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Montréal, 1er février 2003 / No 118 |
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par
Jean-Luc Migué
Dans sa signification pour le Canada, le plan fiscal du président Bush annoncé récemment contient deux dispositions principales. Il devance l'allégement fiscal prévu pour 2004 et plus tard, et abaisse la progressivité de l'impôt sur le revenu (taux maximum de 35% plutôt que de 38,6, alors qu'il est de 46,2% au Québec). Il supprime la double taxation des dividendes (aux mains de la société et aux mains des actionnaires) plutôt qu'il ne les soustrait au fisc. |
1.
Baisse de l'impôt sur le revenu et de sa progressivité
a) Poids fiscal Si le plan Bush était adopté, l'écart entre le fardeau du contribuable canadien et américain en matière d'impôt sur le revenu deviendrait gênant. L'un et l'autre gagnant
L'un et l'autre gagnant
Dans le premier cas, le contribuable canadien porterait un fardeau fiscal de plus de 4 fois supérieur à sa contrepartie américaine; de plus de 2 fois supérieur dans le second cas. Autre façon de formuler le contraste: le contribuable canadien disposerait d'un revenu disponible de 19% (10% avant le plan Bush) inférieur à sa contrepartie américaine; dans le deuxième cas, de 23% (18% avant) inférieur. b) Progressivité La progressivité formelle, mesurée par les taux marginaux, est plus prononcée au Canada. Le taux marginal maximum est de plus de 45% sur un revenu de Mais la progressivité réelle du fardeau fiscal est plus marquée aux États-Unis. Le fait est que le groupe de 1% des revenus supérieurs assume une part plus grande du fardeau fiscal aux États-Unis qu'au Canada: aux États-Unis, il gagne 19,5% du revenu personnel et porte 36% de l'impôt sur le revenu, mais seulement 24% au Canada. Les 5% des revenus supérieurs paient 55,5% de l'impôt aux États-Unis. La moitié la moins riche paie 11% de l'ensemble des impôts fédéraux ici, 4% aux États-Unis. Ce paradoxe s'explique d'une double façon. D'abord, le Canada compte peu de revenus très élevés, par la faute partielle du régime fiscal. En second lieu, au Canada et au Québec en particulier, 46% des citoyens ne paient aucun impôt sur le revenu. On alourdit ainsi le fardeau sur la classe moyenne (35 à Le plan américain abaisserait le poids fiscal sur les plus fortunés. Mais cet aboutissement est inévitable puisque ce sont eux qui portent l'essentiel du fardeau fiscal. Le plan détaxe les revenus supérieurs plutôt qu'il ne les favorise. Le régime en place au Canada et aux États-Unis est déjà une guerre contre les riches et les revenus supérieurs. c) Impact sur la croissance Depuis plus d'une génération et surtout au cours des années 90, le Canada recule vis-à-vis nos voisins en termes de revenu par tête. La conjoncture immédiate donne l'illusion de la prospérité parce que l'emploi et le PIB y croissent plus rapidement depuis deux ans, mais c'est presque uniquement grâce à la faiblesse du dollar canadien, qui soustrait l'entreprise canadienne à l'obligation de soigner sa productivité. Le fait est que depuis une génération, et surtout ces derniers temps, la productivité américaine surpasse la canadienne à un rythme inquiétant. Ce qui veut dire que l'entreprise américaine poursuit l'ajustement nécessaire à sa survie dans un monde intégré et concurrentiel. Elle a entre autres transféré à l'extérieur les activités que la concurrence rendait impossible aux États-Unis. Le Canada a négligé cette leçon. Il faut prévoir que cette divergence face au même phénomène suscitera bientôt une accélération rapide de la conjoncture américaine, qui laissera encore plus loin derrière elle l'économie traînarde qu'est devenue l'économie canadienne.
Or, de tous les impôts, l'impôt progressif sur le revenu est le plus néfaste à la croissance, parce qu'il pénalise directement l'effort de travail, d'investissement, de risque et d'entrepreneurship. Déjà la part des impôts dans le PIB s'élevant à quelque 31% aux États-Unis et à 43% au Canada, on ne peut douter que l'avantage concurrentiel américain deviendra lourd à porter au Canada. Le recul du Canada en matière de croissance et de revenu ne fera que s'élargir. Selon le Conference Board le surplus fédéral pourrait atteindre les 20 milliards au cours des deux prochaines années. C'est suffisant pour accorder une baisse du fardeau fiscal d'environ 6%. Occasion rêvée pour rétablir un début d'équilibre avec nos voisins. 2. Fin de la double imposition des dividendes Dans le plan Bush, les dividendes ne seraient plus taxés une fois distribués aux actionnaires, vu qu'ils l'ont déjà été entre les mains de la société via l'impôt sur le revenu des compagnies. a) Moins marqué au Canada. Ce phénomène de double imposition des dividendes est moins marqué au Canada, grâce au crédit pour dividendes accordé aux individus dans leur déclaration (13,13% au fédéral, environ 7% au En fait le régime de crédits pour dividendes ne fait qu'atténuer la double imposition au Canada. Pour les actionnaires des grandes sociétés qui paient 40% ou plus d'impôt sur les profits, la double imposition demeure. Ainsi pour une compagnie qui paie 35% sur un profit de 100 et distribue le reste en dividendes, l'actionnaire à revenu élevé paie 46% de 45 dollars (sur 65 dollars de dividendes moins le crédit de 20% de 100), soit 21 dollars, pour un total (compagnie et actionnaire) de Pour les actionnaires des petites entreprises (moins de b) Conséquences Les taxes sur l'épargne et le capital (dont les dividendes) occupent la deuxième place par leur caractère nocif sur la croissance.
2. La nouvelle disposition supprime en même temps la discrimination inhérente au régime fiscal en faveur du financement des entreprises par emprunt (coût de l'intérêt soustrait au revenu) par opposition au financement par actions. Ces distorsions supprimées, l'efficacité sera mieux servie du fait que l'épargne américaine sera mieux canalisée là où elle est le plus productive, dans la mesure où le taux d'imposition variera moins entre les usages (ex.: double imposition des dividendes vs l'intérêt). 3. L'abolition de la double imposition des dividendes éliminera aussi l'incitation des entreprises à garder leurs profits plutôt qu'à le distribuer et ainsi substituer le gain de capital à la distribution de leur revenu. Le capital risque moins de rester gelé dans son emploi actuel, plutôt que d'être affecté à des usages plus productifs.
b) Abolir intégralement l'impôt sur le revenu des corporations et imputer chaque année aux actionnaires la valeur des profits réalisés par l'entreprise, même s'ils ne sont pas distribués. Ultimement les compagnies ne paient jamais de taxes; ce sont toujours des individus qui les portent. (M. Friedman) c) Abolir l'impôt sur le revenu des corporations sans plus. Les profits seront taxés entre les mains des actionnaires s'ils sont distribués, comme gains de capital (appréciation des actions) si les profits ne sont pas distribués. À moyen terme, c'est la croissance de l'économie et la prospérité générale qui y gagneront à la mise en oeuvre du plan américain, plus que l'état de la conjoncture immédiate. De toute façon c'est une illusion de croire qu'on peut (accélérer) stimuler ou (ralentir) freiner à court terme l'économie en donnant ou retirant de l'argent aux consommateurs, comme s'il s'agissait d'un moteur ou d'une pompe. L'activité économique dépend non pas de la demande globale, qui est toujours présente, mais de la volonté de produire de la part des travailleurs, des entrepreneurs et des épargnants. Ce qu'on peut faire ou ne pas faire par les budgets de taxes et de dépenses, c'est influencer la croissance à long terme du revenu, de la production, de la richesse. Et comment? En augmentant la productivité, ce qu'on réalise en levant les obstacles au souci des gens d'améliorer leur sort. La croissance découle de l'investissement, de l'innovation par la classe d'entrepreneurs et d'épargnants qui aspirent à devenir riches. À tous ces égards, le plan américain menace d'élargir davantage le retard relatif du Canada.
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