Montréal, 2 février 2002  /  No 97  
 
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Hervé Duray est étudiant à l'École Supérieure de Commerce de Grenoble et tient La Page libérale, un site dédié au commentaire des informations sous un angle libéral.
 
LA PAGE LIBÉRALE
 
MÉDIAS SOUS INFLUENCE EN ITALIE
 
par Hervé Duray
  
  
          Comme je le racontais déjà dans un précédent article (BERLUSCONI, DUCE?, le QL, no 83), le premier ministre actuel d'Italie rassemble entre ses mains toutes les chaînes hertziennes du pays. Entre public et privé, rien ne lui échappe. Sylvio Berlusconi aurait déjà commencé à nommer ses amis à la tête des chaînes publiques. L'inquiétude est grande dans les cercles politiques européens qui y voient l'antithèse de la démocratie. Vous croyiez que la démocratie c'était le droit de vote? Naïfs que vous êtes, la démocratie c'est le contrôle de la télévision, et le pouvoir d'y placer ses amis!
 
          En France, Catherine Tasca a été la plus véhémente en réaction à cette situation, refusant d'accueillir le premier ministre italien, attendu pour l'inauguration du Salon du livre à Paris, centré cette année sur... l'Italie. Au nom de la lutte contre l'exclusion certainement? Comme d'habitude, c'est l'indignation à deux vitesses: quand le président Mitterrand nommait ses amis à des postes clés de l'audiovisuel français, qui criait au loup? 
  
          En Italie, Massimo D'Alema, concurrent direct de Berlusconi en tant que président des démocrates sinistra (de la gauche, en italien), a une position plus décapante: il suggère d'appliquer la loi de 1957 qui interdit à un concessionnaire d'une licence de télévision d'être élu. Ironie, cette loi ne semble pas interdire de se présenter à une élection. Et moi qui croyait que la démocratie c'était le respect de la vox populi par l'entremise du vote! 
  
          Au sein du gouvernement Berlusconi, il existe un autre cas manifeste de « conflit d'intérêt »: son ministre des Travaux publics n'est autre qu'un des entrepreneurs les plus importants du secteur. Va-t-il s'auto-attribuer des marchés? Encore plus amusant, l'avocat Carlo Taormina défendait ses clients de Cosa Nostra... tout en assumant les fonctions de secrétaire d'État à l'Intérieur, avant de démissionner heureusement: un avocat ne peut être dans les deux camps à la fois, il léserait ses clients. 
  
          Et puis les licences d'émission, ça se renouvelle. Berlusconi va-t-il renouveler la licence des chaînes télés de Mediaset qui ont fait sa fortune? Le suspense est immense! Et quand Rupert Murdoch rencontre Berlusconi en privé, est-ce pour parler politique ou business? Toujours est-il que le lendemain, l'action du groupe du premier ministre businessman montait en bourse. Dans quelle mesure les actionnaires ont-ils été influencés par la position politique de Berlusconi? Comment assurer dès lors la concurrence puisque Berlusconi peut garantir à Murdoch une licence en Italie contre une alliance ailleurs? 
  
Conflits d'intérêts 
  
          Les problèmes de conflits d'intérêts émergent dès lors qu'un homme politique peut user de sa position pour avantager ses clients, ses entreprises, sa famille... Cela permet, sans avoir à détourner d'argent, de profiter des lois pour accorder un avantage en dehors du marché. Le cas de Berlusconi est plus complexe puisque les reproches vont même jusqu'à lui nier la possibilité d'une vie politique, comme les propos de Massimo D'Alema le laissent entendre. 
  
          Les solutions envisagées par les politiciens tiennent tout au plus de la cautère sur la jambe de bois: comité de sages pour juger de la compatibilité entre un poste politique et une propriété ou une fonction, lois obligeant à vendre la propriété incriminée, limitations artificielles de possibilités de concentration dans les médias ou d'autres secteurs économiques... 
  
          Qui va nommer le comité de sages? Le pouvoir en place? Ne pourrait-il pas être tenté d'invalider une candidature gênante? Le problème basique du conflit d'intérêt n'est donc en rien résolu. Pire: il ajoute au premier problème un second bien pire: en forçant l'arrêt d'une activité ou la vente d'une propriété, il lèse le propriétaire du bien, les clients potentiels, ou en empêchant la concentration c'est toute idée de concurrence qui est tuée immédiatement! Et pourtant, toutes ces interrogations sans fins pourraient être balayées d'un revers de main. 
  
          D'abord rappelons aux démocrates, même ceux de gauche, que tout citoyen devrait avoir accès à toutes les fonctions de l'État, sans distinction de patrimoine ou de fortune diverse. 
  
     « Rien ne justifie que 50% des chaînes italiennes soient publiques... pourquoi pas 50% de l'édition aux mains des fonctionnaires? Pourquoi pas 50% des journaux aussi? »
  
          Concernant le renouvellement des licences de télévision des chaînes de Mediaset, la position libertarienne élimine le problème à la racine: pourquoi devrait-on demander à l'État d'avoir le droit de diffuser sa propre chaîne de télé? Non ce ne serait pas l'anarchie: il suffit là comme ailleurs de fixer des droits de propriété sur les canaux disponibles sur un territoire donné et de les vendre aux enchères. Le plus offrant sur une période donnée se verrait ainsi attribuer le droit d'émettre. Les rencontres entre magnats de la presse, qu'ils soient ministres ou pas ne changeraient alors rien au cours des actions... 
  
          Concernant les nominations d'amis au conseil d'administration des RAI, les chaînes publiques, le problème ne vient pas du fait que M. Berlusconi est à la fois concurrent de ces chaînes et leur directeur. Non, il tient dans l'existence même de ces chaînes. Rien ne justifie que 50% des chaînes italiennes soient publiques... pourquoi pas 50% de l'édition aux mains des fonctionnaires? Pourquoi pas 50% des journaux aussi? 
  
          D'une part je doute que les démocrates zélés puissent parler de « pluralité démocratique » lorsque 50% des médias sont aux mains des hommes de l'État, donc à leur service; d'autre part c'est ignorer complètement le marché. Les préférences individuelles sont foulées aux pieds: en France on paye même une « taxe télévision », la redevance télé de 120 euros environ. Certains ne regardent jamais les chaînes d'État, payant plutôt le câble ou le satellite... mais comme les compagnies de câble et satellite doivent donner au fisc les listes d'abonnés, vous payerez tout de même pour les chaînes indésirables. Amusant, non? 
  
L'équilibre médiatique 
  
          Il reste malgré tout un argument des étatistes que je n'ai pas mentionné, qui veut qu'en démocratie, les pouvoirs judiciaires, exécutifs, législatif... et médiatique doivent rester en « équilibre ». Mais accepter cet argument signifierait abandonner aux politiciens le pouvoir de décision: l'équilibre, qui va le déterminer sinon eux? Et n'est-il pas déjà rompu avec l'immixtion des hommes politiques dans les médias? La Cinque peut-elle tout dire sans perdre sa licence d'émission? 
  
          En France, la chaîne M6 a bien failli la perdre présumément à cause de l'émission Loft Story où 12 jeunes gens enfermés dans une maison (le « loft ») se faisaient filmer en permanence. À moins que cela n'ait été parce que des personnages hauts placés n'appréciaient pas les reportages des magazines Capital (information économique, très libéral) et Zone interdite (très réaliste sur le sujet de la criminalité)? 
  
          Le dernier mythe des étatistes est celui de « l'information contrôlée par l'argent » (Massimo D'Alema in LeMonde.fr). Pour le dissiper, je vous pose juste une question: vous préférez lire la Pravda ou le Wall Street Journal? 
  
  
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