Montréal, 13 octobre 2001  /  No 90  
 
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Hervé Duray est étudiant à l'École Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
LES PHARMACIENS FRANÇAIS BIENTÔT FONCTIONNARISÉS
 
par Hervé Duray
  
  
          La soviétisation de la santé en France(1) était jusqu'ici passée par des lois, de contraintes, et d'inévitables résistances de la part des professionnels de la santé. Les clients ne s'en sont à l'heure actuelle que marginalement plaints. Les promesses de soins gratuits, de médicaments gratuits les ont tenus cois: ils n'ont pas encore compris que les déficits continus de la Sécurité Sociale(2) se transformeraient un jour en files d'attente, et beaucoup ne sont pas au courant que la disponibilité de certains équipements médicaux est ridicule comparé aux autres pays occidentaux.
 
Pilule ici, pilule là 
  
          Il y a de cela près d'un mois, un document de travail du MEDEF (syndicat patronal français) a été publié par le Quotidien du pharmacien. Les auteurs, inconnus, proposaient de mettre fin au monopole des pharmaciens sur la distribution des médicaments. Monopole tout relatif car les pharmaciens s'ils forment bien une profession réglementée comme un tas d'autres, sont tout de même en concurrence entre eux... concurrence elle-même toute relative car les prix des médicaments sont tous sauf libres en France! 
  
          Les pharmaciens sont accusés par le MEDEF, cogestionnaire du système paritaire de santé (la Sécurité Sociale), d'empocher 6 milliards d'euros, et de provoquer une surconsommation de médicaments. Il faut dire qu'en France, jamais une dose n'est donnée à un malade, mais une boîte. On se retrouve ainsi fréquemment avec 20 gélules d'un produit quand 12 suffiraient... Mais là encore, ce n'est pas la faute des pharmaciens, car qui choisit de distribuer sous telle ou telle forme? Il doit bien exister une Agence du Médicament autorisant les packagings divers non? Et pourquoi la Sécurité Sociale rembourse-t-elle des boîtes complètes et pas la dose précise? On comprend alors que les laboratoires sautent sur l'occasion de vendre « trop » de médicaments, appuyés par les pharmaciens et les médecins! 
  
          Dans le projet du MEDEF, désavoué publiquement depuis car trop « sensible », les officines disparaîtraient au profit des organismes de Sécurité Sociale devant distribuer les médicaments. Hormis le fait qu'il faut une certaine qualification pour délivrer des médicaments, on voit mal comment la Sécurité Sociale, ce monstre inerte, pourrait distribuer quoi que ce soit de façon efficace. Quand on connaît les files d'attente des différentes Caisses de sécu on peut même craindre le pire! 
  
          Face à cette mise en cause de l'existence même des pharmaciens, on aurait pu imaginer la plus ferme opposition de la part des syndicats de pharmaciens. Pourtant, le président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques déclarait à TF1: « après la nationalisation et l'américanisation du système, je suis modérément surpris d'un tel projet ». Il blâme à la fois la libéralisation (sic) et la nationalisation, un peu tordu comme position n'est-ce pas? D'autant plus qu'il n'y a jamais eu en France de libéralisation, surtout pas dans le secteur de la santé.  
  
Co(n)gestion médicinale 
  
          Depuis 1945, la liberté de se soigner et de prodiguer des soins n'a cessé de reculer. La Sécurité Sociale, création des gouvernements de la Libération, est cogérée par le patronat et les syndicats « représentatifs » (c'est-à-dire reconnus comme tels par la loi). Devant l'impossibilité d'enrôler les médecins dans un système soviétique de façon volontaire, les règlements et conventions ont forcé les récalcitrants à abdiquer leur liberté. Avec les lois Juppé (soi-disant de droite), c'est maintenant le Parlement qui fixe les dépenses de Sécurité Sociale, objectifs uniquement comptables. C'est donc bien l'État qui tire les ficelles, même si ce sont les syndicats et le MEDEF qui gèrent la S.S. 
  
          Plus risible encore, quand ce même président s'inquiète en ces termes: « Bien au-delà de la question des pharmaciens, c'est de la privatisation de l'Assurance maladie dont il est question là. » (source: TF1) En fait, le projet du MEDEF consisterait à soviétiser encore plus la Sécurité Sociale en lui adjoignant la distribution des médicaments. Pour défendre ses adhérents, M. Capdeville devrait plutôt chercher des solutions à la situation actuelle, ou leur trouver une porte de sortie honorable. 
  
          Le Collectif national des pharmaciens, suite à cette ouverture du MEDEF, en a profité pour proposer sa solution. Au moins, elle est sans ambiguïté: tant qu'à soviétiser la santé, autant aller jusqu'au bout! En fait, même si ce collectif dénonce le projet du MEDEF, la proposition est du même ordre: « Nous proposons un système facultatif de suppression de la marge brute des pharmaciens et leur rattachement aux organismes sociaux ». Les « prix et volumes » des médicaments seraient ainsi laissés aux bons soins de la branche Assurance maladie de la Sécurité Sociale. L'organisme public devrait donc planifier, détecter les besoins futurs, répondre à la demande... Hautement improbable. Et en quoi cela changerait-il les pratiques actuelles? Effectivement, les marges des pharmaciens seraient définitivement annihilées, mais pour ce qui est de la surconsommation, cela ne changera rien. Quant à la possibilité pour les laboratoires de corrompre quelques personnes au sein de l'Agence et ainsi d'assurer un monopole effectif sur une molécule, elle s'en trouverait renforcée. 
  
De pharmaciens à dispensateurs 
 
          Alors pourquoi proposer une telle réforme me direz-vous? D'abord, parce que les personnes qui la mettent en avant ne comprennent pas les effets pervers d'une centralisation et d'un recul du marché. Mais il existe des justifications propres aux pharmaciens eux-mêmes: puisque le secteur de la pharmacie est encore un tant soit peu concurrentiel, certaines pharmacies se trouvent en difficulté! Et l'État devient alors l'unique recours: « En déjouant une dérive libérale, on évite la fermeture des petites pharmacies moins concurrentielles et pourtant indispensables. » Indispensables? La preuve que non, puisqu'elles n'ont pas assez de clients pour survivre! Et puis pour les pharmaciens acceptant de devenir des hommes de l'État, et donc d'abandonner le fonds de commerce, une petite indemnisation fera passer la pilule: 760 000 euros en moyenne. Un vrai pactole! 
  
     « Avec les lois Juppé (soi-disant de droite), c'est maintenant le Parlement qui fixe les dépenses de Sécurité Sociale, objectifs uniquement comptables. C'est donc bien l'État qui tire les ficelles, même si ce sont les syndicats et le MEDEF qui gèrent la S.S. »
 
          Comme le système doit être facultatif, toutes les pharmacies peu rentables sauteront sur l'occasion, le fonds de commerce étant racheté par l'État au prix fort. Exit les problèmes de gestion, de salaire, de fins de mois, de crédits, d'approvisionnement, les horaires à rallonge! Les pharmaciens recevraient directement les caisses de médicaments selon les quotas définis par l'Assurance maladie et deviendraient presque de simples caissiers! Quant aux 760 000 euros, placez les à 4% (taux faible comparé au rendement d'actions ou d'obligations), ça donne du 30 000 euros par an de revenus additionnels. 
  
          D'ailleurs, le président du collectif l'a bien compris: « On va les déconnecter des tracas liés à la vente du médicament. Ils ne seront plus des commerçants mais des dispensateurs de médicaments pour le bien de la communauté. » Rien ne vaut une belle envolée lyrique sur le bien de la communauté pour faire passer son intérêt tout personnel! 
  
          Rien ne dit ce qu'il adviendrait des étudiants en « pharma ». Car leur avenir se réduirait à celui de simples tenanciers de comptoir. Sans les avantages financiers, juste avec le salaire d'État. Donc le même partout, en Île-de-France où la vie est 30% plus chère qu'ailleurs, et où le travail est lui aussi 30% plus exigeant. Il va y avoir de profonds déséquilibres, personne ne souhaitera travailler dans des zones « difficiles ». Comme pour les profs, on verra fleurir des primes pour les pharmaciens en « Zone Expérimentale Pharmacologique » (c'est-à-dire banlieue dangereuse). Comme pour les infirmières et les médecins aujourd'hui, il va falloir « importer », car l'État Omniscient, Omnipotent n'a pas su prévoir la demande, et les salaires inadaptés face au travail découragent les étudiants.... quand ce ne sont pas tout simplement les quotas! 
  
          Et puis quid des pharmacies « traditionnelles »? Face à une concurrence d'État, ils mettraient certainement peu de temps à disparaître. Et si tel n'était pas le cas, on imagine qu'une loi ad hoc les obligerait à passer sous le nouveau régime. 
  
          Évidemment, on notera que les solutions MEDEF ou collectif font toutes deux appel à l'État: en France on a le « meilleur système de sécurité sociale du monde », comme au Québec! Alors surtout pas question de privatiser quoi que ce soit.... 
  
Santé à deux vitesses 
 
          Pourtant, le plus grand danger pour le système de soins réside aujourd'hui dans sa structure même. Étatiser tout le système se terminera comme en Angleterre avec le NHS: files d'attente, impossibilité de se faire soigner sur-le-champ, hôpitaux qui ferment (critique pour les services d'urgence), obligation d'avoir un médecin, sans choix possible. À écouter les médias français, ce serait la faute à Thatcher, pourtant les deux seules choses qu'elle n'a pas touché sont justement la santé et le rail: justement les deux pires calamités de l'Angleterre d'aujourd'hui! À terme, la dégradation générale du système de soins aboutira comme au Canada à pousser les gens ayant l'argent à aller se faire soigner en Suisse, en Allemagne, ou ailleurs. Vous pensez que je fabule? Pourtant les Anglais viennent couramment se faire soigner en France déjà. 
  
          Il est pourtant simple de concevoir un système libre, parce qu'il répond à des règles simples: chacun possède ses intérêts, avouables, et non plus camouflés sous le « bien public » ou « l'intérêt général ». Chacun possède aussi ses responsabilités, définies clairement: la compagnie d'asssurance doit minimiser le coût du système de santé, car elle rembourse à ses assurés, et doit placer les sommes non reversées. Les médecins ont eux une exigence forte: celle des moyens. Pas question donc en théorie de leur imposer de restrictions budgétaires. Pourtant, dans un contexte de rareté, tout médecin fait des choix économiques, sans quoi on passerait tous une radio des poumons à chaque rhume histoire de vérifier si on n'a pas une tuberculose!  
  
          Les assurés y trouveront leur compte: d'abord parce que la suppression de l'assurance obligatoire permettra à ceux qui n'en veulent pas de s'en passer, et pour les autres parce que les compagnies d'assurance seront toujours plus efficaces que la pléthore de fonctionnaires aujourd'hui nécessaires... pour avoir des retards dans le traitement des feuilles maladies! Et puis avec la liberté, on pourra aussi avoir toutes les gammes de couvertures... Noter qu'ici les assurés sont actifs, alors que dans le système étatique jamais il n'en est fait mention! Je les croyais pourtant les premiers concernés! Mais non, ils ne sont mêmes pas représentés dans les caisses de sécurité sociale, les syndicats étant supposés être « représentatifs » peut-être? 
  
          Et nos pharmaciens dans tout ça? Ils devront prouver qu'ils apportent une valeur aux assurés, en apportant des services, ou aux compagnies d'assurance en permettant de substituer des produits génériques à des produits plus chers. S'ils travaillent au contraire pour les laboratoires, j'imagine qu'ils devront tout de même aligner leurs prix sur ceux des concurrents, car personne n'acceptera de payer plus cher pour la même chose, exit donc les gaspillages! 
  
          Mais il semblerait que 5000 pharmaciens sur les 20 000 que compte la France sont d'ores et déjà prêts, aux dires du collectif, à devenir agents de l'État. Et l'État est toujours prêt à s'étendre. Je vous laisse imaginer la suite. 
  
  
1. Voir l'analyse de l'économiste Georges Lane et du médecin Patrice Planté sur le site de SOS Action Santé Europe: « Comment échapper à la soviétisation de la santé »>>
2. La « Sécu » comprend l'ensemble des organismes de retraite, d'assurance maladie, chômage, etc. C'est plus gros que le budget de l'État central (1700 milliards de francs, 260 milliards d'euros).  >>
  
  
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