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Montréal, 21 février 2004 / No 138 |
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par
Gilles Guénette
Pour plusieurs, l’université est un haut lieu du savoir. À entendre ce qui en sort parfois, c'est aussi un haut lieu de la bêtise. Depuis que ce sont les étudiants qui mènent sur le campus, l’université est devenue un lieu de revendications. Ces grands enfants gâtés y font la pluie et le beau temps. Du syllabus de cours aux modes «acceptables» de financement des universités, ce sont eux qui décident tout. Voilà maintenant que les étudiants transgenres s’en mêlent et réclament leurs propres toilettes sur le campus. À bas la «ségrégation sexuelle»! Vive les toilettes libres! |
On apprenait la semaine dernière dans le Globe and Mail que
les associations étudiantes de deux universités canadiennes,
Concordia à Montréal et Simon Fraser à Burnaby, Colombie-Britannique,
étaient en négociations avec les dirigeants de leurs administrations
respectives dans le but de trouver des endroits sur le campus où
des toilettes réservées à la population transgenre
qui fréquente ces établissements pourraient être aménagées(1).
À l’Université McGill, ce serait chose faite: des toilettes
«unigenres» (gender-neutral) seront installées
au premier étage du nouveau centre étudiant – question de
refléter davantage la «réalité» des étudiants.
«To many, access is narrowly defined as a wheelchair ramp and a wheelchair-accessible
toilet within a gender-segregated washroom. This definition of access simply
does not reflect the reality for many students on this campus», de
dire Brianna Hersey, vice-président(e) de la Students' Society de
l’université montréalaise.
Finis les petits pictogrammes discriminatoires du Monsieur à pantalon
ou de la Madame à jupe sur les portes. À la place, de simples
écriteaux sur lesquels on pourra lire le mot «Toilettes»
(ou «Washrooms»). Et hop! n’importe qui/quoi pourra
y entrer. Un petit pas pour les trans, un grand pas pour l’humanité.
Les associations étudiantes disent être de plus en plus sollicitées
par les transgenres pour que de telles toilettes soient aménagées.
Imaginez.
«Transgenre» désigne une personne dont le genre ne coïncide
pas avec son sexe, c'est-à-dire une personne qui n'est pas «intersexuée»
mais qui a l'intime sentiment d'appartenir à un autre genre que
celui que son corps laisserait supposer, et pour qui cet intime sentiment
est durable et n'est pas la conséquence uniquement de troubles psychiatriques
manifestes passagers ou durables(2).
Hmm… complexe. Quelques transgenres subissent «la grande opération»
pour devenir membres du sexe opposé. Les autres préfèrent
s'attriquer de façon ambiguë.
Y en a-t-il beaucoup de ces trans sur les campus? Suffisamment pour justifier
l’existence de la Transgender Alliance and Queer McGill, de souligner Brianna
Hersey – elle-même intergenre (gender-variant), ou personne
dont le genre n'est pas véritablement défini (ni homme ni
femme), ou bien dont le genre varie (un jour femme, un jour homme, un jour…).
À la même question, Louis Julig, transgenre membre de la Simon
Fraser Student Society, répond de façon aussi vague: «It
doesn't really matter. If there was one student this would be necessary.
It's a public service that should be provided to all students.» Le
même genre de commentaire bidon qu'utilisent constamment les intervenants
sociaux pour vendre leur salade: «Si on réussit à sauver
une vie avec tel ou tel programme, ça en vaut la peine!»
Quelqu'un pourrait-il rappeler à ces m’sieurs dames que tout a un
prix? Et que c'est nous qui en bout de ligne payerons pour leurs lubies.
Eh oui, on va construire des toilettes unigenres sur tous les campus du
pays parce que quelques transgenres se sentent intimidé(e)s lorsqu’ils
vont au petit coin en compagnie de gens ordinaires – ces personnes dont
le genre coïncide avec le sexe. Les étudiants sortent peut-être
de nos universités sans trop savoir comment écrire, ils ne
sortent pas sans savoir comment «évoluer» en société!
Brainwashés par leurs socialistes de profs et par le climat
de rectitude politique qui règne dans ces établissements,
ils sont visiblement à l’aise avec le concept de revendication –
en tout cas, ceux qui sont impliqués dans le mouvement étudiant
ou qui descendent dans la rue à tout bout de champ.
Les
trans parmi nous
Le campus est souvent l’endroit où naissent les nouveaux concepts,
souligne Barbara Warren de la Lesbian, Gay, Bisexual and Transgender Community
Center à New York. Alors pour une idée comme celle des toilettes
unigenres, «I think it's absolutely fabulous. They're creating a
safe place for trans-people.» Safe place from what? Les transgenres
sont-ils/elles en danger? De quoi?
Si les deux trans qui posaient (assis sur un bol de toilette) pour l’article
du Globe sont représentatif/ve du look transgenre, il faut
manifestement avoir une apparence ambiguë pour faire partie du groupe.
Impossible de savoir qui est quoi. On imagine mal un colosse poilu, 6 pieds
et 4, 250 livres, transgenre! Quoi que, quelques fois, lors de chaudes
soirées d’été, on voit des personnes au genre certain,
mais qui visiblement ne savent pas comment s’accoutrer, déambuler
sur les trottoirs des coins douteux de l’Est de la ville…
Si le transgenre mâle qui se sent femme doit aller pisser, il/elle
devrait pouvoir aller aux toilettes des filles sans problème. Si
il/elle se sent femme, pourquoi ne pas faire comme elles? De la même
façon, si le transgenre femelle qui se sent homme doit aller pisser,
elle/il devrait pouvoir aller aux toilettes des gars sans problème.
Si elle/il se sent homme, pourquoi ne pas faire comme eux? Ceux-ci ne font
pas tout debout… Le pire qu’il peut arriver, c’est qu’on les regarde d'un
drôle d'air – ne sachant pas trop si ils/elles sont censé(e)s
être là!
Peut-être que je saisis mal la philosophie transgenre. Les transgenres
veulent peut-être leurs propres toilettes parce qu’ils/elles refusent
d’assumer l’un ou l’autre des genres humains? Peut-être les trouvent-ils
trop restrictifs? Peut-être se sentent-ils/elles plus à l’aise
dans la zone qui les sépare? Peut-être veulent-ils/elles demeurer
indéfiniment trans?
Personnellement, je ne vois pas une grande différence entre «transgenre»
et «travesti(e)». Le transgenre serait une version sophistiquée
(et politiquement correcte) du/de la travello qui se déguise parce
qu’il/elle n’est pas bien dans sa peau. L’idée derrière cette
évolution sémantique est sans doute que socialement le premier
terme est bougrement plus vendeur que le second – les universités
n’auraient jamais embarqué dans tout ce cirque s’il s’agissait de
simples travellos.
Après les toilettes, le monde!
Jusqu’où sommes-nous prêts à aller pour accommoder
les minorités? À quand les toilettes pour gais? Pour lesbiennes?
Pour dyslexiques? Pour créationnistes? Pour exhibitionnistes? Pour
anorexiques/boulimiques? Pour fumeux de pot? À quand le grand débat
de société sur la reconnaissance des couples transgenres?
Parce qu’après les toilettes, le monde!
Nous venons de passer une année entière à «débattre»
de la question des mariages gais – à grand coup d’éditoriaux,
de reportages et de photos d’hommes et de femmes s’embrassant à
pleine bouche – comme si le sort de la nation en dépendait! Sommes-nous
prêts à en consacrer une nouvelle à la question des
mariages transgenres? Hmm… Comme pour le mariage gai, d'être en faveur
du mariage trans deviendra-t-il le critère par excellence
pour différencier ceux qui sont «ouverts» et «progressistes»
de ceux qui ne le sont pas? Une chose est sûre, en créant
de nouveaux «statuts» comme le transgénérisme
(Transgenderedness), l’intergénérisme, ou l’altergénérisme
(pourquoi pas!?), nous sommes en train d’ouvrir toute grande la porte à
un univers de compartimentation et de revendications. Et le cas des toilettes
unigenres ne serait que le commencement.
Bien sûr, si les universités étaient des endroits privés, personne n’aurait rien à redire. Les directions d'établissements pourraient aménager des toilettes pour chacune des facettes du genre humain et ceux ou celles qui n'approuveraient pas n’auraient qu’à aller voir ailleurs. Mais comme les universités sont des endroits publics et que c'est vous et moi qui par le biais de nos impôts payons pour tout ça, vous et moi avons justement le droit de dire que nous n'appuyons pas. Je n'ai rien contre le style de vie des trans; ils sont libres de changer de genre, d'orientation sexuelle ou même de sexe à tous les jours si ça leur chante. Ce contre quoi j'en ai, c'est leurs revendications. Ce genre de revendications finit trop souvent par devenir des «enjeux publics». Et qui dit «enjeux publics» dit intervention de l'État. Inutile d'ajouter que lorsque l'État se mêle de quelque chose, tout le monde finit par devoir s'adapter et payer. Bientôt, on ne parlera plus de toilettes, on parlera de «droits humains». Les transgenres réclament des toilettes aujourd'hui, que réclameront-ils/elles demain? Une fois rendu(e)s sur le marché du travail (parce que l'université n'est qu'une étape de la vie, faut-il le rappeler?), vont-ils/elles réclamer qu'on les inclut dans les programmes de discrimination positive à titre de membres de minorité visible et opprimée? Pas difficile d'imaginer le jour où toutes les sociétés d'État, toutes les entreprises syndiquées, tous les Centres de la petite enfance, seront tenus d'embaucher un pourcentage déterminé de transgenres pour satisfaire aux normes de solidarité «socialement imposées». De toilettes spéciales à conditions spéciales, il n'y a que quelques années.
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