Montréal, 1er février 2003  /  No 118  
 
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Carl-Stéphane Huot est étudiant en génie mécanique à l'Université Laval, à Québec.
 
SCIENCES, INDUSTRIES ET SOCIÉTÉ
 
LES SYNDICATS CONTRE LES TRAVAILLEURS
ET LA POPULATION
 
par Carl-Stéphane Huot
  
      « Le pouvoir, telle une ravageuse pestilence, pollue tout ce qu'il touche. »
 
–Percy Bysshe Shelley, poète anglais
  
  
          Les chefs syndicaux répètent sans cesse qu'ils sont pour le « progrès social », qu'ils sont un facteur de richesse indéniable pour les travailleurs, en forçant les employeurs à des rémunérations plus élevées. Vraiment? Et si, au contraire, il ne s'agissait que de partager la pauvreté, avec un biais systématique en faveur des travailleurs syndiqués?
 
Le capital de risque nationalisé 
  
          Un des héritages les plus nocifs de la Révolution tranquille a été la prise de contrôle du capital de risque par le gouvernement. De plus, la manie de distribuer subvention sur subvention a fait en sorte que peu de capitaux privés sont investis dans le développement de nouvelles technologies. En effet, où est l'intérêt de développer ce genre de fonds quand le gouvernement est prêt à vous les donner en échange d'une petite cérémonie de levage de pelletée de terre et d'une autre de coupage de ruban? Pourquoi emprunter à la banque quand on peut avoir les sous au prix d'une assiette de croque-monsieur?   
  
          Cela a eu pour effet de développer une culture de quêteux, qui nous rend tous passablement vulnérables à des décisions politiques arbitraires et aux pressions de lobbies comme les syndicats. Encore mieux, toute une bureaucratie (syndiquée) vit de la vérification et de l'octroi de ces subventions. On comprend mieux le sens de l'appui des syndicats à ce réseau public quand on sait que les travailleurs de la finance privée sont loin d'être aussi enthousiastes à la pratique du syndicalisme que ceux du public. 
  
          D'ailleurs, bien que deux centrales syndicales (la CSN et la FTQ) aient chacune un fonds d'actions de travailleurs et que le gouvernement, par l'entremise de la Caisse de dépôt et placement (CDP) et de nombreuses autres sociétés d'État, réserve une portion de fonds publics à la prise de risque dans les nouvelles technologies, on peut constater que les sous investis servent souvent à faire de la petite politique et à exercer des moyens de pression sur les entreprises. 
  
          On se souviendra par exemple que, lors de l'acquisition de Vidéotron (câblodistribution) par Quebecor (médias), la Caisse de dépôt et placement avait injecté de grosses sommes. En plus de l'aspect discutable de la transaction, à savoir maintenir la propriété du câblodistributeur au Québec à tout prix, Quebecor a été fragilisé dans sa structure financière et n'est pas à l'abri d'une faillite à moyen terme. Aujourd'hui, la FTQ, qui représente une partie des employés de la compagnie, et qui se bat pour que certains d'entre eux ne passent pas à un sous-traitant pour réduire les coûts, pousse fort sur le gouvernement pour que la CDP intervienne en leur faveur auprès de Quebecor. La raison? Puisque l'argent de la CDP appartient aux travailleurs, il paraît que c'est la chose à faire. (Dans ce cas, la CDP devrait intervenir pour empêcher toutes les faillites!) 
  
          Qu'en est-il de l'argument voulant que les syndicats enrichissent les travailleurs? Encore là, la réponse n'est pas nécessairement un oui. Outre le fait qu'au Canada, lorsqu'on compare les provinces, le taux de chômage et les taxes augmentent et que le revenu familial moyen baisse avec la hausse du taux de syndicalisation – simple observation en passant – certains secteurs sont totalement fermés à qui n'est pas syndiqué. Ce monopole sur l'offre de travail coûte très cher en productivité en plus de causer bien des désagréments lorsque ce secteur se met en grève pour un oui ou pour un non.  
  
          Par exemple, en déclenchant leurs moyens de pression actuels, les médecins spécialistes compromettent l'année entière des étudiants en médecine en refusant d'enseigner. Et cela aurait pu m'arriver voici deux ans, si les professeurs de la Faculté de Sciences et Génie de l'Université Laval, en grève les lundis et les jeudis, n'avaient pas tout fait pour diminuer les inconvénients. Dominés par les professeurs des sciences sociales, les enseignants de génie n'ont pas eu d'autre choix que de faire le dos rond et de tordre leur programme en conséquence. Combien d'argent cela coûte-t-il à l'ensemble des travailleurs et des consommateurs, y compris ceux qui sont syndiqués? Je préfère ne pas y penser. 
  
L'expérience de travail 
 
          L'insistance que mettent les syndicats sur l'expérience de travail m'exaspère. Bien que ce seul sujet mériterait une chronique bien sentie dans le QL, j'essaierai de résumer ma position en quelques paragraphes. Les syndicats, de même que la majorité des gens, pensent que l'expérience a une grande valeur monétaire. Pourtant, ce n'est pas le cas, jusqu'à un certain point. Lorsque nous commençons à apprendre un nouveau domaine, ou que nous commençons un nouveau travail, chaque action nous amène à de nouveaux apprentissages. Cependant, plus nous avançons dans le temps, plus nous sommes amenés à répéter les mêmes actions, qui ne sont pas vraiment nouvelles. Si la répétition amène une certaine rapidité, celle-ci finit quand même par plafonner. C'est ce que l'on appelle la courbe d'apprentissage. Dépendamment de la quantité d'information à emmagasiner, cette courbe croîtra plus ou moins vite. 
 
          Un exemple simple me vient à l'esprit. Supposons que vous vouliez tout connaître sur un sujet donné. Vous vous précipitez d'abord sur Internet. Selon ce que vous cherchez, vous pourrez probablement faire un premier déblayage du sujet en quelques heures, qui vous permettra d'avoir un bon aperçu. Puis, vous vous procurerez quelques bons articles et livres de fond, qui vous prendront de quelques jours à quelques mois à décortiquer. Puis, selon les branches qui vous intéressent, vous pourrez passer plusieurs années de recherche là-dessus, voire même toute une vie et même faire une maîtrise ou un doctorat. Vous êtes maintenant une sommité mondiale. Cependant, la plus grande partie de ce que vous avez appris – et ce qui vous sera le plus utile, sauf exception – l'aura été dans les premières années, voire les premiers mois de votre apprentissage. La valeur économique du reste est, heureusement ou malheureusement, assez mince. 
  
     « Dans les conventions collectives, selon l'ancienneté, votre salaire augmentera automatiquement d'un certain montant à tous les ans. Or, je vous défie de trouver une différence, tant sur le plan de la quantité que de la qualité de travail, entre un travailleur de ligne de montage avec 6 mois d'expérience et un autre avec 25 ans. »
 
          En entreprise, c'est la même chose. On a tendance à mesurer l'apprentissage en termes d'expérience. Or, au-delà d'un certain point, c'est-à-dire les connaissances d'usage plus ou moins courant, il y a des choses dont on ne se servira pas ou presque pas en cours de carrière. Ces expériences surviennent assez tôt – dans les premiers jours ou les premières années, justement. Par exemple, un enseignant apprend assez tôt l'abc de la gestion de son temps de classe, de la discipline, des particularités de son programme, de la gestion de cas de troubles d'apprentissage. Il est aussi soumis à différentes situations humaines où son jugement, plus que son expérience, sera mis à profit. Et là, toute l'expérience du monde ne lui servira pas. Comme dirait ma mère, « le jour où le jugement a été distribué, certains se cachaient sous le lit pour ne pas en recevoir! » 
  
          Aussi, parce que les technologies évoluent, certaines expériences deviennent désuètes, voire dangereuses. Le langage de programmation BASIC que j'ai appris voici 20 ans n'est plus guère en usage. Certaines méthodes de travail, plus efficaces, remplacent régulièrement les anciennes. Et trop d'expérience peut nuire: qui dit expérience dit souvent manières de penser et de travailler enlisées dans des ornières profondes. Ces habitudes peuvent se retourner contre nous, comme cet automobiliste qui est tombé dans le trou creusé pour extraire les réservoirs de la station-service près de chez moi: comme tous les matins, il venait faire le plein et ne s'est pas rendu compte qu'il y avait un trou à la place de sa pompe... 
  
          Dans les conventions collectives, selon l'ancienneté, votre salaire augmentera automatiquement d'un certain montant à tous les ans. Or, je vous défie de trouver une différence, tant sur le plan de la quantité que de la qualité de travail, entre un travailleur de ligne de montage avec 6 mois d'expérience et un autre avec 25 ans. Cela s'apprend généralement en moins d'une semaine! Ailleurs, ce sera au bout de deux ou trois ans que la différence deviendra imperceptible, mais le résultat est le même. Pourtant, le travailleur avec 25 ans d'expérience aura un bien meilleur salaire et des avantages considérables financés sur le dos du plus jeune. Aussi, comme je l'ai moi-même constaté, certains s'autorisent à un relâchement dans la qualité et la quantité d'ouvrage, ce qui oblige généralement les nouveaux à compenser pour ce que les plus vieux ne font pas. 
  
          Ce n'est pas la seule place où ce « droit de cuissage » sur les plus jeunes s'applique. Ainsi, les fonds de pension font preuve d'une même discrimination envers les plus jeunes. Seuls ceux qui travaillent très longtemps pour la même compagnie y ont droit. Or, une donnée récente fait état qu'au Canada, la durée de travail moyenne dans une même entreprise est de 6 ans si la compagnie n'a pas de syndicat et de 9 ans si elle en a un. Pour une personne qui fait 40 ans dans une entreprise syndiquée, il y en a donc 15 ou 16 qui ne feront que 7 ans en moyenne. Qui profitera des sous mis par la compagnie dans le fonds de retraite des travailleurs? Le seul qui aura passé sa vie sur la chaîne de montage! Ce procédé est inique, mais en entreprise privée, cela s'appellerait « fidélisation de la main-d'oeuvre ». Reste à y trouver un nom « en syndicat ». Quoi qu'il en soit, la majorité des travailleurs gagneraient à ce que cette somme soit ajoutée à leur salaire ou à un fonds de retraite qui leur est propre.  
  
          Parlant de procédés douteux, on se rappellera qu'après la récession du début des années 80, les syndicats avaient accepté les fameuses clauses orphelin, qui consistaient en gros à sacrifier les conditions de travail des jeunes travailleurs pour permettre à ses plus anciens d'améliorer leurs conditions. Ce n'est que récemment qu'ils se sont mis à les dénoncer, quand ils se sont rendus compte que les plus vieux partaient à la retraite. 
  
Employeurs = bourreaux sans coeur? 
  
          Un autre aspect, qui intéresse vivement les syndicats concerne les lois sur la Santé et Sécurité au travail. Au Québec, cette loi présume quasiment que les employeurs sont des bourreaux sans coeur qui ne mettent des machines que pour blesser et tuer les ouvriers. De plus, elle refuse systématiquement de faire porter le blâme à un ouvrier. Même si l'équipement de sécurité est disponible et que le travailleur ne l'a pas mis ou ne l'a pas mis correctement, c'est, parait-il, la responsabilité de l'employeur de s'assurer que l'ouvrier le met, le met correctement, et qu'il ne fait pas de conneries. Un chausson avec ça? 
  
          Car la majorité des travailleurs semblent inconscients de la puissance des machines industrielles (et même domestique, d'ailleurs). En continu, un travailleur peut fournir un travail de l'ordre d'un dixième de cheval. En cas d'urgence, le coup d'adrénaline peut peut-être lui donner une puissance d'un demi HP (Horse-Power). Or, en industrie, les moteurs de plus d'un HP sont innombrables. Quand un travailleur commence sur un nouvel appareil, il est généralement plus méfiant ou au moins plus prudent. Puis avec l'« expérience » (sic), il se méfie de moins en moins. Or, à moins d'une erreur très visible, il est difficile à l'employeur ou au contremaître de s'en apercevoir. Pourrait-on seulement imaginer dire au travailleur que c'est la routine et l'absence de méfiance de sa part qui a causé son accident? Meuuuh non! Il ne faut pas le décourager de dénoncer l'« absence » de sécurité à son poste de travail! 
  
          L'été dernier, le gouvernement, à la demande des syndicats d'ailleurs, a lancé une campagne pour la protection des « centaines de jeunes travailleurs victimes de l'absence de sécurité et de l'inexpérience ». Outre le fait que l'on n'a pas beaucoup épilogué sur la gravité réelle des accidents que ces jeunes ont eus – une fracture de la jambe ou une coupure n'étant pas la fin du monde, quoi que l'on puisse en dire –, on a négligé de dire que la très grande majorité des accidents sont le résultat d'un manque de prudence élémentaire. Bien que personne ne soit à l'abri des erreurs, un moteur de 10 HP peut arracher une tête et il est impossible de garantir à 100% la sécurité d'une machine, à moins de ne pas la construire, ce qui est stupide. 
  
          Qui les syndicats représentent-ils au juste? Tous les travailleurs? Certainement pas! Tous les travailleurs syndiqués? Même pas! En fait, ils ne représentent que les travailleurs qui se donnent la peine de militer au sein du syndicat, de se présenter aux réunions, de voter, etc. Les autres, ils s'en foutent royalement. Car ils ont, avec la formule Rand, tous les outils nécessaires pour contraindre les travailleurs à suivre. Car, veut, veut pas, les travailleurs en entreprise syndiquée sont obligés de payer leur cotisation. Ce qui fait que les chefs syndicaux peuvent prétendre représenter tous les travailleurs, alors que ce n'est pas le cas. La prochaine campagne électorale au Québec permettra peut-être de faire avancer ce débat, mais j'en doute: les syndicats ne céderont pas une miette de leur pouvoir à la population. 
 
 
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