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Montréal, 15 février 2003 / No 119 |
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par
Christian Michel
Pour varier les sujets de cette rubrique, je voudrais faire part d’une de ces initiatives si simples et lumineuses dont je m’en voudrai toujours de n’en être pas l’auteur. Elle a pris pour nom TeachFirst, qui décrit bien son projet. |
Plusieurs entreprises de la Cité de Londres, parfois filiales de
groupes étrangers, sont si prestigieuses qu’elles attirent les plus
brillants sujets d’Oxford, Cambridge, London School of Economics, Imperial
College, etc., et ce, dans tous les domaines, sciences, finance, droit,
humanités... À l’initiative d’un certain John Owen, associé-gérant
d’Accenture, ces entreprises-phare ont fait l’offre suivante au ministère
de l’Éducation de Sa Gracieuse Majesté, qui l’a acceptée:
désormais tous les nouveaux employés recrutés à
la sortie de l’université par ces entreprises devront enseigner
à 80% pendant deux ans dans les établissements les plus déshérités
du pays. Chaque entreprise prend entièrement à sa charge
les salaires de ses employés au taux d’un enseignant débutant
(se réservant 20% du temps de travail, payés à un
autre barème, pour sa formation propre).
Enfin! Les écoliers et collégiens sans espoir, sans soutien familial, livrés aux profs échoués là parce qu’on ne veut pas d’eux ailleurs, vont se trouver devant des garçons et des filles de 24-28 ans, des battants, des gagnants, l’incarnation même de la réussite selon les critères actuels. Je ne me reconnais pas du tout dans cette image du cadre-fonceur-et-qui-monte, mais si ce projet peut aider la scolarisation des jeunes des cités, il est à tenter. Quelqu'un a-t-il une meilleure idée? La motivation de l’entreprise est mercantile. D’une part, son image de marque est rehaussée par une philanthropie intelligente. D’autre part, quand une jeune recrue a passé deux années face à une classe de collège à Brixton, Lambeth ou Silvertown, elle ne sera jamais intimidée par le client irascible, le fonctionnaire le plus bête et méchant, le patron le plus exigeant.
La certitude d’un emploi dans un établissement de renom vaut bien pour un jeune diplômé l’effort d’affronter des collégiens des cités (et il/elle en tirera même une grande satisfaction). Quant au ministre de l’Éducation, il se voit offrir gratuitement plusieurs centaines d’enseignants, crème de la crème. Une enquête de McKinsey (une des firmes participant au projet) révèle qu’un bon enseignant augmente de 40% le niveau d’une classe (comme s’il fallait faire appel à une firme de consultants pour le découvrir!). Nos élèves en France ne recevront jamais un tel cadeau. Les énarques, polytechniciens, HEC, ne viendront jamais enseigner en ZUP, aux frais de Peugeot ou Coca-Cola. Tout le monde y gagnerait, n’est-ce pas? – sauf la corporation des enseignants. Donc ça ne se fera pas. Le but de l’Éducation nationale n’est pas d’offrir aux jeunes le meilleur enseignement possible – quelle que soit la définition qu’on en donne –, mais de se perpétuer. Le simple fait que le personnel ait une garantie d’emploi à vie indique assez d’ailleurs le peu de cas qu’il fait de sa mission. Car il est statistiquement impossible, et empiriquement vérifié, que tous les Des projets comme TeachFirst, s’ils étaient proposés chez nous, aideraient à prendre conscience des contradictions dans le discours de la classe dominante des hommes de l’État. Ou bien leurs privilèges a réellement pour contrepartie le service public (ici, de l’Éducation nationale), et tout ce qui peut améliorer l’efficacité de l’enseignement doit être bienvenu, ou bien (ce que nos lecteurs savent déjà) ce service public ne couvre qu’un racket à main armée.
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