Montréal, 7 juillet 2001  /  No 85  
 
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Brigitte Pellerin est apprentie-philosophe iconoclaste, diplômée en droit et en musique. Elle prépare un essai sur la liberté de ne pas s'associer en contexte de relations de travail syndiquées et travaille à son premier roman.
 
BILLET
 
L'ÉTAT, C'EST VOUS ET MOI
 
par Brigitte Pellerin
  
  
          Les orphelins de Duplessis ont finalement réglé. Ça vous va? 
  
          Non, sérieusement. Que pensez-vous du « programme national de réconciliation »? Moi, je trouve qu'ils commencent à faire sérieusement suer avec leur national-ci, national-ça. Mais encore? 
 
          Mis à part la terminologie plus-que-parfaitement horripilante, c'est difficile de dire si on est d'accord ou pas avec le règlement négocié entre le gouvernement et les dirigeants du comité des orphelins. Une moyenne de 25 000 $ par personne, pour les 1000 à 1200 orphelins concernés, ce n'est quand même pas rien (entre 25 et 37 millions $ au total). Mais est-ce assez? Est-ce trop? Les organisateurs du comité auraient voulu au moins le double. Ont-ils raison?
 
L'art de brouiller les pistes 
 
          No se, pas savoir. Et je n'ai trouvé personne non plus pour expliquer pourquoi il fallait que des gens qui n'ont jamais eu rien à voir avec ces histoires d'horreur se retrouvent forcés de payer la facture. 
  
          C'est ce qui arrive, aussi, quand on laisse les gouvernements s'occuper de tout. Les histoires deviennent tellement mélangées qu'une chatte n'y retrouverait pas ses petits. On ne sait plus trop qui a raison et qui a tort. Et il est presque impossible de réparer une injustice sans en créer une autre. 
  
          Les orphelins de Duplessis ont été faussement désignés comme débiles mentaux (c'était avant l'époque du politically correct) à des fins purement monétaires – le gouvernement fédéral versait plus pour un handicapé mental que pour un « simple » orphelin. Bien sûr que ces enfants ont été maltraités. Certains ont été battus et violentés, d'autres ont reçu des électrochocs, et la plupart ont grandi sans recevoir aucune éducation digne de ce nom. C'est injuste, brutal, cruel. 
  
          Mais est-ce suffisant pour laisser le gouvernement d'aujourd'hui forcer tous les contribuables québécois à indemniser les orphelins? 
  
Rencontres fortuites 
 
          Vous ai-je-tu dit que j'avais rencontré une douzaine d'orphelins lors d'un interminable Droit de parole à Télé-Québec il doit bien y avoir un an et demi maintenant? Il y avait sur le plateau Daniel Jacoby, à l'époque Protecteur du citoyen, qui y allait de grandes déclarations à fendre l'âme sur les dommages qu'un gouvernement particulièrement sans coeur avait infligés à des enfants, pour une simple question de transferts de fonds fédéraux. Bouh! Que Duplessis était donc méchant de laisser faire une chose pareille. 
  
          J'étais d'accord sur un ou deux points. Bien sûr que ça n'a pas de bons sens de faire passer des enfants illégitimes pour simples d'esprit et de leur faire subir toutes sortes de mauvais traitements. Des centaines de gens ont eu une vie gâchée, et c'est évidemment tragique. D'accord pour la sympathie. 
  
     « On pourrait discuter sans fin du mérite de la cause des orphelins de Duplessis. Mais il me semble que les responsables sont les gouvernements et ordres religieux de l'époque, pas les payeurs de taxes d'aujourd'hui. »
 
          Mais de là à leur donner plein de sous? Euh… Non, pas vraiment. D'abord, parce que je ne crois pas aux paiements forfaitaires. Ce que ces gens ont besoin, c'est de l'aide et un peu de chaleur humaine, pas du fric. Ensuite, que fait-on des vrais malades mentaux de l'époque – il n'y a pas de raison de penser qu'ils ont été mieux traités que les orphelins de Duplessis. Qu'est-ce qu'ils deviennent, ces gens-là? 
  
          Et puis enfin, vous savez ce que certaines des orphelines m'ont dit après l'émission? Que ce qu'elles voulaient le plus, au fond, ce n'était même pas de l'argent, mais plutôt que les communautés religieuses s'excusent publiquement. 
  
          On pourrait discuter sans fin du mérite de la cause des orphelins de Duplessis. Mais il me semble que les responsables sont les gouvernements et ordres religieux de l'époque, pas les payeurs de taxes d'aujourd'hui. Dans un système où le gouvernement n'occupe qu'une toute petite place, il y a toujours moyen de poursuivre celui/celle/ceux qui nous ont causé du tort sans pour cela punir des contribuables innocents. 
  
          Mais dans notre système hyper-étatisé où Super-Bernie s'occupe de tout, il n'y pratiquement aucune limite aux indemnités payées à n'importe qui pour n'importe quoi. 
  
Les orphelins de Landry 
 
          Comme par exemple l'histoire de fous rapportée dans La Presse du 20 mai. Imaginez-vous donc qu'un avocat nommé Jean Brochu, gambler notoire, tente d'obtenir la permission d'intenter un recours collectif contre Loto-Québec au nom des joueurs pathologiques – c'est-à-dire quelque part entre 25 000 et 50 000 personnes qui seraient médicalement diagnostiquées (uh?) comme joueurs pathologiques. 
  
          C'est que voyez-vous, pendant les six ans que ça lui a pris à perdre jusqu'à sa dernière chemise, jamais le gouvernement ne l'a informé des dangers du jeu compulsif. Selon Jean-Paul Michaud, l'un des deux avocats de Brochu, « Si les gens avaient été informés du danger du jeu compulsif, ils pourraient aujourd'hui dire qu'ils agissaient en connaissance de cause. Mais ce n'était pas le cas. Aujourd'hui, on veut que l'État prenne ses responsabilités face à la situation qu'il a créé. » 
  
          Ben oui, hein. C'est pour ça qu'il faut intenter un recours collectif pour que tous les autres tatas qui ne savaient pas que le jeu compulsif pouvait leur faire perdre toutes leurs billes puissent recouvrer les dépenses encourues pour soigner [sic] leur maladie [re-sic]. « En tenant compte des frais médicaux et thérapeutiques ainsi que des honoraires professionnels pour conserver leur emploi que les joueurs pathologiques ont dû assumer, les montants réclamés pourraient atteindre 5000 $ par personne, » disait l'article. 
  
          L'État doit prendre ses responsabilités, dit-on. Mais l'État, quand vient le temps de payer la facture, c'est qui au juste? 
  
 
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