Montréal, 12 mai 2001  /  No 83
 
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle prépare un essai sur la liberté de ne pas s'associer en contexte de relations de travail syndiquées et travaille à son premier roman.
 
BILLET
  
SUR LES CONSÉQUENCES
FÂCHEUSES DE LA VIE
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          « Vous rappelez-vous ce que vous disait votre maman quand vous étiez petits? » demande Jackie Mason à la foule pendant l'un de ses spectacles. « Elle vous disait de manger votre viande. "Don't eat junk food! Eat meat!" Voilà ce avec quoi nous avons tous grandi. » Laissant quelques secondes à l'auditoire pour absorber l'information, l'humoriste continue: « Maintenant, ils font des études sur le cholestérol, et ils disent que la viande rouge est l'un des trucs les plus dangereux qui soient... » Une autre petite pause (pour l'effet, sans doute) avant de s'exclamer: « Turns out your own mother was trying to kill you! » 
 
D'une main vers l'autre 
  
          Les gens sont remplis de bonnes intentions. Seulement voilà, rien de tout cela ne nous met à l'abri des conneries et des imprévus. Prenez par exemple l'étude récente sur les taux élevés d'agressivité chez les enfants américains qui passent plus de 30 heures par semaine dans les garderies. Combien de parents horrifiés se sentent maintenant coupables d'avoir sacrifié l'équilibre socio-psychologique de leurs rejetons pour une carrière et un chèque de paie? (Rien de tel qu'un petit coup de panique pour s'élever d'un sérieux cran le niveau de stress – ce qui n'arrange rien côté équilibre socio-psychologique, vous en conviendrez.) 
  
          Qui sait, peut-être qu'un jour quelqu'un poursuivra le gouvernement du Québec pour avoir encouragé la production de délinquants juvéniles grâce à sa politique de garderies (oh pardon, de « centres de la petite enfance ») à 5$ par jour. 
  
          Bon, vous allez sans doute dire que j'exagère. Que je me sers d'une étude – largement contestée, soit dit en passant – pour monter sur mes grands chevaux. Que je ne connais probablement rien à l'éducation des enfants. Que je ferais mieux de retourner tranquillement cultiver mes radis et de vous laisser mener votre vie comme ça vous chante. 
  
          Z'avez pas idée à quel point vous auriez raison. Je m'en fiche pas mal, de ce que les gens font avec leur vie. Ce qui me met hors de moi, par contre, c'est quand ils réalisent qu'ils ont prodigieusement gaffé et qu'ils viennent brailler pour recevoir l'aide d'un gouvernement qui ne se gêne pas pour venir chercher « leur » fric dans ma sacoche. 
 
          Je suis très souvent hors de moi, ça s'adonne, parce que la gang qui a grandi avec les politiques collectivistes en vigueur depuis les années 1960 est aujourd'hui prisonnière d'un modèle archi-interventionniste dans lequel tout le monde profite d'un programme gouvernemental ou d'un autre. Des bébés-bonus aux centres d'hébergement de longue durée, en passant par l'école publique, l'assurance-chômage, l'aide à l'achat d'une première maison, les REER et les autoroutes subventionnées, tout le monde passe sa vie à prendre d'une main en donnant de l'autre. Tout ça sous le regard bienveillant de l'État-gestionnaire-régisseur qui surveille nos mouvements de près et s'assure que tout le monde profite également de la richesse collective. 
  
  
     « Toutes ces interventions étatiques et programmes gouvernementaux sont bien populaires auprès de la classe moyenne des cols blancs urbains. Vous savez pourquoi? Parce qu'ils leur donnent l'impression d'être des gens responsables et charitables. »  
 
 
          Cette spirale interventionniste ne s'arrêtera jamais d'elle-même. Chaque innovation technologique servira à nous surveiller d'un peu plus près (pensez aux cartes à puces que le ministère de la Santé cherche à implanter), et fournira du même coup une mosus de belle excuse à nos control freaks nationaux pour légiférer les aspects les plus privés de notre vie. 
  
Entre deux extrêmes 
  
          C'est arrivé encore une fois la semaine dernière, avec le projet de loi fédéral d'Allan Rock sur les techniques de reproduction. En gros, on veut interdire le clonage humain, empêcher les pratiques qui visent à déterminer le sexe d'un enfant à naître, tout comme celles qui permettent d'utiliser les embryons comme « spare parts ». On veut également défendre aux mères porteuses de se faire payer pour leurs services parce que, dit-on, cela reviendrait à traiter les enfants comme des objets. (Les politiciens disent vraiment n'importe quoi.)  
  
          Toutes ces interventions étatiques et programmes gouvernementaux sont bien populaires auprès de la classe moyenne des cols blancs urbains. Vous savez pourquoi? Parce qu'ils leur donnent l'impression d'être des gens responsables et charitables, tout en leur enlevant la désagréable responsabilité d'avoir à dealer avec les conséquences parfois fâcheuses qui en résultent. 
  
          Il y a des gens qui placent leurs petits dans des garderies « accréditées » et qui, s'ils sont chanceux, peuvent suivre les mouvements de leurs bambins sur des sites internet prévus à cette fin. Et si jamais les craintes de quelques chercheurs sont fondées et que leurs marmots se transforment en serial killers, il leur sera toujours possible de réclamer une quelconque aide gouvernementale. 
  
          D'autres placent leurs parents en perte d'autonomie dans des centres high-tech où leurs moindres mouvements – signes vitaux, quantités de pipi et heures de sommeil –, ainsi que leurs conversations et interactions sociales sont enregistrés et transmis à la famille. (C'est pas une blague, ça existe pour vrai. Jetez un coup d'oeil sur le dernier numéro du Atlantic Monthly, frissons dans le dos garantis.) Et personne ne s'indigne du côté passablement inhumain à laisser des vieux croupir dans leur coin jusqu'à ce qu'ils en crèvent d'ennui. 
  
          Entre ces deux extrêmes, il y a les lois qui veulent empêcher les femmes canadiennes qui le désirent de louer leur bedaine à des couples infertiles pour de l'argent. Rapport à la dignité de la vie humaine, vous comprendrez. 
  
          Sauf que ça finit par donner de drôles de résultats: faire un bébé pour du fric ne respecte pas la dignité humaine; mais il n'y a pas de problème à parquer ses enfants dans un enclos collectiviste subventionné par l'argent de tout le monde et à plugger une demi-douzaine de sondes sur des personnes âgées en perte d'autonomie.  
  
          Il y a là comme un petit problème de cohérence, moi que je dis. 
 
 
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