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Montréal, 31 août 2002 / No 108 |
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par
Jean-Luc Migué
Comme le rappelait le professeur Arnold Harberger, |
Pour
le Statu Quo (devise distincte et cours libre)
Prix des matières premières à la baisse: L'argument
classique à l'appui du cours flexible en vigueur aujourd'hui est
que dans une économie de petite taille et grandement ouverte, le
taux de change doit rester flexible pour soutenir une politique monétaire
et fiscale favorable à la croissance et à la stabilité
économique, là où il n'y a pas synchronisation des
fluctuations économiques. L'autonomie nationale, dit-on, ne va pas
sans cours flexible. Selon les adeptes du statu quo, l'économie
canadienne aurait vécu l'une de ces circonstances ces dernières
années. La cause première de la baisse du dollar canadien
serait la chute des prix des matières premières (autres que
l'énergie), si du moins on s'en remet aux équations économétriques
de la Banque du Canada.
Dans ces circonstances, la flexibilité du cours servirait à absorber le choc de la déflation dans l'une des composantes importantes de nos exportations. La dépréciation du dollar favoriserait les ventes et les profits dans les industries d'exportation (dont les industries primaires). Ainsi serait facilitée la transition en ce que serait atténuée la pression en faveur de l'exode des ressources (secteurs primaires ou déclinants) vers les autres secteurs à productivité meilleure. Il s'agirait en somme d'un phénomène de subventionnement d'une industrie déclinante (les ressources naturelles) par l'ensemble des autres industries prospères et des acheteurs, qui par suite de la dépréciation de la devise payent désormais plus cher pour leurs achats de biens d'investissement et de produits importés. Selon cette logique, la fixité du cours du dollar ou sa version plus ferme, l'adoption du dollar US doublée d'une déflation des cours des matières premières, aurait imposé la baisse générale des prix et des salaires au Canada, au moins depuis le début des années 1990. En raison de la rigidité de ces variables, et en particulier de la résistance des monopoles syndicaux, une déflation générale de deux pour cent aurait entraîné la chute des investissements et le ralentissement général de l'économie à leur suite. Les opposants au régime en place objecteront que la subvention implicite aux secteurs déclinants ralentit l'ajustement nécessaire. Loin de favoriser la transition par la dépréciation du dollar, la flexibilité du cours ralentit l'exode incontournable des ressources vers les industries à productivité plus élevée, du fait qu'elles sont récompensées pour ne pas se déplacer. Comme toujours lorsqu'on subventionne une industrie, on contribue à ralentir les ajustements et à perpétuer des industries qui devraient s'adapter ou disparaître. Si la flexibilité de notre devise est si apte à absorber les chocs extérieurs, pourquoi ne pas implanter une devise québécoise, ou terre-neuvienne? Cette perspective s'inspire du principe général voulant que l'octroi de subventions aux secteurs en perte de vitesse ne se recommande jamais. Le prix des matières premières connaît une tendance à la baisse depuis la révolution industrielle il y a plus de deux siècles. On pourrait aussi souligner l'exemple de l'adaptation rapide de la Californie et de son infrastructure de défense militaire à la fin de la guerre froide. C'est l'évolution défavorable de la productivité pendant une génération qui a suscité la baisse du dollar, non pas l'inverse: Tout au long du dernier quart de siècle, l'économie canadienne s'est avérée moins productive que sa voisine du sud. Depuis les années 1980, la productivité des industries manufacturières canadiennes a gagné 2,1% par année, contre 3,5% aux É.-U. Dans les années 1990, le taux s'inscrivait à 2,1% au Canada, à 4,1 aux É.-U%. La chute persistante de notre devise camoufle les conséquences malheureuses de nos politiques anti-croissance d'endettement, d'alourdissement fiscal et réglementaire, qui pèsent sur le travail et l'activité productive. Plutôt que d'attaquer le problème à sa source, les gouvernements comptent sur la dépréciation du dollar dans le vain espoir qu'elle amortisse le fardeau de nos politiques. L'industrie canadienne n'était pas concurrentielle lorsque le dollar trônait près de la parité avec le dollar US; elle ne l'est pas davantage avec un dollar à 63 cents. Les défenseurs du cours flexible soutiennent donc que c'est la trop lente progression de la productivité (relative aux USA) qui a occasionné la chute à long terme de notre dollar, non pas l'inverse. (Productivité faible = faible rentabilité des investissements = exode des capitaux = baisse du dollar). On aurait donc tort de soutenir, selon les adeptes du statu quo avec à leur tête la Banque du Canada, qu'en abaissant le prix de nos exportations et en gonflant le prix de nos importations, la chute du dollar a pu inciter les entreprises au laisser-aller, à la vie facile et qu'ainsi les producteurs auraient eu le loisir de ne pas s'ajuster vu que les profits nominaux n'en souffraient pas trop. Cette interprétation impliquerait que les entreprises s'abstiennent de maximiser les profits. La baisse à long terme du dollar n'a donc pas pu servir à soustraire les entreprises canadiennes à l'obligation d'améliorer leur productivité. Le fait est que c'est dans les domaines de la machinerie et de l'équipement électrique que la productivité s'est le plus améliorée aux É.-U., soit dans des secteurs où la part du Canada n'est pas particulièrement importante.
Tout de même, les adeptes de la dollarisation soutiendront que si la pression de la concurrence s'allège, la tentation de la facilité s'implante et partant le souci de la performance s'atténue aussi. Le déclin du dollar crée un environnement favorable à la hausse des salaires non fondée sur la productivité et à la montée des taxes et des dépenses publiques. Directement donc, ce serait la piètre performance de la productivité qui expliquerait la chute du dollar, mais indirectement c'est peut-être la baisse du dollar qui aurait facilité l'alourdissement fiscal et du poids réglementaire, lui-même à l'origine de la faible croissance de l'économie canadienne. Pour
l'union monétaire
Hausse du coût des investissements et ralentissement de la productivité:
Dans une perspective à long terme, la flexibilité des cours
comporte une contrepartie déplorable: le prix des biens d'investissement
importés s'élève lorsque le dollar canadien baisse.
La hausse du coût de l'investissement incite à la substitution
du travail au capital, et donc au ralentissement de la croissance et de
la productivité. Le coût d'acquisition de l'outillage s'élève
et prive ainsi l'économie de sa source principale de productivité.
D'autant plus que le gros de notre machinerie canadienne est importée
des É.-U.
Ajustement incontournable par la baisse du niveau de vie: La subvention implicite que le reste de l'économie paye au secteurs déclinants via la dépréciation du dollar prend aussi la forme de hausses du prix des biens de consommation importés. Les travailleurs canadiens obtiennent moins de valeur réelle pour leurs exportations et doivent payer plus en termes réels pour les importations qu'ils acquièrent de leurs vis-à-vis plus productifs. La chute à long terme du dollar canadien est l'équivalent d'une diminution généralisée de la rémunération de tous les Canadiens. Les Snow birds (vacanciers canadiens en Floride) en sont les premières mais pas les uniques victimes. Les dollars que nous gagnons et investissons valent tout simplement moins. Le sens de la dépréciation est donc que le pouvoir d'achat des Canadiens fond entre leurs mains. La prise de conscience du coût à long terme de la dévaluation ne se fait pas facilement. Plutôt que de subir une baisse de rémunération par l'effet des pressions extérieures, ce qui se serait produit si le Canada utilisait la même monnaie que les États-Unis, les gens ont l'illusion de recevoir des salaires et des profits croissants, alors qu'en réalité leur revenu décline par suite du recul de notre devise. Permanence de taux d'intérêt plus élevés: Malgré sa performance comparable à celle des É.-U. en matière d'inflation depuis 30 ans, le Canada doit en permanence assumer des taux d'intérêt supérieurs à ses voisins de l'ordre de 1 à 1 ½% de plus. Cet écart constitue la prime de risque incontournable que verse toujours les économies de petite taille pour avoir accès à l'épargne mondiale. Les pays périphériques de l'Europe (Portugal, Grèce et même Italie) ont eu à l'assumer jusqu'à l'avènement de l'euro. Mais alors taux d'intérêt supérieur veut dire hausse du coût de l'investissement et ralentissement de la productivité et de la croissance. Arguments
douteux en faveur de la dollarisation
Le Canada déjà dollarisé? Le débat sur
la question de l'aménagement monétaire a sa place, mais,
pour bâtir sa position sur l'une ou l'autre hypothèse, il
faut éviter d'invoquer les mauvaises raisons. L'un de ces arguments
invalides pour asseoir la thèse de la dollarisation est celui qui
veut que l'économie canadienne serait déjà dollarisée.
Or, nonobstant les affirmations péremptoires des journaux (The
National Post, Le Devoir, The Globe and Mail), il n'en est rien. La
Banque du Canada, qu'on peut peut-être jugée suspecte sur
cette question, vient de publier sous la plume de John Murray et James
Powell(1),
un Rapport technique numéro 90, qui établit les faits
suivants: Le dollar canadien reste de loin le principal instrument servant
d'unité de compte, de moyen d'échange et de réserve
de valeur au Canada. Le Canada n'est pas en train de se dollariser et le
mouvement ne promet pas de s'intensifier dans un avenir prévisible.
En fait, dans la plupart des dimensions, le Canada est moins dollarisé
qu'il ne l'était il y a vingt ans. Il s'agit là sans doute
de l'argument le plus solide des adeptes du statu quo. Individus
et entreprises jouissent au Canada, par l'effet du cours libre et flexible,
de la liberté de mener leurs transactions et d'accumuler leurs épargnes
dans la devise de leur choix. Or ils choisissent le dollar canadien dans
des proportions allant jusqu'à 90%.
La dollarisation (ou en général le cours fixe), un frein aux appétits fiscaux et réglementaires des gouvernements? Dans une deuxième argumentation fragile, les adeptes du cours fixe ou de l'union monétaire soutiennent souvent que les contraintes qu'un régime de parités fixes impose aux choix des hommes politiques les retiennent d'adopter des politiques trop inefficaces. Le gouvernement national d'une économie incorporée à une monnaie supranationale n'aurait pas le choix de ne pas assumer le coût de ses politiques inefficaces. La perte de production consécutive à une politique fiscale ou réglementaire inefficace se traduirait forcément en pertes d'emplois, en baisse de revenu. Il semble en fait que cette présomption relève du raisonnement abstrait et reste le plus souvent virtuelle. De nombreuses expériences récentes laissent plutôt croire que la dollarisation ne susciterait guère plus de changements favorables dans la fiscalité et la réglementation que le cours flexible. Les sceptiques en cette matière invoqueront allègrement le cas de l'Argentine, qui, pour avoir adopté rigidement la devise américaine comme monnaie, n'en a pas moins pratiqué pendant près de dix ans des politiques économiques intérieures désastreuses en matière fiscale, réglementaire et budgétaire. La pratique politique des provinces canadiennes n'offre-t-elle pas l'illustration éloquente du laisser-aller fiscal, réglementaire et budgétaire auquel peut donner lieu l'intégration dans l'union monétaire qu'est effectivement le Canada. Il est vrai que les provinces les moins efficaces ont le loisir de poursuivre de fort coûteuses politiques économiques parce qu'elles peuvent compter sur le transfert de milliards de dollars de subventions qui les protègent d'avoir à payer le prix de leur défaut d'ajustement aux conditions de l'économie américaine et mondiale. À l'inverse, un régime de changes flottants entre monnaies circulant librement au sein d'une zone d'échanges libres donne rien de moins que l'équivalent, dans le domaine monétaire, de ce que le
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