Montréal, 20 mars 2004  /  No 140  
 
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OPINION
  
PUBS, ANTI-PUBS ET DÉMOCRATIE
 
par M. F.
  
  
          Aujourd'hui, la publicité est complètement intégrée au décor quotidien. Au point que plus personne ne semblait la remarquer… Jusqu’à ce que des petits malins se mettent à taguer chaque panneau publicitaire! Vous en avez sûrement entendu parler, ou vous les avez même vu: les «anti-pubs». Ces petits prétentieux qui se sont donnés pour mission d’éduquer le peuple, de lui montrer qu’il est bête et abruti par la pub, que ses choix sont mauvais car influencés par une force mystérieuse qu’ils appellent «la société de consommation» ou même «le capitalisme»… 
 
          Ils avaient commencé dans les métros parisiens, à taguer toutes les affiches, et se prenaient pour des héros. Ils gribouillent désormais un peu partout, et exportent le concept en Province… L’ironie, c’est qu’avant qu’ils ne commencent à agir, je ne regardais pas les pubs dans la rue. Maintenant, j’y jette systématiquement un coup d’oeil pour voir si les anti-pubs n’y auraient pas inscrit quelques commentaires… Ainsi je n’ai jamais été aussi attentive – et du même coup réceptive! – aux innombrables affiches qui tapissent les murs de ma ville et m’invitent à la consommation superflue: à croire que les anti-pubs sont carrément payés par les publicitaires. 
  
          Après examen, il semble que la critique de la pub porte sur deux niveaux: 1) Une critique de fond: la pub prend le consommateur pour un con en le faisant rêver devant des produits inutiles (critique de la «société de consommation», de son odieuse abondance et de sa superficialité); 2) Une critique sur la forme: les affiches exposent des slogans idiots et des couleurs criardes, et elles sont placardées n’importe où dans la ville, lieu de vie où l’on voudrait bien ne pas subir la pollution visuelle et intellectuelle telle que se présente la pub. 
  
Chacun de nous la fait exister 
  
          Le reproche le plus fréquent fait aux pubs concerne leur débilité: que ce soit un slogan ridicule ou l’exaltation grotesque d’un produit inutile (mais vendu très cher), le consommateur peut en effet avoir l’impression d’être pris pour un pigeon. Pourtant, il existe tout autant de pubs intéressantes et même intelligentes, pouvant jusqu’à s’offrir en tant que nouvel objet culturel. Références culturelles, subtilités de langage, raffinement du graphisme, concepts novateurs, humour ou esthétique, expression d’un sentiment, transmission d’une émotion: quand une entreprise est prête à dépenser plusieurs millions pour faire connaître ses produits, on peut aussi s’attendre à une prouesse communicationnelle en conséquence! Le consommateur n’est plus pris pour un con, c’est même l’inverse (et son ego en est flatté, ce qui est très «vendeur»!): il doit participer à la pub, il doit la déchiffrer, interpréter ses subtilités, décoder le «message»… La pub ne présente plus seulement un produit, elle tente aussi de créer l’esprit de ce produit. 
  
          Il y a ce discours étrange que l’on entend souvent, qui vise à mythifier la «société de consommation» en en faisant une sorte d’être sombre et impalpable, extérieur aux individus mais les absorbant pour leur plus grand malheur. C’est véritablement se déresponsabiliser que de supposer ne pas faire partie intégrante de cette dite «société de consommation»: chacun de nous la fait exister, non seulement en y participant mais aussi en lui en demandant toujours plus! Et ceux qui refusent ce jeu social n’ont qu’à tout simplement ne pas en profiter! Nous avons une part de responsabilité, en tant que consommateur, dans ce qui nous est proposé: les produits mis en vente répondent à certaines attentes; les publicités affichent des images et des slogans auxquels nous sommes réceptifs. Si ce n’était pas le cas, les annonceurs et les producteurs n’auraient plus qu’à mettre la clef sous la porte, et nous n’entendrions plus parler d’eux. 
  
          Il faut arrêter de considérer le consommateur comme une proie tendre et docile donnée en pâture aux publicitaires carnassiers. Le consommateur a un pouvoir qu’il doit assumer. Certaines campagnes publicitaires, aussi débiles ou immorales peuvent-elles sembler, ne doivent pourtant leur succès qu’à l’adhésion en masse des consommateurs aux produits dont elles assurent la promotion. Il aurait suffit que les consommateurs décident de sanctionner la débilité ou l’immoralité de la pub en boycottant le produit plébiscité, pour aussitôt obliger le publicitaire à redéfinir sa stratégie marketing. Qu’on se le dise: le publicitaire est autant sensible et réactif aux goûts des consommateurs, que la consommation est censée l’être quant aux publicités. Voilà pour le fond. 
  
     «Certaines campagnes publicitaires, aussi débiles ou immorales peuvent-elles sembler, ne doivent pourtant leur succès qu’à l’adhésion en masse des consommateurs aux produits dont elles assurent la promotion.»
 
          Sur la forme, on peut toutefois reconnaître aux anti-pubs une certaine légitimité pour critiquer l’affichage dans les lieux publics. Il est tout à fait compréhensible que des slogans à la con tels que «Coca-cola, sourire la vie», «Wanadoo, positive génération» ou «McDonald’s, c’est tout ce que j’aime», provoquent l’irritation de certains. On peut de même reprocher l’affichage grand format de couleurs criardes qui agressent la vue des pauvres passants, ou les photos de femmes nues Tahiti douche qui avivent les pulsions de quelques obsédés frustrés: il s’agit bel et bien d’une «pollution visuelle». Mais le vrai problème, c’est de savoir si la population a donné ou non son accord pour les voir affichées partout dans la ville: le citoyen de base, qui peut se sentir directement agressé par ces pubs, n’a apparemment jamais été consulté sur ce sujet.  
  
L’absurdité de la démocratie représentative 
  
          Il y a là un véritable problème: les décideurs politico-administratifs prennent la liberté de se passer de l’avis des administrés. C’est à cette situation, symptomatique du pouvoir toujours plus grand et largement illégitime de la clique étatique-politique, qu’il convient de remédier. Quelques sociaux-démocrates convaincus voudront faire remarquer que l’autorisation préalable de la population s’est fait en aval, lorsqu’elle a délégué lors des élections son pouvoir à ses prétendus représentants, acceptant de ces derniers que la moindre de leurs décisions soit rendue en son nom. En fait, le problème est simplement déplacé, car se révèle alors toute l’absurdité de la démocratie représentative: la société est bien trop grande et bien trop complexe pour centraliser le pouvoir de dizaines de millions d’individus dans les mains de quelques dirigeants seulement. Chaque individu doit se réapproprier sa part légitime de pouvoir, et en assumer sa responsabilité. Alors les problèmes seront résolus. 
  
          En fait, les anti-pubs ne font que revendiquer l’appropriation d’un lieu qui ne leur appartient pas (du moins qui ne leur appartient pas plus qu’à d’autres, et c’est là le véritable problème). Il y a donc vol, autant que de la part des hommes de l’État qui ne se préoccupent pas de l’avis des citoyens. Chacun agit selon un soi-disant intérêt collectif: les hommes de l’État pour le bien public, les anti-pubs au nom de ce que pense – ou devrait penser – la majorité «silencieuse». À noter que les anti-pubs commettent de vrais actes de vandalisme, en saccageant et détruisant le matériel publicitaire. Si l’on ajoute à cela la récupération politique et idéologique de ce pseudo-mouvement (que trahissent les messages tagués par les anti-pubs), on peut carrément parler de terrorisme intellectuel. Voilà comment font les totalitaires pour imposer leurs idées: ils politisent la propriété et les choix des autres. Ce qui rend dès lors les actions des anti-pubs similaires aux agissements de groupuscules extrémistes, et tout autant condamnables. 
  
          Collectiviser un espace peut pousser certains à vouloir y mettre de la pub, d’autres à ne pas le vouloir: le problème serait donc résolu si l’espace en question était privé. Il n’existe aucun problème qui ne puisse se résoudre dans le cadre de la propriété privée. C’est pour cette simple raison qu’il faut privatiser tout ce qui est public. Une appropriation à la base mettrait fin à tous les conflits, car les usagers décideraient pour eux-mêmes: ils ne pourraient donc en vouloir à personne pour ce qui leur arrive. Bien sur, cela suppose une grande responsabilisation de la part des citoyens: ce qui n’est pas gagné, puisque le lourd État-assistant a réussi à transformer chaque citoyen en véritable handicapé social, incapable de s’assumer en tant qu'individu maître de ses choix. 
  
          Avant même d’envisager une société libre, désétatisée et dépolitisée, utopie lointaine, où tous les problèmes – dont ceux de la pub – seraient résolus dans le cadre de la propriété privée légitime, raisonnons dans le cadre dit démocratique: il devrait être possible pour la population (les habitants de la collectivité dont relève l’espace public) de décider d’un commun accord de placer à tel ou tel endroit des espaces publicitaires. Ce serait à la population et à elle seule de décider, selon ses propres aspirations, et non à un  quelconque suppôt de l’État hypertrophié. Pour aller dans ce sens, il faudra favoriser une décentralisation aussi poussée que possible, et multiplier sans cesse les possibilités d’initiative populaire – référendum, procédure de recall, consultation et débat public sur tous les sujets locaux, etc. – afin d’impliquer vraiment le citoyen dans la vie de sa cité, et d’instituer ainsi un véritable «pouvoir à la base». Alors seulement aurons-nous davantage le droit de parler de démocratie, en tant que «pouvoir du peuple, pour le peuple et par le peuple». 
  
 
 
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