gouvernement péquiste, qui n'a généralement pas de problème avec la concentration du pouvoir politique à Québec et qui vient de procéder à la concentration du pouvoir municipal par des fusions forcées, s'est empressé de mettre sur pied une commission parlementaire afin de discuter de la « menace » de concentration de la presse. 
 
          Ces jours-ci, une trentaine de groupes défilent donc devant les députés pour réclamer diverses mesures visant à « assurer le droit du public à une information diversifiée ». Dans la novlangue officielle, il faut bien sûr comprendre le contraire, c'est-à-dire assurer à une clique de journalistes syndiqués nationalo-gauchistes le maintien de leur influence prédominante sur les médias du Québec. 
  
          Mis à part le témoignage des propriétaires eux-mêmes, le débat tourne en effet essentiellement autour des prémisses étatistes suivantes: l'influence des propriétaires étant néfaste, comment le gouvernement peut-il la limiter? L'influence de l'État étant bénéfique, comment peut-il intervenir plus pour soutenir des médias qui ne sont pas la propriété des grands groupes privés? Comment enfin peut-on imposer un discours acceptable aux médias qui échappent au contrôle de l'État et des journalistes reconnus comme légitimes? 
  
Intervenez, ça presse! 
 
          L'un des mémoires qui résument le mieux les enjeux de l'exercice en cours est celui de l'organe représentatif du racket journalistique, la Fédération professionnelle des journalistes du Québec: « [L]a FPJQ réclame que l'État assume sa responsabilité de protéger le droit du public à l'information en adoptant une loi sur le pluralisme de la presse. Cette loi, sans intervenir sur le contenu de l'information, devra notamment interdire la propriété croisée (télévision, quotidiens, hebdos et radios) dans le même marché [...]. » Pour la Fédération, qui représente 1500 journalistes, « [o]n ne peut accepter, dans une société démocratique, que le quotidien le plus lu dans son marché (Journal de Montréal et Journal de Québec) soit entre les mêmes mains que le réseau de télévision le plus écouté (TVA). Aucun pays démocratique n'accepterait cela. » 
  
          Cette préoccupation pour la concentration de la propriété des médias est sans doute pertinente dans l'absolu, mais lorsqu'on observe la réalité sur le terrain, on se rend compte qu'il s'agit d'un faux débat. En effet, s'il existe une concentration de la presse au Québec, c'est bien au niveau des journalistes eux-mêmes qu'elle se situe. 
  
          Il y aurait cent propriétaires de journaux et autant de quotidiens en circulation demain matin dans la grande région métropolitaine qu'on aurait sensiblement la même information partout. À part quelques rares excentriques, nos journalistes et intellectuels qui interviennent dans les débats publics partagent tous le même point de vue plus ou moins collectiviste. Ils ont tous été formés par les mêmes profs dans les mêmes programmes de communications ou de science politique des mêmes universités. Ils sont tous, à divers degrés, en faveur de l'intervention de l'État dans nos vies et ont tous la même perspective tridimensionnelle de la nouvelle: qu'en pense le gouvernement, qu'en pensent les groupes de pression financés par l'État, qu'en pensent les syndicats? 
  
          D'ailleurs, l'un de ces professeurs qui forment nos futurs journalistes a proposé à la commission une autre solution subtile pour limiter l'influence des propriétaires. Jean-Claude Picard, ancien journaliste au Soleil et à Radio-Canada et maintenant professeur au département de journalisme de l'Université Laval, a rappelé qu'« actuellement, la gestion des quotidiens se fait en vase clos. Elle est confiée aux mandataires des propriétaires avec comme seules contraintes les lois du marché ». Quelle situation déplorable, des propriétaires qui gèrent leurs entreprises en suivant les lois du marché! M. Picard suggère donc la mise sur pied d'un organisme qui « examinerait les politiques d'information des quotidiens, leurs budgets et le déploiement des effectifs journalistiques ». Puisque les nationalisations ne sont plus à la mode, créons une structure bureaucratique qui contournera le problème en essayant de prendre le contrôle effectif de la gestion de l'entreprise. 
    
Diversifiez-moi ça 
  
          Revenons au mémoire de la FPJQ, qui poursuit ainsi: « Les médias comptent aujourd'hui essentiellement sur les recettes publicitaires pour survivre et se développer. La lutte est féroce pour se les approprier, et la concentration de la propriété crée une force qui permet d'offrir aux annonceurs des occasions très avantageuses et un très large marché de consommateurs. Cette lutte de titans laisse peu de place aux petits médias qui ont les plus grandes difficultés à attirer les annonceurs, ce qui menace constamment leur existence. Or personne ne peut forcer les annonceurs à répartir différemment leurs placements publicitaires. » 
  
          Encore les imperfections du marché! Une publication est mal gérée, ennuyeuse, a une stratégie de marketing nulle, ne correspond à aucune demande réelle, est distribuée de façon irréaliste sur un territoire où il n'y a pas de concentration de population et d'entreprises? Pas grave. Si on ne peut forcer les annonceurs à y placer des annonces, pourquoi ne pas plutôt forcer les entreprises à contribuer à un fonds qui fera en sorte que ces petits journaux « indépendants » ne soient pas tenus d'avoir recours à autant de publicité pour survivre? Suffit d'une loi! 
          La loi doit obliger les groupes de presse à financer un Fonds d'aide au pluralisme. Il s'agirait d'un mécanisme simple, non-étatique, de redistribution vers des médias indépendants à faibles ressources publicitaires d'une très petite partie des ressources des grands groupes de presse. [...] Ce Fonds créerait une sorte d'antidote à la concentration de la propriété et des ressources publicitaires entre un tout petit nombre de mains. [...] La contribution serait calculée au prorata de la domination qu'un groupe de presse exerce dans le marché des quotidiens. Plus la part de marché détenue au-delà de 30% serait grande, plus les contributions seraient élevées.
          Comme frein à la réussite, on peut difficilement trouver mieux. Plus une industrie est importante, plus ça lui coûterait cher. Typiquement socialiste. Ce que réclame la FPJQ c'est en fait une nouvelle taxe. Elle réclame de Québec qu'il taxe les entreprises de presse qui fonctionnent afin de soutenir les « indépendantes » qui ne réussissent pas à se positionner sur le marché. Sa liste d'épicerie s'étire encore comme ça sur plusieurs paragraphes: Créer l'obligation pour les groupes de presse d'adhérer au Conseil de presse, Créer des postes d'ombudsman dans les médias, Améliorer le sort des journalistes pigistes, etc.  
 
Concentration étatique 
  
          Si on mettait ces recommandations en oeuvre, pratiquement aucun média au Québec ne serait à l'abri des pressions et du tordage de bras des ministres, bureaucrates, syndicats et organismes de « surveillance » de l'information. Cette concentration de l'influence étatique et étatiste ne préoccupe pourtant nullement nos grands défenseurs de la diversité d'opinion. On voit bien que le seul but de la clique journalistique n'est pas d'empêcher une concentration d'influence, c'est de faire en sorte que ce soit la bonne influence qui soit concentrée, celle de l'État et du mouvement idéologique étatiste. La presque totalité de tous ces petits hebdos régionaux, magazines alternatifs et autres organes de presse « indépendants » (sauf le QL évidemment) sont déjà subventionnés à plein régime, soit dit en passant. Les propositions de la FPJQ et de ses alliés feraient en sorte d'augmenter encore plus le pouvoir d'intervention bureaucratique dans les entreprises de presse.   
 
  
     « On voit bien que le seul but de la clique journalistique n'est pas d'empêcher une concentration d'influence, c'est de faire en sorte que ce soit la bonne influence qui soit concentrée, celle de l'État et du mouvement idéologique étatiste. » 
 
 
          La raison pour laquelle le phénomène de concentration de la presse est tant redouté ne serait-elle pas en fait la menace qu'il pose pour la clique journalistique? Dans le contexte actuel où l'État, les syndicats et leurs alliés dominent tout, les grands groupes de presse sont peut-être justement le seul contrepoids possible, les seuls capables de résister à ces pressions et de garantir qu'un point de vue différent puisse s'exprimer sans contrainte et sans représailles.  
  
          On l'a vu au Canada anglais: la prise de contrôle par Conrad Black de la chaîne Southam et la très grande indépendance financière de l'immense groupe de presse ainsi créé (dont la plus grande partie a été vendue depuis) ont permis de briser le monopole des nationalo-gauchistes sur les médias canadiens-anglais. Le Canada n'a jamais eu une information aussi diversifiée et une presse aussi dynamique que depuis cette transaction. Le lancement du National Post, qui fait dans ses pages la promotion sans complexe d'un point de vue libertarien-conservateur, a par ailleurs enclenché une véritable petite révolution dans le monde renfermé des débats idéologiques au pays. 
  
          Ces changements ne sont pas survenus parce que les gouvernements ont encouragé et subventionné les petits médias « indépendants » (i.e., ceux qui dépendent de l'État), mais suite aux décisions d'affaires judicieuses d'un puissant groupe dont on dénonçait le trop grand contrôle sur la presse du pays. Les journalistes nationalo-gauchistes québécois craignent-ils une évolution semblable dans la société distincte? 
    
Cyberjournalisme sans foi ni loi 
    
          L'internet est le seul moyen de diffusion où il est possible de propager sans contrainte et à peu de frais des points de vue radicalement alternatifs. Voilà qui devrait sourire à nos champions du pluralisme de l'information. On découvre cependant sans surprise que l'émergence de véritable cybermédias indépendants comme le QL fait peur à la clique journalistique nationalo-gauchiste.  
  
          En plus de réclamer, lui aussi, la création d'un fonds d'aide aux organes d'information indépendants, le Conseil de presse du Québec (la bureaucratie qui sert de chien de garde dans le domaine de l'« éthique journalistique ») recommande que le gouvernement « commande sans tarder une étude sur le domaine sans foi ni loi du "cyberjournalisme", de manière à voir à l'établissement et au respect de balises déontologiques pour les nouveaux médias de l'autoroute de l'information. »* 
  
          Et qui est-ce qui s'offre pour mener à terme ce lourd mandat? « Le Conseil de presse accueillerait par ailleurs favorablement que lui soit confiée toute étude complémentaire, si besoin était, portant sur la problématique de la concentration ou sur la dimension éthique – ou son absence – de l'autoroute de l'information, un territoire sur lequel il lui apparaît urgent de proposer et d'implanter des balises déontologiques, dans l'intérêt de l'ensemble des usagers québécois de l'information. Il va de soi que tout élargissement de la vocation du Conseil ou tout mandat additionnel devant lui être confié présupposera l'ajout, de la part de l'État, de ressources supplémentaires, de manière à ce qu'il puisse remplir sa mission élargie avec suffisamment de latitude et en toute indépendance. » L'art de se créer de l'emploi! 
  
          S'il en fallait une, cette proposition est une preuve supplémentaire de la volonté de la clique journalistique de museler ceux qui pensent différemment au Québec et d'empêcher l'émergence d'une véritable information diversifiée. Ce n'est pas la concentration de la presse et le manque de diversité qui préoccupent ces apparatchiks, c'est la perspective de perdre leur pouvoir et leur contrôle sur une industrie qui se transforme sous l'effet de la mondialisation et d'une libéralisation accrue. La Pravda a fini par disparaître en Union soviétique avec la chute du communisme. Au Québec aussi, le monopole idéologique du nationalo-gauchisme tire à sa fin. 
  
 
*Le QL annonce officiellement dès maintenant qu'il n'a aucune intention de se conformer à quelques réglementation bureaucratique ou « balises déontologiques » politically correct que voudrait lui imposer le Conseil de presse. TENEZ VOS MOLOSSES EN LAISSE!
  
  
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Le Québec libre des nationalo-étatistes  
L'ÉTAT, NOTRE BERGER?
  
        « Après avoir pris ainsi tour à tour dans ses puissantes mains chaque individu, et l'avoir pétri à sa guise, le souverain étend ses bras sur la société tout entière; il en couvre la surface d'un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes, à travers lesquelles les esprits les plus originaux et les âmes les plus vigoureuses ne sauraient faire jour pour dépasser la foule; il ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d'agir, mais il s'oppose sans cesse à ce qu'on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n'être plus qu'un troupeau d'animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. »    

Alexis de Tocqueville   
DE LA DÉMOCRATIE EN AMÉRIQUE (1840) 

 
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