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Montréal, 7 février 2004 / No 137 |
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par
Mickaël Mithra
La principale source de désaccord qui sépare libéraux et étatistes est au fond un malentendu sur le sens des concepts. C’est pourquoi il faut sans relâche repréciser, redéfinir les mots qu’on emploie. |
Des mots courants comme «liberté» et «pouvoir»,
notamment, font depuis des siècles l’objet d’une confusion destructrice
dans les esprits.
Pour la plupart d’entre nous, «liberté» signifie «capacité». Serait libre celui qui pourrait faire «ce qu’il veut», sans entrave et sans limite. Affranchi des lois de la nature. Une telle confusion est absurde et dangereuse. Liberté vs Capacité La capacité concerne les rapports que les hommes entretiennent avec l’univers physique qui les entoure. La capacité est un concept qui synthétise le degré de connaissance que les hommes ont des lois de la nature en même temps que le degré d’exploitation de cette connaissance qu’ils ont pu atteindre. La capacité n’est pas innée: elle est le fruit du développement de la science (c’est-à-dire de la connaissance des lois de la nature) combinée à une organisation sociale adéquate, qui permette l’exploitation de cette connaissance: la division du travail. Il n’y a pas de raison de penser que les possibilités d’extension de la capacité soient bornées. Au contraire, un regard vers le passé nous incite à être extrêmement optimistes de ce côté-là. Mais le progrès dans la capacité est subordonné à un effort permanent, qui se fonde sur la raison et l’échange. La «liberté», au contraire, est un concept qui concerne les rapports des hommes entre eux. Un homme est libre s’il ne fait l’objet d’aucune agression de la part de ses semblables. On dit souvent que la liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres, mais cette expression est trop vague pour éclairer les esprits. De manière plus précise, cela signifie simplement que la liberté des uns s’arrête là où commence la propriété des autres. C’est un concept qui ne concerne, je le répète, que les rapports des hommes entre eux, et plus précisément le degré d’agression. De sorte que celui qui ne possède que son corps et son vêtement est aussi libre qu’un riche rentier pourvu qu’il ne fasse pas l’objet d’une agression humaine. Ce qui diffère entre eux, c’est bien la capacité. Et c’est cette distinction essentielle que ne voient pas les étatistes. Quand les étatistes réclament plus de liberté, c’est de capacité qu’ils parlent en réalité. Et c’est bien contre la liberté qu’ils en ont, puisqu’ils prétendent augmenter la capacité des uns par une restriction de la liberté des autres. Or cette prétention, au-delà de son caractère totalement erroné, nous renvoie aux époques reculées des sociétés tribales où les normes sociales étaient confondues avec les lois de la nature dans une ignorance généralisée où la superstition tenait lieu de connaissance.
C’est toute la mystique du sacrifice, si bien dégagée par la philosophe américaine Ayn Rand. En effet, dans un tel schéma de pensée, il est possible par l’imposition de normes sociales (restriction de la liberté, sacrifice) d’influencer les lois de la nature (augmentation magique de la capacité). C’est une idéologie qui date d’avant la découverte des lois de l’économie qui énoncent que c’est par la raison et la division du travail qu’on acquiert la capacité, et non par la restriction de la liberté. Pouvoir politique vs Pouvoir économique L’autre confusion majeure que nous rencontrons tous les jours est un avatar de la précédente. Il s’agit de l’amalgame entre «pouvoir politique» et «pouvoir économique». Généralement, les étatistes (modérés) veulent bien concéder qu’il faut réduire celui-là à condition de réduire également celui-ci. La confusion concerne ici l’emploi d’un même mot, le mot «pouvoir», pour désigner deux réalités radicalement différentes. En effet, le pouvoir politique est la capacité d’une personne ou d’un groupe d’imposer certains des choix existants en détruisant les autres par un processus de restriction. Si les choix qui s’offrent à vous pour survivre sont par exemple la consommation de carottes ou de pommes de terre, le «pouvoir» politique consistera à vous empêcher de manger, disons, des pommes de terre. Il ne vous restera plus qu’un choix: les carottes. Il est important de comprendre, par conséquent, que le pouvoir politique ne créé jamais rien: il ne fait que sélectionner des choix préexistants par la suppression des alternatives. Cette restriction ne peut être obtenue que par la violence ou la menace de l’employer. Le pouvoir économique, au contraire, est la capacité d’une personne ou d’un groupe de créer des choix supplémentaires qui viennent s’ajouter à ceux qui préexistent. Si les choix qui s’offrent à vous pour survivre sont, par exemple, la culture d’un petit potager dans votre jardin ou la prostitution (alternative que connaissent des millions de gens dans les pays du tiers-monde), le «pouvoir» économique vous proposera un troisième choix, par exemple la confection de tapis destinés à l’exportation. Cet élargissement des choix n’est possible que si quelqu’un, à un moment donné, a fait usage de sa raison et de son intelligence dans un acte créateur. Le pouvoir politique est limité, comme toute destruction: son aboutissement ultime est la suppression de tout choix: la mort. Il consiste en fin de compte uniquement dans la restriction de la liberté. Le pouvoir économique, au contraire, est potentiellement illimité, car le nombre de choix qui s’offrent aux individus n’est pas théoriquement borné. Le pouvoir économique, en dernière analyse, consiste dans l’accroissement de la capacité. La perversion ultime des esprits se retrouve dans l’idée que c’est le pouvoir économique qui restreint les choix, et que c’est le pouvoir politique qui les élargit, alors que par définition c’est le contraire qui est vrai. Cette courte réflexion jettera un éclairage nouveau, je l’espère, sur cette petite phrase de l’étatiste Noam Chomsky:
Soit le «potentat» dispose d’un pouvoir politique à l’origine du dénuement de son «sujet», ce qui veut dire que le potentat a restreint à un moment donné les choix de ce «sujet» par la violence. Dans ce cas, il est indéniable que «l'idée d'un contrat libre» entre eux est une «farce sordide»: car c’est là simplement la nature du pouvoir politique. Soit, et c’est probablement ce qu’a voulu dire Noam Chomsky, le «potentat» dispose d’un pouvoir économique par lequel il peut offrir au «sujet» de nouvelles possibilités de survie qui n’existaient pas préalablement. N’en déplaise au célèbre linguiste, un contrat libre entre eux est alors une chance merveilleuse pour le sujet affamé. On voit donc clairement que le pouvoir économique ne peut jamais opprimer, et qu’il augmente nécessairement la capacité de tous ceux qu’il atteint. De même, le pouvoir politique réduit tout aussi nécessairement la capacité de certains en diminuant leurs choix. Il n’y a donc aucune raison de lutter contre le pouvoir économique, qu’il faut au contraire accroître au maximum. Quant au pouvoir politique, qui détruit et restreint, il faut le combattre sans relâche en espérant qu’un jour, il ne sera plus dans l’esprit des hommes que le mauvais souvenir d’un âge barbare.
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