Montréal, 27 avril 2002  /  No 103  
 
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Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval.
 
SCIENCES, INDUSTRIES ET SOCIÉTÉ
 
QUELLES LEÇONS POUVONS-NOUS TIRER
DES CATASTROPHES?
 
par Carl-Stéphane Huot
 
 
          Un tremblement de terre et une série d'immeubles s'écroulent. Un avion s'écrase. Une collision entre deux automobiles cause la mort de nombreuses personnes. Ce genre de catastrophes est courant. Après chacune d'elle, une question revient hanter les survivants et les membres de la famille: Pourquoi, avec tant de technologies, ne parvient-on pas à éliminer ce genre de drames? Souvent, journalistes, parents, et opposition aux gouvernements réclament une enquête publique pour faire la « lumière » sur ce qui s'est passé. En plus, dans bon nombre de cas, quelques groupes demandent plus de réglementations, plus de prévention, et cetera. Une belle foutaise.
 
Réglementation vs prévention 
  
          Il fallait voir notre ministre des Transports, Serge Ménard, se gonfler à l'air chaud à vue d'oeil la semaine dernière, pendant qu'il annonçait une nouvelle baisse du nombre de morts sur les routes pour 2001. En gros, c'était, semble-t-il, grâce aux mesures de prévention mises de l'avant par son gouvernement si ce bon bilan routier avait pu être réalisé. Et aussi par les merveilleux travaux routiers annoncés en grandes pompe par ci, par là. Je ne suis pas aussi sûr de cela. Premièrement, la neige a commencé assez tard l'année dernière, ce qui a sans doute aidé. Et ensuite, les constructeurs d'automobiles n'ont pas attendu après M. Ménard pour améliorer leurs véhicules. 
  
          La concurrence entre les fabricants d'automobiles est extrêmement féroce et chacun apporte année après année de nouvelles améliorations, dont plusieurs touchent la sécurité. Ainsi, des ingénieurs sont chargés de se procurer et d'éplucher tous les rapports d'accidents concernant leurs véhicules, de manière à en tirer le maximum de renseignements susceptibles de les aider dans la conception de futurs véhicules, mais aussi afin de trouver des failles restées invisibles jusque-là dans les véhicules déjà sur la route. Cela peut notamment mener à des rappels, comme on en voit à l'occasion. En effet, les entreprises n'ont pas intérêt à laisser traîner un problème car les frais de poursuites sont immenses, sans compter les torts à l'image de marque de l'entreprise.  
  
          Les ingénieurs de conception, quant à eux, voient à utiliser les méthodes les plus récentes dans la conception des véhicules, de manière à s'assurer notamment qu'en cas de collision, la coque du véhicule protégera ses passagers au maximum. Et cela fonctionne! Année après année, le pourcentage de morts et de blessés graves diminue sans cesse. Je parle de pourcentage ici et je vous dois une explication, après ma gueulante anti-statistique d'il y a un mois (voir ESPRIT CRITIQUE, ES-TU LÀ?, le QL, no 100). 
  
          En gros, le risque de collision est une fonction du nombre de véhicules et de la distance parcourue, qu'il faut corriger pour les conditions climatiques, la quantité de routes et peut-être l'âge de la population. Comme le nombre de véhicules a tendance à augmenter plus vite que les autres facteurs, le nombre de collisions a aussi tendance à augmenter. Cependant, la probabilité qu'il survienne des morts ou des traumatismes graves, elle, diminue, parce que les véhicules sont conçus pour mieux protéger les gens dans l'habitacle. Et cela, alors qu'on utilise en gros 40% moins de matériel pour les construire depuis une trentaine d'années. 
  
     « La phrase: "Pour que la mort de X, Y et Z ne soit pas inutile..." est bien creuse. Des erreurs, il y en aura toujours. Et toutes les lois et commissions d'enquête n'y changeront strictement rien. »
  
          Les accidents constituent le meilleur laboratoire qui soit pour mieux visualiser les effets concrets d'une collision. En effet, malgré toutes les précautions prises par les expérimentateurs, il est impossible de reproduire en atelier toutes les conditions auxquelles sont soumis les véhicules sur route. Ces expériences ne tiennent pas compte de l'expérience ou de la fatigue du conducteur. De plus, il est toujours très coûteux de détruire des automobiles pour avoir de l'information. Au Québec seulement, il y a eu 330 000 collisions l'an dernier. Même si nous pouvons raisonnablement distribuer ces accidents au pro rata du nombre de véhicules, cela fait déjà beaucoup d'information à aller chercher pour tous les constructeurs. 
  
D'avions et d'édifices 
 
          Ailleurs, nous pouvons nous pencher sur les accidents d'avion qui ont lieu de par le monde. Encore là, les entreprises – que ce soit les constructeurs ou les opérateurs – n'ont aucun intérêt à laisser les choses traîner, parce que leur réputation peut très bien dégringoler. Ici, les commissions d'enquêtes vont chercher à « faire la lumière » sur les causes des tragédies. Généralement, ce n'est pas la technologie qui est en cause, mais le facteur humain qui a amené une suite d'erreurs plus ou moins évidentes à déceler avant l'accident. Car des erreurs et des problèmes, il en arrive presque toujours. Si je voulais être cynique, je pourrais aisément dire qu'un décollage d'avion qui a réussi est un décollage dont les erreurs sont passées inaperçues et n'ont pas causé de dommage apparent. 
  
          Même l'attentat du World Trade Center est un gigantesque laboratoire. En effet, plusieurs personnes ont demandé à ce que les normes anti-incendie soient revues à la hausse, pour que plus de gens puissent sortir de brasiers semblables dans l'avenir. Plusieurs commentaires s'imposent ici. Premièrement, ce n'était pas un feu ordinaire d'édifice à bureaux, avec les combustibles habituels (papiers, meubles cloisons...), mais un feu d'hydrocarbures, ce qui est tout à fait différent, puisque l'intensité est beaucoup plus grande.  
  
          Deuxièmement, il faut signaler que 25 000 des 28 000 personnes s'en sont tirées, et que bon nombre – disons la moitié en gros – de celles qui sont mortes l'ont été dans l'impact, et non dans l'incendie. Et cela, même avec une meilleure sécurité, aurait été impossible à éviter. Pourtant, il y a une petite équipe qui, jour après jour inspecte les débris, de manière à trouver des indices avant que le tout ne soit envoyé pour recyclage chez le ferrailleur. Je vois mal à quoi cela pourra servir, maintenant que l'on connaît avec exactitude la cause de l'effondrement des tours (la tour #2, la première à s'effondrer, l'a fait à cause de l'incendie de carburant, alimenté par l'air frais qui pouvait traverser l'immeuble. Les poutres se sont ramollies à la chaleur, et ont fini par céder. Quant à la tour #1, elle s'est effondrée par suite de l'impact, qui a arraché une bonne partie du noyau de poutres qui soutenaient l'immeuble, tout simplement). 
  
          Une commission d'enquête semble surtout importante pour les familles des disparus. Même si les commissaires – ou peu importe le nom qu'on leur donne – réussissent à mettre à jour toute la chaîne des événements qui ont mal tourné et à dresser une liste de pièces qui n'ont pas fonctionné, cela n'empêchera pas d'autres avions de s'écraser. Je ne conteste pas le désir de savoir des gens, mai je trouve malgré tout que la phrase « Pour que la mort de X, Y et Z ne soit pas inutile... » sonne bien creuse. Car des erreurs, il y en aura toujours. Et toutes les lois et commissions d'enquête n'y changeront strictement rien. Pour les éviter, il faudrait sortir tous les véhicules de la route, tous les avions du ciel, et vivre à la belle étoile. Autrement, il faut savoir accepter une certaine part de risque. 
 
 
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