Montréal, 13 septembre 2003  /  No 128  
 
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Paul Beaudry est étudiant en droit à l'Université de Montréal.
 
Réjean Breton et Brigitte Pellerin, Le National-syndicalisme, Montréal, Éditions Varia, Collection Essais et Polémiques, 2001, 134 pages.
 
OPINION
  
À QUAND LA FIN
DU DESPOTISME SYNDICAL?
 
par Paul Beaudry
 
 
          « Arrête de travailler tout de suite, 'sti. » L'homme qui me parle a la figure masquée et est assis confortablement dans son camion de la Ville de Montréal. Je l'ignore et continue de couper le gazon d'un des nombreux parcs de la ville. Après tout, je ne ferai pas beaucoup d'argent cet été si j'obtempère à sa demande. Mais la situation se complique: d'autres cols bleus, plus costauds cette fois-ci, se présentent et sortent de leur camion avec l'intention de faire du grabuge. Je me vois dans l'obligation d'arrêter de travailler. 
  
          Cet incident a eu lieu en juin dernier, lorsque les membres du plus gros groupe criminel organisé de Montréal, le syndicat des cols bleus, exerçaient des pressions pour obtenir une nouvelle convention collective (i.e. un salaire plus élevé – leur salaire est déjà trop élevé – et ce qu'ils qualifient de meilleures conditions de travail). J'étais employé d'une compagnie d'entretien de pelouses et l'un de nos clients, l'arrondissement de Kirkland, nous avait confié l'entretien des parcs. Malheureusement, le syndicat des cols bleus avait choisi le mois de juin pour exercer des pressions sur l'administration municipale de Montréal. À cette fin, les cols bleus devaient empêcher les employés sous-traitants de Montréal de tondre le gazon dans tous les arrondissements. En effet, en voyant tous les espaces verts de la ville de Montréal transformés en champ de foin, le maire Tremblay se verrait dans l'obligation de plier aux demandes du syndicat! 
 
          Comme moyens de pression, tout était permis: sabotage, intimidation, destruction de la propriété privée et publique. Le pire est que les cols bleus qui perpétraient de tels crimes n'étaient pas punis par les autorités, en plus d'être perçus comme des héros par leurs collègues syndiqués. Il va sans dire que de tels actes n'étaient jamais commis par les cols bleus des municipalités du West Island (qui dans bien des cas, n'étaient même pas syndiqués) avant les fusions municipales. Il n'est pas si étonnant que tant de citoyens de l'île de Montréal souhaitent la défusion: en plus d'avoir à tolérer une baisse de la qualité des services municipaux et une hausse de taxes, ils ne veulent pas être pris en otage par le syndicat des cols bleus une nouvelle fois.  
  
          Au Québec, où le syndicalisme est roi (40% des Québécois sont syndiqués, ce qui représente le plus haut taux de syndicalisation en Amérique du Nord), il est difficile de trouver des politiciens, des journalistes ou des universitaires qui osent briser la loi du silence et dénoncer ouvertement la poigne de fer qu'ont les syndicats sur l'appareil politique québécois. Heureusement, Réjean Breton et Brigitte Pellerin n'hésitent pas à s'attaquer aux idées reçues. 
  
Social-démocratie à la sauce québécoise 
  
          Dans Le National-syndicalisme, Breton, professeur de droit du travail à l'Université Laval, et Pellerin, chroniqueure à The Gazette et au Ottawa Citizen, s'affairent à démontrer comment la culture syndicale québécoise nuit à toute tentative de progrès et plonge la société québécoise dans un statu quo qui consacre la social-démocratie à la sauce québécoise: le national-syndicalisme. 
  
          Le premier chapitre de National-syndicalisme met en lumière les absurdités que l'on retrouve dans le Code du travail (ou « Code de la syndicalisation », comme disent les auteurs). Ce Code sanctifie le principe de « liberté syndicale » en ayant comme objectif principal la négociation collective des conditions de travail. Mais attention, la signification du mot « liberté » dans « liberté syndicale » n'est pas celle du dictionnaire. En effet, la « liberté syndicale » est en réalité le pouvoir qu'ont les syndicats d'imposer leur présence et leurs manières de faire à tous les employés d'une entreprise, qu'ils le veuillent ou non. Dès qu'un syndicat fait son entrée dans une entreprise, tous les nouveaux employés de cette entreprise doivent adhérer au syndicat, peu importe leurs opinions et leurs choix personnels. 
  
          On pourrait jurer que le Code du travail a été écrit par l'Union des Forces Progressistes: le militant syndical jouit d'une protection légale quasi-blindée tandis que l'employeur est perçu comme un exploiteur égoïste. Breton et Pellerin démontrent qu'il est presque impossible pour un employeur de congédier un employé qui néglige son emploi au profit d'activités syndicales. En effet, dans le cas d'un congédiement d'un activiste syndical, la loi crée la présomption qu'il a été renvoyé à cause de ses activités syndicales et non parce qu'il a été un mauvais travailleur. Ce n'est pas à l'activiste syndical de prouver qu'il n'a pas négligé son emploi, mais plutôt au patron de prouver qu'il ne l'a pas congédié en raison de ses activités syndicales. 
  
          Pour illustrer ce concept, prenons l'exemple d'un activiste syndical qui incite les employés à ne pas respecter les ordres de l'employeur. Il néglige constamment son travail (ce pour quoi il est payé, pour ceux qui l'ont oublié). Après des bris d'équipement et des menaces physiques proférées à l'égard des cadres de l'entreprise, l'employeur décide de congédier l'activiste syndical, qui est l'instigateur de toutes ces actions illégales. Jusqu'ici, tout est normal. Les actions de l'employeur apparaissent complètement raisonnables. Mais voilà que notre valeureux système de justice entre en jeu: « Le juge du travail, appelé à trancher la question de savoir si le congédiement est conforme à la loi [...], sera certainement forcé de reconnaître [...] qu'en temps normal, ces fautes justifieraient amplement le congédiement. Mais les articles 15 à 20 du Code du travail l'obligeront à exiger de l'employeur la preuve qu'il ne s'est pas servi de ces fautes comme occasion, ou prétexte, pour camoufler la vraie raison du congédiement – à savoir qu'il ne cherchait qu'à se débarrasser d'un activiste syndical. » (p. 21) 
  
     « Plutôt que d'écouter religieusement les sermons des curés, les Québécois sont maintenant pendus aux lèvres des dirigeants syndicaux. »
 
          Bref, plus l'employé participe à des activités syndicales (grèves, intimidation, sabotage...), plus il est protégé par le Code du travail. Comme l'indiquent les auteurs, « la protection des activités syndicales est directement proportionnelle au niveau d'agitation syndicale du salarié! » (p. 24) 
 
          Breton et Pellerin dénoncent ensuite le pouvoir énorme que détiennent les syndicats au Québec et ses effets dévastateurs sur le dynamisme de la société québécoise. Prenons par exemple l'emprise syndicale sur le milieu de l'éducation. Le lauréat Nobel d'économie Milton Friedman affirme que les écoles publiques ne sont pas vraiment des écoles publiques, mais plutôt des écoles privées contrôlées par les syndicats. Il a raison. Au Québec, les syndicats freinent toute tentative de réforme du système éducatif. On n'a qu'à se rappeler le branle-bas de combat général qu'a provoqué l'Action démocratique du Québec chez les syndicats quand elle a proposé des bons d'études en éducation lors de la dernière campagne électorale. Les bons d'études auraient accordé plus de pouvoir décisionnel aux administrateurs des écoles et aux parents et auraient réduit celui des syndicats: un sacrilège! 
  
          Le rôle principal des syndicats en éducation est de protéger les incompétents qui, dans un monde sensé, seraient immédiatement congédiés. C'est pour cela que les activistes syndicaux du secteur de l'enseignement s'opposent à toute mesure visant à évaluer leurs compétences: ils savent qu'une multitude de jeunes plus compétents et intéressés (mais qui n'ont pas leur « permanence ») attendent impatiemment de les remplacer. Et dire que la majorité des Québécois pensent que les gentils syndiqués ont la réussite de leurs enfants à coeur... 

Un parallèle intéressant 
  
          Les auteurs dressent un parallèle intéressant entre le « national-syndicalisme » qui sévit présentement au Québec et le « national-cléricalisme » québécois des années 1950. En effet, comme il est indiqué sur la quatrième de couverture, « Les Québécois des années 1950 s'en remettaient à la divine Providence. Aujourd'hui, ils s'en remettent à l'État-providence. » Breton et Pellerin remarquent cyniquement que plutôt que d'écouter religieusement les sermons des curés, les Québécois sont maintenant pendus aux lèvres des dirigeants syndicaux. Il est impensable de remettre en cause le bien-fondé des monopoles syndicaux, comme il était impensable de critiquer le clergé avant la Révolution tranquille. Si les puissants syndicats empêchent les petits salariés d'aller travailler en bloquant les transports publics ou en commettant des actions illégales lors de grèves, il vaut mieux se taire. Tout opposant aux syndicats est un ennemi de la classe ouvrière et du modèle québécois. 
  
          Au Québec, les syndicats sont tellement importants que les leaders syndicaux ne se limitent pas à négocier avec des patrons: ils sont les porte-flambeaux de la grande nation québécoise. Depuis l'accession au pouvoir du Parti québécois en 1976, les centrales syndicales ont entretenu une relation incestueuse avec le parti à Ti-poil. Lors des campagnes électorales, les syndicats, avec leurs 1,5 millions de membres, constituent un allié précieux: le PQ a su en bénéficier. Par exemple, juste avant le référendum de 1980, le gouvernement péquiste a octroyé des augmentations de salaire aux 500 000 employés de l'État. Et certains disent que Duplessis était corrompu... 
 
          En conclusion, la lecture du National-syndicalisme s'impose pour toute personne qui attend impatiemment que le Québec sorte de sa Grande Noirceur syndicale. En lisant cet ouvrage, on se rend compte que les Québécois ont cessé d'être les porteurs d'eau des « Anglais » en 1960 pour devenir les porteurs d'eau des syndicats et de l'État-providence après la Révolution tranquille. Dénoncer les syndicats n'est pas à conseiller aux gens qui veulent gravir les échelons politiques ou académiques dans la société québécoise. C'est pourquoi il faut reconnaître le courage et l'honnêteté intellectuelle dont ont fait preuve Réjean Breton et Brigitte Pellerin en écrivant ce livre. Espérons qu'ils ne feront pas l'objet d'une fatwa de la CSN ou de la FTQ! 
 
 

 
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