Montréal, 27 avril 2002  /  No 103  
 
<< page précédente 
  
  
 
 
Christian Michel est propriétaire du site Liberalia.
 
PHILOSOPHIE LIBERTARIENNE
 
EN FINIR AVEC LA GUERRE
À LA DROGUE
 
par Christian Michel
  
  
          J'ai récemment entendu une théorie étonnante. Elle prévoit que la légalisation des drogues entraînerait une augmentation de la délinquance. Il faut bien, expliquent ces observateurs des cités chaudes, que les trafiquants se recyclent. Incapables pour la plupart de trouver des emplois qui financent leur train de vie actuel, ils se tourneraient vers le vol et le racket des beaux quartiers.
 
La prohibition tue 
  
          La prohibition des drogues a un double effet, bien connu. D'une part, elle rémunère grassement les trafiquants en limitant l'entrée sur leur marché, en les dispensant de tout souci de qualité, en les déresponsabilisant à l'égard de leurs clients et en les défiscalisant. Merci pour eux. D'autre part, cette mise hors-la-loi cause chaque année la mort de milliers d'utilisateurs de produits frelatés, fabriqués sans hygiène et dosés sans consistance. En croyant punir les trafiquants, on les enrichit; en prétendant protéger la santé des drogués, on les tue. 
  
          La légalisation totale des drogues mettra fin à ce double scandale. Elles seront fabriquées par des firmes responsables, soucieuses de ne commercialiser que des produits contrôlés en laboratoire, offrant le plus grand plaisir au consommateur pour la moindre toxicité possible. 
  
          Les prix alors s'effondreront. Les mafias seront exclues de ce marché. Qui va acheter son shoot à la sauvette alors qu'il peut le trouver chez Carrefour? La prédiction semble donc plausible. 
  
La reconversion des trafiquants 
  
          Les trafiquants devront se reconvertir. Mais pour imaginer qu'ils le feront dans la délinquance, il faut méconnaître la dynamique propre de ce marché particulier. 
  
          Il se partage entre grossistes et détaillants. Les grossistes ne sont pas du genre à cambrioler. Ils retourneront à leurs métiers d'origine, la politique, les casinos, la prostitution, ou s'en inventeront de nouveaux. 
  
          Les petits détaillants de la drogue, quant à eux, sont aussi des consommateurs. Sans boutique ni salariés, ils ont quand même un coût fixe qui est celui de leur propre dépendance. S'ils n'ont pas vendu suffisamment de substance pour couvrir leur besoin personnel, ils doivent arrondir leurs fins de mois par des vols. Au prix où est la coke près du jardin anglais de Genève et à Brixton (les seules bourses de ces marchandises dont je connais les cours), il faut la rémunération des golden boys les plus primés pour financer honnêtement sa consommation. 
  
          Qu'on compare ce qui se passe sur le marché des autres drogues. Je ne parle pas de celles, très « accoutumantes », qui sont prescrites par le corps médical et remboursées par le contribuable, les tranquillisants et les euphorisants de toutes sortes. Pour ne prendre que le tabac et l'alcool, je constate que les revenus de la mendicité permettent de satisfaire aux besoins du clodo moyen. Nulle nécessité pour lui de braquer une pharmacie ni d'arracher des sacs à main. Pourquoi alors craindre la délinquance des autres toxicos sur un marché libre? 
 
     « Les hommes de l'État sont conscients depuis toujours des bénéfices de la légalisation, pour les drogués d'abord, pour la sécurité dans nos villes ensuite. Mais ce n'est pas leur problème. Ils poursuivent un autre objectif, inscrit dans la logique de tout pouvoir politique, qui est celui du contrôle des populations. »
 
          Il est important de bien comprendre les bénéfices de la légalisation parce qu'elle est imminente. Bien entamée aux Pays-Bas et en Espagne, non-officielle en Suisse, elle sera complète en Angleterre avant la fin de la présente législature. La France, comme dans tout ce qui touche aux droits de l'homme, sera en queue de peloton (ma grand-mère affirmait que ceux qui parlent le plus de vertu et de sexe sont ceux qui les pratiquent le moins). 
  
D'une guerre à l'autre 
  
          Les hommes de l'État sont conscients depuis toujours des bénéfices de la légalisation, pour les drogués d'abord, pour la sécurité dans nos villes ensuite. Mais ce n'est pas leur problème. Ils poursuivent un autre objectif, inscrit dans la logique de tout pouvoir politique, qui est celui du contrôle des populations. Sous prétexte de lutter contre la drogue et l'argent sale, on flique le pays et on traque les contribuables. Les politiciens sont prisonniers en outre de la logique propre de toute bureaucratie. Avez-vous entendu un PDG, un recteur d'université, un archéologue, déclarer que l'entreprise gagnait bien assez d'argent, que l'université n'avait pas besoin de nouveaux étudiants, ni l'archéologie de nouvelles fouilles? Pourquoi donc voudriez-vous que les flics de tous poils cessent soudain de réclamer de nouveaux crédits? On ouvre les frontières en Europe, le nombre des douaniers ne diminue pas, car heureusement pour eux, il y a le trafic de drogues. 
  
          Pourquoi alors accepter aujourd'hui de le légaliser? Deux raisons à cette heureuse perspective, me semble-t-il. La première est qu'on a trouvé une guerre de remplacement, le terrorisme, une guerre fraîche et joyeuse, populaire, médiatique, dirigée contre des étrangers et pas les petits copains de nos fils et nos filles. Ensuite parce que la guerre à la drogue, perdue sur tous les fronts, finit par ternir la réputation des polices. En effet, un État a besoin de criminels. Sans criminels à l'intérieur, pas de justice ni de police, sans criminels étrangers, pas d'armée; c'est le criminel qui justifie l'État. Mais il ne faut pas que le criminel gagne. Or en inventant de toutes pièces les criminels de la drogue au siècle dernier, les États sont en train de réaliser qu'il ont inventé plus fort qu'eux. Il est temps de déclarer la paix à la drogue maintenant que nous avons une meilleure guerre à mener. 
  
          Dans leur combat d'arrière-garde contre l'Histoire, qui avec la mondialisation et la révolution des télécommunications les a complètement dépassés, les États essaient de se trouver d'ultimes légitimations. La guerre contre le terrorisme leur offre la juste cause dont ils rêvaient. Les bombardements de contrées lointaines et sans défense sont de bonnes actions de propagande, la vraie bataille se livre dans nos villes, à nos frontières, par l'interceptions de nos correspondances, l'espionnage de nos comptes bancaires, la mise sous contrôle d'internet, le flicage de nos vies... 
  
          Avec la complète légalisation de toutes les drogues, nos villes deviendront plus sûres. Avec la guerre contre le terrorisme, le monde le sera moins. 
 
 
Articles précédents de Christian Michel
 
 
<< retour au sommaire
 PRÉSENT NUMÉRO