Montréal, 15 septembre 2001  /  No 88  
 
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Hervé Duray est étudiant à l'École Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
UN ÉCONOMISTE OBSÉDÉ
PAR LES INÉGALITÉS
 
par Hervé Duray
  
  
          Quand l'université est publique, quand les seuls organismes de recherche sont étatisés, et que les seuls cercles de publication reconnus médiatiquement sont les « Conseils économiques et sociaux » gouvernementaux, il est fort logique que les chercheurs récompensés défendront l'étatisme. L'expert est instrumentalisé et s'il veut faire carrière, il a intérêt à bien choisir ses sujets.
 
          Thomas Piketty est en ce moment l'économiste à la mode. Et pour le devenir, il a assimilé parfaitement le fonctionnement du système, ou peut-être est-il intimement convaincu de ses thèses; toujours est-il qu'il est un défenseur ardent de la fiscalité, instrument de lutte contre les inégalités. Au début du mois, il publiait un ouvrage, Les hauts revenus en France au XXe siècle (éd. Grasset), une recherche sur l'impact de la fiscalité sur les inégalités. 
 
La toute première fois... 
 
          Première constatation établie avec horreur par Thomas Piketty: « C'est la première fois dans l'Histoire qu'un gouvernement de gauche baisse les taux les plus élevés de l'impôt sur le revenu. » Le gouvernement socialiste de M. Jospin est donc mis en garde contre une baisse des impôts « qui ferait courir à la France le risque de redevenir une société de rentiers ». 
 
          Diantre, le risque est grand! Certains pourraient limiter leur charge de travail grâce à l'argent accumulé, épargné, et bien géré qu'ils ont gagné honnêtement. Mais cela pourrait être pire: imaginez des personnes oisives: quelle déchéance sociale! Elles pourraient jouer au tennis l'après-midi, s'adonner au backgammon le matin, voyager... Elles échapperaient à la jouissance du travail, aux week-ends impossibles à prendre pour cause de rapport urgent, au stress des transports en commun... Impensable quand on est Piketty!! 
 
          L'impôt sur le revenu des personnes physiques a été créé en 1914 (la guerre, c'est la santé de l'État) et il touche aujourd'hui 50% des contribuables français. La tranche maximale, sujet de son ire, a baissé cette année d'un point, passant de 54 à environ 53%. Bien sûr, c'est déjà ça, mais admettez que cette baisse ridicule n'aura qu'un effet psychologique très limité, pas de quoi inciter à travailler plus, à créer de nouvelles richesses. 
 
          Par contre, l'effet politique est littéralement inverse de l'effet réel: la gauche « plurielle » s'est étouffée de fureur, même si les communistes ont « laissé faire » (sic). Au sein même du Parti socialiste, la contestation a été forte. Henri Emmanuelli, chef de la Gauche socialiste au sein du PS, a loué le travail de Piketty: « un travail qui honore le métier de chercheur ». Il regrette bien entendu la décision de Jospin de baisser les impôts: « Il n'y a, en effet, aucune justification économique à la baisse des taux supérieurs de l'IR ». 
 
La Grande promo: –0.375% 
 
          Mais les nécessités électorales l'ont emporté sur l'idéologie semble-t-il: 45 milliards de francs devraient donc être rendus progressivement aux Français sur trois ans, 15 misérables milliards chaque année, c'est-à-dire 0.375% de baisse sur les 4000 milliards d'impôts, charges sociales, cotisations, accises, taxes, frais et autres extravagances sémantiques pour désigner le vol légal. La publicité extravagante (voir BAISSE DES IMPÔTS EN TROMPE-L'OEIL sur la Page libérale) faite autour de ces « baisses » illustre bien le choix qui a été fait par Lionel Jospin.  
  
          Le premier ministre a même laissé entendre que l'argent laissé aux citoyens permettrait de « soutenir la consommation », ce qui « soutiendra la croissance ». Implicitement, il accrédite donc l'idée selon laquelle les impôts ont un effet négatif sur l'économie, puisqu'ils briseraient cette croissance... Mais on n'en est plus à une incohérence près, n'est ce pas? Aux raisons idéologiques, une raison pratique est donc opposée, mais voilà qu'avec la conjoncture mauvaise les rentrées fiscales ne sont plus ce qu'elles étaient et de cagnotte on passe à trou d'air. Et les idéologues retrouvent des couleurs. 
 
          Même si l'on est loin, très loin d'une « forte baisse de l'impôt sur le revenu », les gauchistes voient poindre le danger. Après tout, ils n'ont pas tort, ils savent bien qu'un mouvement est difficilement réversible, il n'y a qu'à regarder les taux d'imposition records français pour s'en convaincre! Il ne faut donc surtout pas commencer à baisser les impôts. 
 
     « De même que les gauchistes emploient volontiers le mensonge et l'anathème en lieu et place de l'argumentation, ils utilisent la violence pour arriver à leurs fins, incapables qu'ils sont d'assimiler des règles de vie commune acceptables par tous, et surtout par eux-mêmes. »
 
          Mais il n'y a pas que la fiscalité pour « faire » les inégalités, c'est une évidence: les fortunes se construisent au travail et par exemple, le boom de la Net-économie des dernières années a vu naître quelques fortunes, même en France (si, si!). Les services rendus par les entreprises sont réels, les heures de travail n'ont souvent pas été comptées dans les entreprises de la Net-économie, justement poussées par cet Eldorado possible. L'internet a définitivement changé nos vies, et de même que l'invention de la vapeur a ouvert une ère nouvelle, avec l'internet c'est, à mon humble avis, encore une nouvelle ère qui s'ouvre. La créativité humaine qui avait peu de limites se trouve maintenant face à un espace infini, où littéralement tout devient possible. Avoir repoussé les frontières du possible pour l'humanité entière, voilà qui est un crime impardonnable pour un socialiste. 
 
          Les gauchistes auront donc un peu de mal à nous faire croire que les fortunes des entrepreneurs et, incidemment, des business angels qui les ont financés, sont indues. Où est l'exploitation? Où est le mal? Avoir eu la bonne idée au bon moment, est-ce un crime? Être un pionnier, un découvreur ou un bon organisateur, est-ce un crime? Les fortunes déjà établies sont issues des mêmes processus: les entrepreneurs prennent des risques, parfois échouent, parfois réussissent. Aucune fortune n'a été bâtie sur du sang, sauf celles des conglomérats militaires, mais là, c'est une autre histoire, car sans États, pas de guerres. 
 
          Mais même lavées du soupçon d'exploitation, les inégalités sont toujours condamnables de facto pour un socialiste. Thomas Piketty plutôt que de voir la réussite d'esprits libres et progressistes (apportant un progrès), voit dans l'émergence des fortunes une démission insoutenable des États, coupables de laisser les inégalités se creuser: « le phénomène a été fortement facilité par l'abaissement généralisé des taux marginaux d'imposition frappant les revenus les plus élevés ». En fait, face à la création de richesse inouïe, les États auraient dû confisquer la récompense du risque! 
 
Des parents plus que PC 
 
          Le petit Thomas a été à la bonne école avec ses parents, tous deux militants à Lutte Ouvrière. Dans les années 70, ils décident d'aller élever des chèvres dans l'Aude. Le petit Thomas prend alors la mesure du contraste entre la vie chiche qu'il mène et celle, normale, menée à Paris quand il est chez ses grands-parents. Il dit de lui-même: « J'ai, souvent, dans ma vie, été confronté à des mondes, et à des pouvoirs d'achat, très différents. » Il n'a pas dû faire le lien entre l'erreur de ses parents et leur pauvreté. Un peu comme si un Berlinois de l'Est avait sauté le mur et une fois arrivé à l'Ouest était reparti du côté Est en maugréant sur l'injustice dont sont victimes les « défavorisés » de l'Est. Cela vous fait sourire, pourtant c'est bien le raisonnement qu'il tient. 
 
          La fortune, comme je l'expliquais, est issue du travail acharné pour réussir, pour satisfaire le besoin d'autres consommateurs. Dans ce cas, si une fortune est maintenue, c'est que les héritiers ont continué ce travail et alors personne ne peut les en déposséder. Et si par contre ils la dilapident, et bien tant mieux: regardez, ils ne savent qu'en faire, ils la distribuent autour d'eux! Le fait d'avoir des concentrations financières localisées n'est donc absolument pas un problème. D'ailleurs, à reparler de la Net-économie, comment ferait-on sans investisseurs déjà fortunés? Mais chez les socialistes, on se satisfait des pétitions de principe et les faits sont laissés de côté dès lors qu'ils n'entrent pas dans le cadre de la propagande. 
 
          Quant à l'inefficacité, étant donné le keynésianisme qui règne comme seul outil économique bien assimilé en France, je suppose qu'ils pensent que les fortunes sont « thésaurisées » (cachées sans être réinvesties), comme si cela pouvait encore exister aujourd'hui! Et quel meilleur exemple que celui qui a réussi et montre ainsi aux autres que le travail paye. La fiscalité progressive est le meilleur moyen de tuer l'initiative et le travail: mais ainsi il ne restera que des prolétaires, et donc une clientèle élargie! 
 
          De même que les gauchistes emploient volontiers le mensonge et l'anathème en lieu et place de l'argumentation, ils utilisent la violence pour arriver à leurs fins, incapables qu'ils sont d'assimiler des règles de vie commune acceptables par tous, et surtout par eux-mêmes. Et pour les inégalités, cela est plus qu'évident: car qui accepterait volontairement de se défaire d'une partie de son travail, de se voir réduit à l'esclavage à 53% dès le enième franc gagné? 
 
          Henri Emmanuelli avoue donc: « La réduction ou l'augmentation des inégalités n'est pas la conséquence d'un processus économique "naturel" ou "spontané", mais résulte avant tout d'un choix politique. » Les inégalités émergent donc spontanément, naturellement. Et pour aller à l'encontre de la nature, il faut bien forcer... employer la force. Alors les socialistes ayant désigné l'ennemi exploiteur, la fortune « stérile », vont donc, force à l'appui, contrarier le cours naturel des choses. La boucle est bouclée. Ils brisent la diversité des situations, cassent les individus trop curieux, trop enclins au risque, trop originaux, ou ceux qui sont « mal » nés puisque dans des familles trop « aisées ». 
 
          Reste une interrogation: malgré tous les cache-sexe que peuvent brandir les gauchistes, pourquoi cette haine de l'autre? Est-ce l'envie comme me le suggérait Marc Grunert? Ou tout simplement le fait d'être mis face au fait que l'on a moins bien réussi, qu'intrinsèquement on est moins « bon » que l'autre? Ou est-ce encore le sentiment de compassion manipulé, grossi, déformé en solidarité obligatoire? 
  
  
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