Montréal, 14 septembre 2002  /  No 109  
 
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Pascal Salin est professeur d'économie à l'université de Paris Dauphine.
 
OPINION
 
POURQUOI IL FAUT BAISSER LES IMPÔTS *
 
par Pascal Salin
  
  
          Le Parlement et le gouvernement français viennent d'imaginer un dispositif fiscal intéressant. Il a été décidé en effet que le salaire des ministres serait augmenté dans des proportions importantes (jusqu'à 70%!) et qu'une partie de ce gain supplémentaire – à savoir une rémunération représentant 25% du traitement brut et pudiquement appelée « indemnité de fonction » – ne serait pas imposable.  
  
          En d'autres termes, alors que tous les Français sont soumis à un impôt sur le revenu progressif – les taux augmentant avec le niveau du revenu – les ministres français bénéficient d'une fiscalité à taux dégressif: jusqu'à un certain montant de revenu, ils subissent certes les taux progressifs de tous les Français, mais au-delà de ce montant, le taux de l'impôt est égal à zéro. On peut être choqué de cette inégalité et réclamer que la progressivité des taux s'applique à la totalité de leurs revenus. Mais il existe un autre moyen de rétablir l'égalité entre gouvernants et gouvernés: généraliser le régime fiscal de faveur des ministres en en faisant le régime de Droit commun.
 
Indiscutable et universel? 
  
          Certes, en remplaçant un système de taux progressifs par un système de taux dégressifs, on introduirait un bouleversement considérable aussi bien dans la pratique que dans les idées (même si, répétons-le, les membres du gouvernement ont trouvé ce changement absolument naturel en ce qui les concerne). Il est en effet admis de manière quasiment unanime que la progressivité de l'impôt est une exigence de justice. Mais la progressivité ne repose en réalité sur aucun principe indiscutable et universel. Si l'impôt progressif existe c'est pour des raisons beaucoup plus sinistres, à savoir qu'il représente une application de la recette pratique consistant à « prendre l'argent là où il se trouve ». 
  
          Mais ce faisant, on oublie que cet argent est nécessairement le fruit du travail et des efforts de leurs propriétaires légitimes, tout au moins dans une société libre où chacun reçoit en fonction de ce qu'il apporte aux autres. En prenant l'argent « là où il se trouve » on porte atteinte à ces droits légitimes et en outre – comme cela arrive nécessairement lorsqu'on méprise les exigences de la morale – on a des chances d'aboutir à ce qu'on appelle un « effet pervers », c'est-à-dire un résultat inverse de celui qui est attendu. 
  
          Il est en effet maintenant bien connu que plus on augmente les taux d'impôt, plus la matière fiscale se dérobe (c'est ce que l'on appelle communément « l'effet Laffer » du nom de l'économiste américain, Arthur Laffer, qui a popularisé cette idée). Il y a là un phénomène universel qu'on ne devrait pas ignorer chaque fois que l'on discute de questions fiscales ou que l'on élabore un système fiscal. 
  
Satisfaire des intérêts 
 
          Si la progressivité de l'impôt existe ce n'est donc pas parce qu'elle répondrait à un quelconque principe de justice, mais parce le fonctionnement des processus politiques y conduit presque nécessairement: en concentrant l'impôt sur un petit nombre de gens, qui sont donc mécontents, les hommes politiques perdent peut-être le soutien des plus gros contribuables, mais ils trouvent une majorité auprès des autres. La progressivité de l'impôt, par conséquent, n'a pas pour but d'instaurer un quelconque « bien commun », mais de satisfaire les intérêts très personnels des hommes politiques. 
  
          Or il est frappant de constater que la prétendue logique de l'impôt progressif va exactement à l'encontre de la véritable logique des hommes: ceux-ci ont depuis toujours reconnu que l'effort marginal était le plus méritoire de telle sorte qu'il convenait, par exemple, de payer davantage les heures supplémentaires. L'impôt progressif aboutit exactement au contraire: plus un individu fait d'efforts, plus il est spolié. Il est donc compréhensible qu'il essaie d'échapper à l'impôt, en pratiquant l'évasion fiscale, en évitant de développer ses activités et son épargne, en émigrant. Cela est d'autant plus regrettable qu'on décourage ainsi ceux qui sont en général les plus imaginatifs, les plus travailleurs, c'est-à-dire ceux qui sont les plus aptes à contribuer non seulement à leur propre prospérité, mais encore à celle d'autrui. 
  
          Telle est bien la situation des Français et il est totalement vain d'imaginer que la France puisse retrouver un jour le chemin d'une croissance forte sans une réforme profonde et rapide: même si l'on ne peut malheureusement pas espérer de manière réaliste qu'un quelconque gouvernement adopte un système de taux marginaux dégressifs ou supprime totalement la progressivité en adoptant des taux proportionnels, peut-on espérer, tout au moins, qu'il diminue sensiblement la progressivité de l'impôt? 
  
Dogmatisme idéologique 
 
          Malheureusement le dogmatisme idéologique prime sur le raisonnement, aussi bien à droite qu'à gauche. C'est ainsi qu'on a vu récemment des membres de l'actuelle majorité, sans doute effrayés par l'idée qu'on puisse toucher au tabou de la progressivité, plaider pour une renonciation à la baisse des impôts envisagée dans le prochain budget. L'argument avancé consiste à dire que la croissance prévisible au cours de l'année prochaine serait faible et ne laisserait donc pas de marge de manoeuvre, si l'on veut éviter un accroissement du déficit et le risque de ne pas pouvoir se conformer aux critères du Pacte de stabilité européen. 
  
     « La diminution des impôts est probablement le meilleur moyen, dans les circonstances actuelles, pour accélérer la croissance, réduire le chômage et même pour retrouver à terme un moindre déficit budgétaire. »
 
          Ce raisonnement n'est pas acceptable parce que la limitation du déficit peut et doit être obtenue par une limitation des dépenses publiques. Mais c'est aussi oublier que la croissance n'est pas un phénomène exogène. Elle est le résultat des décisions individuelles. La croissance sera forte si les Français sont incités à produire, elle sera faible dans le cas contraire. Cela implique naturellement de passer d'un système fiscal désincitatif à un système fiscal qui le soit moins. La diminution des impôts est probablement le meilleur moyen, dans les circonstances actuelles, pour accélérer la croissance, réduire le chômage et même pour retrouver à terme un moindre déficit budgétaire. 
  
          La priorité doit donc être donnée, non pas à la recherche d'une hypothétique limitation du déficit budgétaire à court terme en maintenant des taux d'impôts élevés, mais à la diminution des impôts, en particulier de ceux qui sont les plus désincitatifs. 
  
Réforme prioritaire 
 
          Heureusement, il semble que le premier ministre ait tenu à respecter les promesses qui avaient été faites et donc à baisser toutes les tranches de l'impôt progressif de 5 ou 7% l'an prochain. Mais si une baisse identique des taux pour toutes les tranches répond bien aux préjugés égalitaires des Français, elle ne correspond pas à ce que la justice et l'efficacité exigeraient. Si certains sont plus spoliés que d'autres, est-il vraiment injuste de diminuer l'excès de spoliation des premiers? Est-il si difficile d'imaginer le stimulant extraordinaire que représenterait, par exemple, une baisse immédiate du taux maximum de l'impôt sur le revenu jusqu'à un montant égal à 25 ou 30% pour tous ceux qui hésitent à entreprendre, à embaucher, à rapatrier leurs capitaux, à revenir dans leur pays d'origine? 
  
          Une telle réforme devrait être considérée comme prioritaire parce que la forte progressivité de l'impôt français sur le revenu est particulièrement indéfendable et nuisible pour tous. Mais elle ne serait évidemment pas suffisante. Pour retrouver durablement le chemin de la croissance, il faudrait aussi atténuer toutes les spoliations fiscales qui pèsent de manière excessive sur la liberté d'action des Français et qui portent atteinte à leurs droits de propriété légitimes. Cela implique la suppression des droits de succession et de l'impôt sur la fortune, la disparition du monopole de la Sécurité sociale et l'adoption d'un système de retraite par capitalisation. 
  
          Par manque de conviction, l'actuelle majorité n'ose pas réaliser ces réformes indispensables, de même qu'elle se contente d'aménager la loi sur les 35 heures au lieu de la supprimer. Au bout de cinq ans, n'ayant rien réussi, elle devra laisser la place à une gauche qui aura alors toute latitude pour poursuivre son oeuvre de destruction. 
 
*Cet article est paru dans Le Figaro du 11 septembre 2002. 
 
 
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