Montréal, 18 janvier 2003  /  No 117  
 
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Pascal Salin est professeur d'économie à l'université de Paris Dauphine.
 
OPINION
 
FAUT-IL HUMANISER LA MONDIALISATION? *
 
par Pascal Salin
  
 
          En tant qu'architecte de la politique étrangère française, le président de la République se veut le héraut de la mondialisation de la solidarité qu'il considère comme le complément indispensable de la « mondialisation économique ». En d'autres termes, il adopte avec ardeur le credo gauchiste à la mode selon lequel tous les malheurs des pays pauvres viendraient des abus de la « mondialisation néo-libérale ». 
  
          Il n'est alors pas étonnant qu'il ait bien souvent cheminé en compagnie des marxistes et marxisants d'ATTAC et autres mouvements de contestation anti-mondialisation, par exemple en réclamant l'instauration d'une « taxe Tobin », présentée comme l'un des instrument essentiels de la mondialisation de la solidarité. Tous sont persuadés que la mondialisation des échanges est à l'origine d'inégalités croissantes entre les peuples. Certains ne voient alors pas d'autre remède que la fermeture pure et simple des frontières.
 
          Certes le président français ne va pas jusqu'à préconiser une telle politique. Mais il n'en reste pas moins persuadé – puisque la mondialisation est inévitable – qu'une vaste politique de transferts financiers publics au profit des pays les moins développés est indispensable pour rendre cette mondialisation acceptable et qu'elle est même moralement justifiée dans la mesure où les pays riches devraient compenser les pays pauvres pour les torts qu'ils leur imposeraient ainsi. 
  
Un échange libre est toujours profitable 
  
          L'idée selon laquelle l'échange pourrait être inégal est largement répandue. Or elle est fausse, radicalement et définitivement fausse. Il est en effet un principe universel, à savoir qu'un échange libre est profitable aux deux partenaires (sinon, bien sûr, ils ne le décideraient pas). Et ce principe est évidemment valable que les partenaires soient situés sur le même territoire national ou sur des territoires nationaux différents. Car il ne faut pas oublier que les pays n'échangent pas, pas plus qu'ils ne pensent ou agissent. Seuls les individus échangent, soit isolément, soit en coopérant au sein de structures entrepreneuriales. Étant universel, le principe selon lequel l'échange est nécessairement bénéfique pour tous les échangistes ne peut pas souffrir d'exception. 
  
          Pourtant, dira-t-on peut-être, si un gouvernement supprime les barrières douanières qui protégeaient certains des producteurs de son pays, ces derniers souffrent bien de la concurrence accrue des producteurs étrangers au point qu'ils peuvent même être conduits à la faillite. En ce sens, la libéralisation des échanges appauvrirait ces producteurs et donc leurs pays. Mais il faut en réalité renverser le raisonnement: la protection dont ces producteurs bénéficiaient auparavant n'était rien d'autre qu'un ensemble de privilèges obtenus par la contrainte étatique. Les gains indus qu'ils recevaient ainsi se faisaient aux dépens des consommateurs nationaux, obligés de payer plus cher pour leurs achats, ou des producteurs étrangers empêchés de vendre dans le pays protectionniste.  
  
          Or personne ne peut valablement légitimer que certains se voient ainsi attribuer des droits sur autrui: le protectionnisme apporte des gains à certains (généralement ceux qui sont les plus proches du pouvoir politique), mais il crée des victimes (généralement les moins organisés politiquement et les plus pauvres). La libéralisation des échanges ne fait que restaurer les droits légitimes des uns et des autres. Elle est donc l'expression des exigences d'une morale universelle et, en tant que telle, elle ne peut entrer en conflit avec aucune autre considération. 
  
          L'idée selon laquelle l'échange pourrait être créateur d'inégalités est en réalité le sous-produit d'une autre erreur intellectuelle, celle qui consiste à penser que les relations entre les hommes constituent un jeu à somme nulle: ainsi ce qu'obtiendraient les habitants des pays riches par l'échange international serait obtenu aux dépens des habitants des pays pauvres. De là vient l'idée du « pillage du tiers-monde ». Ceux qui défendent ces thèses ont une vision matérialiste et statique de l'économie: ils considèrent qu'il existe un stock donné de richesses dans le monde (en particulier les ressources naturelles) et qu'il convient seulement de répartir ces richesses. 
  
     « Il ne faut pas s'étonner si des pays riches en ressources naturelles (par exemple le pétrole pour le Venezuela) ne se développent pas, alors que d'autres, démunis de ressources naturelles (la Suisse ou Hongkong) sont au contraire très prospères. »
 
          Or, les richesses humaines sont toujours créées et elles le sont nécessairement par des efforts d'intelligence. C'est la raison pour laquelle Julian Simon – remarquable économiste américain, trop ignoré en France – a pu montrer que les ressources naturelles n'existent pas et qu'elles sont elles-mêmes un produit de l'esprit humain(1). En effet une ressource quelconque n'a pas d'existence économique aussi longtemps que personne ne lui a trouvé d'usage et ne l'a associée à un projet humain. Et il ne faut pas s'étonner si des pays riches en ressources naturelles (par exemple le pétrole pour le Venezuela) ne se développent pas, alors que d'autres, démunis de ressources naturelles (la Suisse ou Hongkong) sont au contraire très prospères. 
  
Victimes de leurs dirigeants 
  
          Parce que dans tout pays il existe des êtres humains dotés de raison et d'imagination, tout pays a vocation à se développer et il se développera d'autant mieux que ces êtres humains seront libres de penser, de produire, d'épargner et d'échanger. Si certains pays sont pauvres, ce n'est certainement pas à cause de l'échange international, qui leur permet au contraire d'économiser des ressources en se procurant à l'extérieur ce qu'ils ne pourraient produire qu'à un coût plus élevé. S'ils sont pauvres, c'est parce que leurs habitants sont les victimes de dirigeants qui mettent des obstacles à leur liberté, qui les paralysent par des réglementations délirantes, qui les spolient par des impôts élevés, qui les démoralisent par la corruption. Il suffit d'ailleurs de regarder le monde qui nous entoure pour voir que le développement d'un pays est directement lié au degré de liberté dont jouissent ses habitants(2). 
  
          N'agissant pas sur la cause de la pauvreté, la prétendue « solidarité internationale » ne résout évidemment pas le problème. Bien plus, elle risque même d'aboutir au résultat inverse en renforçant les pouvoirs et les richesses de dirigeants coupables de maintenir la pauvreté de leurs citoyens. 
  
          En réalité, le beau mot de solidarité est dévoyé lorsqu'il sert à désigner des transferts prélevés par la contrainte publique sur des contribuables qui avaient créé des ressources par leurs propres efforts afin de donner ces ressources non pas aux individus les plus pauvres, mais aux dirigeants des pays pauvres. La mondialisation de la solidarité, ce devrait d'abord être celle de l'échange. Dans l'échange les êtres humains sont solidaires, ils apprennent à se connaître, à se respecter, à s'enrichir mutuellement, à agir conformément à des règles morales (honorer ses propres engagements, reconnaître les droits d'autrui), à être sanctionnés s'ils ne respectent pas ces règles. 
  
          La règle d'or de la politique extérieure de la France ne devrait donc pas être de compléter la mondialisation des échanges par la mondialisation d'une prétendue solidarité, ce qui peut conduire à dérouler le tapis rouge sous les pieds de dictateurs corrompus sous prétexte qu'ils sont les représentants de la pauvreté du monde. Elle devrait être de se sentir solidaires de ceux qui permettent à la liberté de s'épanouir dans leurs pays, que ceux-ci soient riches ou pauvres. 
  
          Bien sûr, la pauvreté est insupportable. Pour autant, ce n'est pas parce qu'un pays est pauvre que ses dirigeants méritent notre amitié, car cette pauvreté est finalement le signe d'une défaite. Ce qui justifie notre attention ce sont les efforts faits en faveur de la liberté; et c'est la liberté qui mettra fin à la pauvreté. 
  
  
1. Voir son ouvrage The Ultimate Resource (traduction française: L'homme notre dernière chance, Paris, PUF,1985).  >>
2. Cette relation est clairement mise en évidence dans la publication annuelle, Index of Economic Freedom, The Heritage Foundation et The Wall Street Journal. L'édition 2002 montre que la France est tombée au 40e rang, de telle sorte que ses dirigeants sont mal placés pour donner des leçons de liberté aux autres.  >>
 
* Cet article a d'abord été publié dans Le Figaro, le 7 janvier dernier.
  
 
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