|
Montréal, 21 février 2004 / No 138 |
|
par
Jasmin Guénette
Le 12 février dernier, tous les grands quotidiens de Montréal rapportaient les arguments de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec (FFMQ) présentés lors de sa comparution devant la commission parlementaire visant l’étude d’un document du ministre de la Sécurité publique du Québec, M. Jacques Chagnon, intitulé La Sécurité privée, un partenaire de la sécurité intérieure. |
Selon ce syndicat, la paix sociale serait en péril si les agences
privées de sécurité pouvaient patrouiller certains
espaces publics à la place des policiers municipaux. Les lois devraient
interdire aux agences de pratiquer de telles activités puisque cela
ne correspondrait pas aux valeurs démocratiques québécoises
et les dangers seraient trop grands de voir apparaître un système
parallèle de sécurité.
Actuellement au Canada, selon le Centre de la statistique juridique, les services de police coûtent 7,8 milliards de dollars aux contribuables et le Québec est la province où il se dépense le plus d’argent par habitant pour ce type de services. Sur ce montant, 8 dollars sur 10 sont versés en salaire. Évidemment, bien des gens ne contesteront pas les demandes policières. Aucun service ne semble plus primordial que celui-ci, qui garantit notre sécurité physique. Est-il vrai de dire cependant que la paix est menacée si les individus décident volontairement d’engager des patrouilleurs privés pour protéger leurs biens? Est-il vrai que cela est anti-démocratique? Que plusieurs réseaux de sécurité seraient néfastes? Rien n’est plus faux. Sécurité vs justice Tout d’abord, il est important de distinguer les services de sécurité et les services de justice. Le pluralisme policier ne mine pas les chances de coffrer les bandits et ne valide pas les comportements criminels. Ce n’est pas parce que plusieurs agences de police opèrent sur un même territoire que les criminels pourront se réfugier sous l’une d’elle et se soustraire aux lois. Les actes criminels, qui sont des atteintes envers les biens d’autrui et la personne, seront punis, cela même s’il y a plusieurs agences sur un même territoire. Que l’agence A ou B soit responsable de l’arrestation d’un contrevenant ou qu’un voleur soit arrêté à Montréal ou à Québec, par exemple, ne change en rien la nature de son délit.
Pour le Syndicat des policiers municipaux, il n’y a que ses membres qui puissent assurer un service de police adéquat et qui soient à l’abri de tout soupçon. La nature humaine, essentiellement avare et égoïste, pousserait inévitablement les gens en position de force à abuser de leur pouvoir. C’est pourquoi un service financé par une autorité publique serait essentiel afin de maintenir la paix. Cette affirmation ne tient pas la route. Si cette définition de la nature humaine est vraie, les policiers et les policières ne sont-ils pas eux aussi des êtres avares et égoïstes? Comment peut-on alors leur faire confiance? Dans ce cas, la «paix sociale» est un mirage puisque la principale raison qui incite les gens à ne pas s'opposer à des policiers qui abuseraient de leur pouvoir a essentiellement trait à la situation de monopole que détiennent les agents de police. Pour remédier à la situation, il faudrait que les gens aient la possibilité de trouver une agence qui respecte les droits individuels de manière stricte. Par contre, si cette définition de la nature humaine n’est pas vraie, alors il n’y a rien à craindre des agences privées de police. Faible argumentaire L’argument démocratique utilisé par le syndicat est également faible. Dans une démocratie, les raisons qui poussent les électeurs à voter pour un représentant plutôt que pour un autre sont aussi variées que les choix des consommateurs pour une marque de voiture plutôt qu’une autre. Les choix individuels sont subjectifs. Rien ne peut laisser croire aux représentants de syndicat de police que les valeurs sont les mêmes d’un individu à l’autre et ce même si plusieurs personnes ont voté pour le même parti politique. De plus, les valeurs sont changeantes et se modifient dans le temps. Aujourd’hui je peux croire en certaines choses et demain ne plus penser de cette manière. Le point le plus important qui devrait animer les actions politiques en démocratie est le respect des libertés individuelles. Dès lors qu’elles sont brimées, l’idéal démocratique s’effrite et dérive vers le socialisme. Les policiers travaillent dans un marché monopolistique. Ils n’ont à craindre ni les concurrents, ni les clients. Cette situation s’apparente à un cartel. Les cartels visent la suppression de la concurrence pour leur propre bénéfice et veulent restreindre l’information disponible aux citoyens et aux consommateurs. Le cartel policier actuel craint les forces du marché et, puisqu’il ne peut convaincre tout le monde de ne pas faire des affaires avec les agences privées, il se tourne vers le législateur pour qu’une loi vienne valider de force ses ambitions. La démocratie devrait être un lieu de pluralisme et non pas de cartel. Si un parti politique inclut dans son programme l’abolition du monopole policier et que ce parti est élu, que dirait le syndicat des policiers à propos des valeurs démocratiques des Québécois? Il faut dire que le pluralisme policier est non seulement souhaitable, mais également efficace dans la mesure où des ressources humaines et monétaires supplémentaires pourraient être allouées à la lutte contre la criminalité. La concurrence policière pousserait les agences à développer de nouvelles approches, de nouvelles technologies, à mettre en place des mécanismes de protection toujours plus sophistiqués et une formation de personnel visant à se démarquer des concurrents. Le monopole n’incite ni à la recherche, ni au dépassement, et la sortie du syndicat des policiers et des policières le prouve bien. Plutôt que d’analyser les raisons qui poussent les gens vers les entreprises privées de sécurité et d’apporter les ajustements nécessaires, les policiers veulent restreindre le choix des consommateurs et des organisations et ainsi protéger leur mainmise sur ce service.
|
<< retour au sommaire |
|