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Montréal, 7 février 2004 / No 137 |
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par
Carl-Stéphane Huot
Les débats publics nous réservent bon nombre de sources d’étonnement, quand on s’y attarde un peu. Parmi toutes les idées émises par les lobbies et le bipède moyen (vous et moi, quoi), plusieurs relèvent de la pensée magique, du genre: si on faisait ceci au lieu de cela, tous les problèmes seraient résolus. En voici quelques-unes. |
Entre
soleil et vents
Voici peu, lors d’audiences environnementales pour la construction d’une nouvelle centrale thermique au Québec, le président d’Hydro-Québec, notre société d’État chargée de l’énergie, s’est fait arroser par un militant environnemental qui ne comprenait pas pourquoi, plutôt que d’utiliser les solutions miracles que sont l’éolienne et le solaire – en plus de réductions drastiques de la consommation d’énergie personnelle –, on s’obstinait dans ce projet dément de centrale au gaz. Plusieurs raisons techniques s’opposent pourtant à ce que nous nous engagions dans une telle avenue. Prenons le cas le plus facile, l’énergie solaire. Outre le fait que la création et la destruction des cellules est très polluante en soi, que celles-ci ne fonctionnent que la moitié du temps – et en général ne fonctionnent pas ou peu aux moments où elles seraient les plus utiles, soit entre 6h et 8h et entre 17 et 19 heures –, leur fabrication demande plus d’énergie qu’elles ne sont capables d’en produire dans leur vie utile. Bref, si des applications comme les satellites peuvent y trouver leur compte, il n’en demeure pas moins que ce n’est qu’un gadget pour les applications terrestres. Le cas de l’éolienne est un peu plus complexe. S’il est vrai que celle-ci est rentable lorsque la vitesse du vent dépasse les 20km/h, elle est inutile si le vent n’atteint pas 15km/h – parce qu’elle n’a pas assez d’énergie pour tourner. Au contraire, s’il vente vraiment trop (90km/h et plus), l’hélice doit être arrêtée et risque de se briser. S’il est aussi vrai que le coût de l’énergie d’une éolienne se compare assez bien aux autres sources, il faut se rappeler qu’il faut réussir à vendre toute l’énergie produite par l’éolienne pour obtenir cette quasi-égalité de coût. Autrement, le coût de l’énergie éolienne peut augmenter très vite. Comme la production dépend du cube de la vitesse des vents, et que celle-ci est pratiquement aléatoire (variant par exemple entre 0 et 50km/h environ à Québec en hiver) alors que la demande d’électricité suit des courbes bien définies, il est illusoire de croire que toute l’énergie productible puisse être vendue et qu’une société comme Hydro-Québec puisse vraiment s’appuyer là-dessus pour satisfaire à la demande. Elle ne peut donc qu’offrir un apport supplémentaire... et seulement si le dieu du vent veut bien collaborer! Économiser pour la planète Les économies d’énergie sont un autre dada des écologistes. Le mois de janvier ramène toujours ce débat sur la table des Québécois, surtout parce que les très grands froids amènent la consommation globale d’électricité à des niveaux près de la capacité totale de notre chère compagnie d’État. Bien que l’isolation de certaines résidences soit perfectible, et que certains individus gaspillent, il est douteux que cela change vraiment le niveau global de consommation d’énergie, puisque notre qualité de vie en dépend étroitement. Premièrement, avec les écarts de température subis en hiver entre nos résidences et l’extérieur, la quantité de chauffage est quasiment incompressible, sauf à augmenter la quantité d’isolation, ce qui augmente le coût des habitations et des loyers (probablement au-delà de ce qui serait sauvé en coût d’énergie) en plus de demander la création de plus de matériaux – ce qui augmente la quantité d’énergie consommée en industrie presque autant que la quantité économisée par l’ajout d’isolant dans les résidences...
Deuxièmement, la machinerie, qu’elle soit dans les entreprises ou dans les résidences, contribue plus ou moins directement à notre niveau de vie, qu’il s’agisse de gagner un temps précieux à laver le linge (machines à laver) ou à libérer une main-d’oeuvre plus utile ailleurs que dans les entreprises de fabrication de biens (les robots et autres permettent à des médecins par exemple de ne pas devoir fabriquer les biens dont ils ont besoin). Bien que le gaspillage doive être évité, il est illusoire de penser qu’une réduction sérieuse de consommation d’énergie n’aura pas un impact sur la qualité de vie des consommateurs. Une autre belle arnaque, en terminant sur le sujet de l’énergie: afin de contourner le problème de branchement d’une voiture électrique, la Toyota Prius Hybrid 2004 (carburant et électricité) n’a pas besoin d’être branchée, elle se recharge à même le moteur à essence du véhicule. Donc, non seulement l’énergie électrique du véhicule provient-elle du pétrole, mais en plus ses transformations successives font baisser son rendement énergétique de 15 à 11%. Méchant gadget publicitaire qui trouvera certainement preneur chez les écologistes qui auront l’illusion de contribuer à sauver l’environnement! Est-ce la vache qui est folle? Dans un autre ordre d’idées, certains ont profité des différentes crises sanitaires vécues de par le monde ces dernières années (vache folle, SRAS, grippe aviaire) pour suggérer encore une fois de revenir aux «bonnes vieilles méthodes agricoles d’autrefois» – comme l’indépendance agricole de toutes les nations, l’agriculture paysanne (chacun ses poules et ses cochons), le biologique et j’en passe... Ces méthodes semblent tellement meilleures pour tout le monde mis à part quelques petits problèmes, à commencer par le fait qu'on serait incapable de nourrir toute la population actuelle du globe si elles se généralisaient. Si l’on ajoute à cela le danger toujours présent de famines dues à des conjonctures météorologiques aléatoires, vouloir imposer l'autarcie alimentaire aux régions relève de la démence. Quant à réduire les échanges de cheptels vivants pour diminuer les risques de contaminations, cela se ferait au prix d’une plus grande consanguinité donc, potentiellement, rendrait ce même cheptel plus fragile à d’autres formes de bactéries, de virus et de malformations. Une autre idée en continuelle mouvance est celle du nationalisme économique. Sans répéter tout ce qu’ont déjà écrit nos amis Adam Smith et Johan Norberg par exemple, nous pouvons dire ceci: elle suppose que les gens soient prêts à acheter chez eux au détriment d’achats à l’étranger même moins coûteux. Elle suppose aussi que la plupart des gens sont des imbéciles qui doivent être menés à la baguette par des lobbies et des gouvernements s’il le faut, en haussant les tarifs douaniers pour dissuader les gens de regarder ailleurs. Bien que cette idée semble préserver des emplois – même peu productifs –, elle se révèle à la longue coûteuse pour tout le monde, puisque nous payons alors plus cher pour des biens qui sont disponibles ailleurs à meilleurs prix, et qui mobilisent de la main-d'oeuvre qui seraient certainement mieux utilisés dans des activités plus productives. En plus, compte tenu du fait que la quasi-totalité des découvertes sont utiles pour une bonne partie de la planète – et non seulement pour les citoyens d’une seule région – et qu’en plus la quasi-totalité de ce qui nous entoure est le fruit d’une combinaison d’idées, de matériaux et de pièces venant de partout dans le monde, le nationalisme économique sent le ridicule à plein nez. Vous voyez-vous refuser un vaccin ou une opération susceptible de vous sauver la vie sous prétexte que la technique qui les compose n’a pas été le fruit du cerveau de votre troisième voisin? Moi, non. Et, en passant, j’ai tout de même assez de mal à comprendre comment on peut à la fois militer pour des barrières tarifaires élevées en Occident et pour une amélioration du niveau de vie dans le Tiers-Monde. Bien des emplois créés en Asie, entre autres, dépendent de ce que l’Occident veuille bien acheter les produits ainsi fabriqués. Bien qu’encore là tout ne soit pas parfait, le Tiers-Monde avance. Ainsi, la Chine a décuplé son niveau de vie en 20 ans en devenant un important fabricant pour l’Occident, sans que cela se traduise par une baisse catastrophique du niveau de vie chez nous. Les exemples du genre pourraient certes être multipliés, et pas seulement en science ou en économie, mais aussi au niveau social – on n’a qu’à penser aux ultra-conservateurs qui prédisent la fin de la Civilisation à chaque fois que quelqu’un pète de travers –, mais c’est suffisant pour illustrer mon propos. Les solutions simples n’existent tout simplement pas et les idéologues qui tentent à tout prix de vendre l’assurance d’un monde rose bonbon doivent être ramenés à l’ordre. Ils doivent cesser de nous faire prendre des vessies pour des lanternes.
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