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Montréal, 19 juillet 2003 / No 126 |
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par
Jean-Luc Migué,
Réjean
Breton et Michel Boucher
Le réflexe des défenseurs du modèle québécois est devenu familier: se camoufler derrière les pauvres, monter aux barricades ou descendre dans la rue, quand les manières de faire différentes sont proposées aux Québécois.
La remise en question du financement des garderies met, prétendent-ils,
en péril des valeurs – on ne précise pas lesquelles – que
les Québécois tiendraient pour acquises, comme l'accès
universel aux services de l'État. L'affaire des garderies nous est
présentée comme un complot des forces du mal, le secteur
privé, contre les forces du bien qui s'exercent évidemment
du côté de ceux qui veulent toujours plus d'État, le
plus haut niveau de fiscalité possible et le maximum d'employés
du secteur public. La fiscalité alourdie comme frein à la
prospérité générale n'apparaît nulle
part dans le schéma des étatistes irraisonnés. Dans
une perspective de croissance et de progrès pourtant, la prospérité
générale reste la seule garantie à long terme de l'accès
aux services et de la liberté de choix.
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Le monopole d'État et syndical dans les services publics, et particulièrement
dans les garderies à 5$, serait la seule façon d'aider les
pauvres; d'où l'absolue nécessité de maintenir l'accès
universel et le rejet inconditionnel des garderies privées, avec
ou sans but lucratif. Selon les apôtres du bien commun, qualité
des services et recherche du profit seraient incompatibles.
L'universalité,
pièce indispensable du national-syndicalisme
Serait-il encore permis de se livrer à un peu d'analyse et d'exprimer
notre opposition à l'universalité, même si la démarche
devait nous faire basculer dans le camp du mal?
L'universalité est la solution facile; dommage qu'elle soit la pire.
D'abord, elle coûte et coûtera inutilement cher. La grosse
machine étatique va progressivement se mettre en place, insidieusement,
avec sa panoplie d'administrateurs plus soucieux du respect des procédures
que d'efficacité, avec ses cohortes d'éducatrices certifiées
conformes, avec sa kyrielle de cols bleus et blancs, et pourquoi pas rouges
pour syndiqués, avec sa convention collective
Cette exigence d'universalité et d'étatisme posée
par les âmes généreuses n'est donc pas innocente; elle
cache des intentions politiques précises. Il faut garder à
l'esprit qu'à l'opposé de la main-d'oeuvre privée,
les employés de l'État sont automatiquement syndiqués.
L'universalité et l'étatisme, c'est d'abord chez nous une
formule syndicale, une pièce indispensable du modèle québécois
de national-syndicalisme, un rouage de la machine à taxer et à
redistribuer, qui suscite au passage une classe politique de bureaucrates
syndiqués, d'autant plus puissante qu'elle sera plus nombreuse à
taxer et à redistribuer.
Les
garderies à 5$ au profit des privilégiés
Les adeptes de la garderie socialisée aiment se définir comme
inspirés par le souci des pauvres. Le fait est que l'une des meilleures
façons d'aider les pauvres est de concentrer l'aide, toute l'aide
sur les seuls pauvres.
La réalité observable est que les garderies actuelles se
font au service des classes privilégiées, et donc au détriment
des moins favorisés. Observons d'abord que ce sont les parents les
plus à l'aise et les plus scolarisés qui sont les plus susceptibles
de placer leurs enfants en garderie. À titre d'illustration, notons
que les mères qui détiennent un diplôme universitaire
sont quatre fois plus susceptibles de faire appel aux garderies que les
mères qui ont décroché à l'école. Prétendre
assister les pauvres en les englobant dans un régime universel,
c'est les ramener à leur condition de pauvres. C'est, les places
étant limitées, vouloir les faire passer après tout
le monde, parce qu'ils ont moins accès à l'information, et
surtout moins de relations et d'initiative. Prétendra-t-on que les
universitaires, les professionnels, ne passeront pas dans les faits avant
ces exclus de l'égalitarisme et de l'universalité?
Une étude de Claude Laferrière, de l'UQAM, fournit la preuve
du contraire. Les parents qui gagnent
Les
garderies à 5$, instrument de discrimination
Au plan moral, la mécanique qui refile aux ménages sans enfants
le coût des enfants des autres ne manque pas de susciter l'inconfort.
Ce n'est pas l'unique détour par lequel les fervents de la charité
avec l'argent des autres s'arrogent des vertus d'altruisme. Le régime
en place postule que la gratuité au consommateur et le transfert
du fardeau à la fiscalité générale sont l'expression
de la volonté populaire, le symbole de la justice sociale, l'expression
du sens de la compassion, qui animent l'âme québécoise,
en opposition à l'individualisme cruel des Américains.
Le fait est que les fonds publics qui servent à financer les garderies
dans leur forme actuelle ont supplanté les autres programmes publics
en faveur des familles (allocations familiales, assistance aux mères
célibataires, etc.). Cette évolution s'est donc faite au
détriment de certains groupes, dont les parents d'enfants de plus
de 5 ans, les familles monoparentales, les parents qui choisissent de rester
à la maison ou d'opter pour le travail temporaire pour assurer la
garde de l'enfant, sans oublier, bien entendu, les ménages sans
enfants. Il s'agit donc d'une forme manifeste de discrimination contre
le choix de certains parents au profit d'autres. Les sondages révèlent
que les trois-quarts des familles canadiennes préféreraient
qu'un parent reste à la maison pour prendre soin des enfants. Cette
préférence n'est pas que sentimentale.
Une méta analyse (intégration des résultats obtenus par toutes les études existantes, publiée par la National Foundation for Family Research and Education) portant sur
Et déjà, le régime fiscal favorise l'option en faveur
du travail des deux parents par le mécanisme de l'income splitting.
Le privilège associé aux garderies gratuites s'ajoute donc
à la pénalité fiscale des maris qui choisissent d'augmenter
leurs heures de travail pour laisser à leur épouse la latitude
de s'occuper de leurs enfants à la maison.
Dans la perspective collectiviste de la société, qui inspire
les concepteurs des grands projets de société, l'État
incarne une volonté sociale abstraite, supérieure au jugement
des individus qui la compose. Puisque c'est la société,
non les individus, qui possède une finalité, l'État
devient le gardien, le garant, l'incarnation de la culture et du bien-être.
Le redistributionnisme au service de l'ordre juste dicté par
l'élite politico bureaucratique s'impose, puisque les individus
ignorent ce qui est bon et mauvais pour eux. En sciences sociales,
on range cette approche dans la catégorie des pseudosciences au
même titre que l'astrologie, la parapsychologie et les autres sciences
occultes.
Un
aménagement respectueux du choix des parents
Les fanatiques du lobby étatiste ne conçoivent qu'une solution
au problème des parents modernes: la garderie publique universelle.
Pour ces idéologues, l'option de favoriser la croissance du revenu
familial pour permettre à un parent de travailler de moins longues
heures à l'extérieur ou de payer sur demande un voisin, un
ami ou un parent pour assurer la garde, est un sacrilège contre
la religion collectiviste. Il existe pourtant une alternative évidente
au régime actuel pour favoriser la croissance du revenu et la liberté
des parents de choisir l'aménagement qui convienne à leurs
valeurs et à leur disponibilité: l'octroi d'allocations aux
parents moins à l'aise, qui leur laissent, comme aux plus fortunés,
toute latitude de retenir l'aménagement adapté à leurs
besoins. La formule servirait à abaisser le fardeau des moins bien
nantis qui opteraient pour la garderie, publique ou privée, ou à
remplacer le revenu sacrifié de ceux qui choisiraient de rester
à la maison. Les enfants des parents défavorisés seraient
les plus susceptibles d'y gagner. La formule sacrifie même à
l'idole collectiviste en reportant sur les ménages sans enfants
une partie du fardeau des parents.
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