Montréal, 17 février 2001  /  No 77
 
 
<< page précédente  
 
 
 
 
Gilles Guénette est diplômé en communications et éditeur du QL.
 
LIBRE EXPRESSION
 
LES FRANÇAIS ET L'ART:
UNE DRÔLE DE RELATION
 
par Gilles Guénette
  
  
          Pour souligner la sortie de son 200e numéro, Beaux Arts magazine dévoilait en janvier les résultats d'un sondage sur les rapports qu'entretiennent les Français avec l'art. « [L]a très grande majorité des Français pensent que l'art est une valeur universelle indispensable à l'humanité et que notre société y consacre une place très nettement insuffisante » pouvait-on lire dans l'éditorial de Fabrice Bousteau, rédacteur en chef du magazine. Les résultats de ce sondage BVA prouvent encore une fois qu'on peut faire dire n'importe quoi à une poignée de statistiques.
 
À questions biaisées, réponses biaisées 

          Les adeptes de l'interventionnisme culturel savent comment aller chercher les outils qui vont les aider à faire avancer les choses dans la direction souhaitée – ils cumulent des années d'expérience et ont accès à un riche réseau de tribunes pour s'exprimer. Ainsi, pour faire en sorte que leur sondage soit « pertinent » et qu'ils atteignent les résultats désirés, les gens de Beaux Arts magazine se sont d'abord efforcés de rendre la culture indispensable aux yeux du sondé pour ensuite lui faire dire que ça ne lui dérangerait pas de payer davantage d'impôts pour que rayonne cette noble chose sur tout le globe. Un jeu d'enfant pour quiconque sait comment s'y prendre. 

          Deux questions leur ont permis d'atteindre ce but. La première: « Avec laquelle des opinions suivantes concernant l'art êtes-vous personnellement le plus d'accord? L'art c'est... 1) quelque chose d'universel et d'essentiel pour l'humanité ou 2) une forme de luxe inutile et réservée à des privilégiés? » Soixante-sept pour-cent des Français croient que l'art est « quelque chose d'universel et d'essentiel pour l'humanité », par opposition à 16% qui croient qu'il s'agit d'« une forme de luxe inutile et réservée à des privilégiés ». Mettez-vous dans la peau d'un sondé et demandez-vous: Qu'est-ce que j'aurais répondu à leur place? Possiblement la même chose... 
  
          C'est un truc vieux comme le monde du sondage: Offrez un choix de réponses qui n'en est pas vraiment un. Entre une option ultra-positive comme la première et une autre ultra-négative comme la seconde, il est certain qu'une majorité de répondants opteront pour la première. L'être humain est foncièrement positif (et culturel). Si la formulation de la seconde option avait inclus quelque chose comme « l'art est un élément indispensable au bon développement de l'être », l'écart entre les deux résultats aurait été tout autre. L'exercice aurait été inutile. 
  
          La seconde question (piège) du sondage avait trait au financement de l'art – comment passer à côté au royaume de la fonction publique! Ainsi, « Pour encourager l'art en France, pensez-vous qu'il faille en priorité: 1) Doubler le budget du ministère de la Culture, sachant que celui-ci représente un peu moins de 1% du budget de l'État, 2) Créer des incitations fiscales pour encourager les particuliers, les entreprises privées à acheter des oeuvres et faire du mécénat, ou 3) Ne rien faire, l'art doit se défendre tout seul? » Quarante pour-cent des personnes interrogées ont répondu « Doubler le budget », 26%, « Créer des incitations fiscales » et 21%, « Ne rien faire ». 
  

 
     « Peut-être qu'à force de réclamer l'intervention de l'État pour les protéger de tout et d'eux-mêmes, les citoyens de l'Hexagone en sont venus à consommer moins d'art? » 
 
 
          La mention au passage du budget de la culture qui ne représente qu'« un peu moins de 1% du budget de l'État » n'est certes pas anodine, on veut que le sondé soit confronté à la petitesse du pourcentage avant de répondre. Que le rédacteur en chef de Beaux Arts magazine déclare ensuite en éditorial que la très grande majorité des Français « demande le doublement du budget que l'État consacre à la culture » ne l'est pas moins, on veut s'assurer des lendemains meilleurs. Mais si l'on additionne les résultats des deux dernières catégories, c'est près d'un Français sur deux (47%) qui rejettent l'idée d'un doublement du budget... Ça, on préfère ne pas en parler. 
  
Lire entre les lignes 
  
          Selon le magazine donc, les deux tiers des Français (soit les 40% et 26% de ceux qui veulent que l'État intervienne) considèrent que l'art n'est pas en mesure de se défendre seul. Pourtant, selon d'autres chiffres publiés dans le même sondage Beaux Arts magazine, 77% des personnes interrogées disent ne jamais aller au théâtre, un même nombre dit ne jamais assister à des spectacles de danse, 59% disent ne jamais aller au concert et 51% disent ne jamais visiter d'expositions... 
  
          Avec de telles statistiques de fréquentation, on comprend pourquoi l'art ne peut se défendre seul. Il ne peut se défendre seul contre l'indifférence crasse des Français. Si nos « cousins » aiment tant cette « valeur universelle indispensable à l'humanité », ils ont une bien drôle de façon de le démontrer. Peut-être qu'à force de réclamer l'intervention de l'État pour les protéger de tout et d'eux-mêmes, les citoyens de l'Hexagone en sont venus à consommer moins d'art? Peut-être n'en ont-ils plus les moyens? 
  
          Vive la France (surtaxée)! 

  

  
  
          Dans un même ordre d'idée, Le Figaro s'interrogeait dans son édition du 10 février sur la pertinence du patrimoine architectural du XXe siècle et posait la question suivante: Faut-il conserver ou raser? « [N]'est-il pas temps de faire des choix, quitte à raser les édifices "ratés"? Et si oui, lesquels? » 

          À l'aide d'un jeu interactif des plus rigolos (Villes du XXIe siècle: ce qu'il ne faut plus jamais faire), le quotidien demande à ses lecteurs de « Conserver » ou de « Détruire » une quarantaine d'édifices connus comme la Grande Arche de la Défense, le Tribunal de grande instance ou l'Opéra de la Bastille. Au moment d'écrire ces quelques lignes, les dix monuments les plus souvent « détruits » étaient: 

  • Le Cap d'Agde et stations balnéaires nouvelles du Languedoc-Roussillon – détruit 193 fois
  • L'Église Saint-Pierre – détruite 185 fois
  • Le Tribunal de grande instance – détruit 178 fois
  • La Faculté des Sciences Jussieu – détruite 177 fois
  • Le Quartier de l'Arlequin – détruit 163 fois
  • La Station de sports d'hiver – détruite 163 fois
  • La Bibliothèque nationale de France François Mitterrand – détruite 154 fois
  • L'Opéra de la Bastille – détruit 153 fois
  • Le Grand ensemble – détruit 133 fois
  • Tour Thiers – détruite 130 fois
          Les résultats de ce jeu questionnaire viennent en quelque sorte vérifier ce qu'une partie des résultats du sondage de Beaux Arts magazine révélait: en matière d'art, les Français sont plutôt conservateurs. À preuve, le Grand Palais, triomphe de l'architecture Beaux-Arts, a été « conservé » 310 fois pour n'être « détruit » que trois fois. Dommage que les bâtiments d'architectes français « hors Hexagone » n'aient pas été inclus dans la liste du Figaro, les Montréalais auraient pu s'amuser à détruire leur stade olympique... 
  
 
Articles précédents de Gilles Guénette
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO