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Montréal, 15 avril 2004 / No 141 |
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par
Jasmin Guénette
Fin de l'épisode précédent:
1
octobre 2020
Katy: Puis-je savoir pourquoi vous voulez me parler, Monsieur l’inspecteur? |
Katy: Vous ne trouvez pas cela étrange toutes ces mesures protectionnistes? Pourquoi empêcher les autres de s’enrichir? Le gouvernement du Québec préfère donner quelques millions ici et là aux organismes internationaux et pays pauvres, sachant fort bien que cette façon de faire ne change rien en bout de ligne et que cela ne fait que renforcer les inégalités. Ce n’est pas le dirigisme de l’Occident qui va aider les pays les plus pauvres, mais la liberté individuelle et commerciale. Je crois que les entreprises de tous ces pays émergents sont bien plus des partenaires que des adversaires. Ils offrent des nouvelles possibilités aux entrepreneurs d’ici et de nouveaux marchés pour nos produits. Et puis, si des gens décident de quitter, les ressources seront investies là où elles sont plus rentables, ce qui est une excellente affaire. Si nous sommes productifs, il n’y a rien à craindre. Inspecteur: Madame, je ne fais qu’appliquer les lois. Allez, plus vite que ça. Katy: Un moment, je vais aller chercher Monsieur Cyr, c'est lui le responsable des achats.
Katy monte me chercher. Je me doute bien de ce qui s’en vient. Le P.P.P.
veut notre bien et «il va l’avoir»! Katy m’explique ce que
nous devons faire et pourquoi les agents sont ici. Il faut que j’apporte
avec moi tous les carnets de commandes depuis 2 ans. Même si je ne
suis à l’emploi du salon que depuis quelques mois, je dois prouver
que les procédures de l’entreprise respectent les lois relatives
aux commandes de produits locaux.
Ils disent faire cela pour encourager les entreprises locales. Tu parles
d’un encouragement. Si les livres de commande ne sont pas aux goûts
des bureaucrates, nous allons être forcés de payer l’équivalent
estimé des pertes encourues par l’État pour la période
totale de l’infraction, sans compter les frais administratifs que cette
procédure entraîne.
Nos procédures d’achat à la boutique sont établies
pour améliorer la situation de l’entreprise et non pas pour suivre
des modèles qui sont mis en place par des bureaucrates bien installés
dans des bureaux loin des affaires. Comment peuvent-ils savoir que tel
ou tel produit est bon pour notre entreprise et nos clients? De plus, nous
avons des produits spécialisés qui ne se font qu’à
très haut prix ici comparativement aux produits étrangers
et nous n’avons pas l’argent nécessaire pour garder sur les tablettes
une gamme de produits trop dispendieux que, par ailleurs, les gens n’achètent
pas beaucoup.
Il faut dire que plusieurs des entreprises qui bénéficient
des programmes d’achats locaux sont largement subventionnées. La
très grande majorité des ces industries ont des lobby puissants
qui font croire que les intérêts de leur groupe sont aussi
les intérêts de la nation.
Katy et moi allons au bureau de l’inspecteur où nous attendent trois
autres personnes: un fonctionnaire du ministère de l’Économie
et de la Croissance contrôlée, un membre du Bureau des productrices
et producteurs de produits régionaux et agricoles du Québec
(le BPPPRAQ) et un avocat représentant le Regroupement des intervenants
en économie sociale et du développement régional du
Québec (le RIESDRQ). D’entrée de jeu, l’avocat qui représente
le RIESDRQ s’indigne du fait que notre entreprise, comme d’autres qui ont
la même attitude, tue l’emploi en région, que les gens qui
vivent dans les endroits éloignés ont droit au respect et
à la dignité et que c’est au gouvernement de s’assurer que
ces droits soient respectés.
Je vois bien que ce type n’a qu’une idée en tête: faire payer
ses rêves par les autres. Son choix d’aller vivre loin des grands
centres urbains est personnel, il n’y a aucune raison qui justifie que
ce soit moi qui paie ses désirs. Pas parce qu’ont vit en région
qu’ont peut vivre sur le dos des autres. Quand je lui dis cela, il commence
à s’énerver encore plus, me traitant d’égoïste
et d’individualiste. Il me dit que c’est en raison d’attitude comme la
mienne que les régions se vident. Avec tout l’argent que le P.P.P.
dépense pour aider les organismes communautaires, je crois bien
faire ma juste part. Mais à écouter ces gens parler, Katy
et moi devrions nous sacrifier encore plus, nous oublier par solidarité.
La rencontre dure près de trois heures. À la sortie, rien n’est encore réglé. Les documents sont acheminés au Bureau de la vérification comptable nationale et nous en saurons un peu plus dans trois ou quatre semaines. Pour nous changer les idées, nous allons prendre un verre et discuter de la situation. 2
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Nous arrivons à la boutique, il est 9 heures. Nous sommes tous les
deux un peu fatigués. En plus de notre longue journée de
travail d'hier et de l’interrogatoire, nous sommes restés à
mon petit bar préféré jusqu’à une heure du
matin.
Quelques minutes seulement après l’ouverture de la boutique, une
dame arrive. C’est une fonctionnaire de la Fédération nationale
de la perception des pourboires dans les établissements non licenciés
du Québec. La fédération est sous le contrôle
du ministère de la Perception des impôts et des taxes. Cette
loi arrive un peu plus de 25 ans après qu’une loi similaire ait
ordonné aux serveurs de déclarer les pourboires qu’ils gagnent
pendant les heures de service. C’est maintenant au tour des pompistes,
des coiffeurs, des coiffeuses et des emballeurs dans les épiceries
de déclarer obligatoirement leur pourboire. Le gouvernement estime
que le manque à gagner est de l’ordre de 500 millions $ et que cet
argent est nécessaire pour financer les programmes sociaux.
Ce qui m’intrigue, c’est que le nombre de programmes ne cesse d’augmenter
à chaque année. Et que curieusement ils sont tous indispensables.
C’est à croire que les gens étaient tous sur le point soit
de mourir, soit de se suicider ou de faire faillite avant que le gouvernement
lance son dernier programme. Pire encore, les programmes ne répondent
jamais vraiment aux attentes des bénéficiaires, alors ceux-ci,
plutôt que de reconnaître l’inefficacité de l’État,
se tournent encore plus vers lui pour solutionner leur problème
– problème que l’État a créé lui-même.
Pourquoi les gens continuent-ils de demander aux gouvernements de s’occuper
de plein de choses alors qu’il prouve quotidiennement son incapacité
à le faire? Si je demande à une des employées du salon
de faire une tâche et qu’après deux ou trois essais je me
rends compte qu’elle n’est pas capable de faire ce genre de boulot, je
ne lui demanderai tout simplement plus et concentrerai mes demandes sur
des aspects du travail où elle excelle. Si les gens se rendent comptent
à plusieurs reprises que l’État est incapable de bien
gérer les ressources, pourquoi lui demandent-ils encore de réparer
ses propres gaffes? Mystère.
Mais nous voilà encore ce matin avec un problème bureaucratique
à régler: la perception des pourboires. Cette loi est un
véritable bordel et complètement inutile. Vous imaginez,
un simple emballeur obligé de déclarer les 20$ qu’il a fait
en pourboires durant son quart de travail? C’est ridicule. La sphère
privée est complètement sous l'emprise du P.P.P. Plus rien
n’est à l’abri de ses tentacules. Dès qu’une transaction
économique se fait, même s’il s’agit de lecteur DVD qui a
été vendu 5 fois depuis 2005, le gouvernement va percevoir
des taxes à chaque fois. Décidément, notre P.P.P.
a un appétit de glouton. J’ai bien hâte de voir ce que cette
dame va nous dire.
Katy: Vous savez très bien que les pourboires sont la part du salaire la plus importante pour les coiffeuses de notre salon. Nous ne pouvons offrir de gros salaires et les pourboires viennent combler un manque sans quoi elles seraient en sérieuses difficultés financières. Pour nous aussi le pourboire joue un rôle important, parce que nous somme un salon reconnu et que nous avons des clients qui viennent ici depuis de nombreuses années. Les coiffeuses savent qu’elles auront un minimum de pourboire à chaque semaine et il y a donc de fortes chances qu’elles demeurent à notre emploi pour plusieurs années. Perceptrice de pourboire: Il n’y aucune raison valable de frauder, madame. Nous appliquons des règles qui sont mises en oeuvre par un gouvernement qui a remporté la dernière élection avec une forte majorité. Ce sont des lois qui émanent d’un parlement démocratiquement élu à ce que je sache. Katy: Je comprends que ces lois sont votées par des politiciens, mais ça ne veut pas dire pour autant qu’elles sont justes. Si la majorité veut voler la minorité et qu’un règlement en ce sens est adopté par les parlementaires, est-ce que cela est juste? Perceptrice de pourboire: Je ne suis pas ici pour discuter de la justesse des lois mais bien pour vérifier vos livres de déclaration de pourboires. Un point c'est tout! Vous savez, les Grecs disaient: «dura lex sed lex». Ce qui veut dire: «dure est la loi, mais c’est la loi». Allez, vos livres s’il vous plaît. Katy: Un moment, je monte les chercher.
Comme c'est le cas dans la très grande majorité des autres
établissements, les pourboires ne sont pas comptabilisés
au cent près. Il en coûte trop cher de faire à la lettre
ce que cette loi inutile nous demande de faire. D’ailleurs, il s’agissait
jusqu’ici de déclarer un montant jugé acceptable, compte
tenu de tout ce qu’un salon de coiffure doit payer en plus des taxes sur
le pourboire. Et personne ne venait cogner à la porte. Sauf que
ces dernières années, le P.P.P. n’a pas cessé de dépenser
et de lancer des programmes à la demande des groupes d’intérêt.
La semaine dernière seulement, le gouvernement a annoncé
en grande pompe que des fonds spéciaux ont été accordés
pour sauver les grenouilles vertes de Repentigny ainsi qu’à l’organisme
Homme au foyer, un centre de «diffusion d’aide aux hommes ménagers».
Katy n’a d’autre choix que de remettre son livre à la perceptrice.
Celle-ci l’informe qu’elle prendra quelques semaines pour vérifier
le tout et qu’elle reviendra dès que cela sera terminé. Je
vois que Katy est nerveuse. Ce salon est en quelque sorte son bébé.
Elle est co-propriétaire et passe 6 jours sur 7 dans la boutique
à s’assurer que tout va bien. Je lui suggère de partir une
journée ou deux dans la région de Mont-Tremblant pour aller
relaxer et faire de la marche en montagne. Elle ne veut pas y aller seule
et souhaite que je l’accompagne, ce que je fais avec joie.
3
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Nous irons dormir à Saint-Jovite, cela nous fera économiser
beaucoup d’argent puisque les nuits coûtent chers à Tremblant.
L’endroit que nous choisissons est très joli. C’est une maison centenaire
située au bord d’un petit lac. Nous avons une chambre avec deux
petits lits située à l’arrière de la maison, du côté
du lac. L’odeur d’un plat mijoté se répand partout dans la
maison. Je crois bien que je vais aimer ça ici.
Maintenant que nous avons trouvé la chambre, nous décidons
de nous rendre au lac des castors pour relaxer et pêcher. Tout juste
avant de sortir, la propriétaire nous demande de payer la première
nuit immédiatement – ce qui est l’habitude de la région,
nous dit-elle. Nous acceptons sans hésitation. Les chambres sont
annoncées à 90$ la nuit, nous prévoyons donc payer
un peu plus de 100$ compte tenu des taxes de vente. À notre surprise
la facture est beaucoup plus élevée: 125$ au total. La propriétaire
nous explique que des surcharges de 20$ environ sont perçues par
les autorités gouvernementales pour encourager le tourisme dans
la région et que ces sommes sont remises à différents
regroupements communautaires membres de la Fédération touristique
nationale (la FTN), qui elle-même est sous la responsabilité
du ministère du Tourisme et du Déplacement de loisir. Nous
voilà donc obligés de financer l’Association touristique
de Saint-Jovite (ATSJ), le Regroupement pour la marche sécuritaire
en montagne (RMSM), les Mordus du vélo du Québec (MVQ), le
Regroupement des marchands et détaillants indépendants des
produits de plein air (RMDIPPA), le Collectif pour la sauvegarde des terrains
boueux (CSTB) et la Fédération de la planification touristique
quatre saisons (FPT-4S).
Il paraît même que le nombre de groupes serait insuffisant
à l’heure actuelle pour bien faire la promotion du tourisme dans
la région. Un projet de loi est étudié par les autorités
locales pour faire grimper de douze à seize le nombre d’organismes
bénéficiaires puisque des lacunes sont à combler,
notamment pour développer le camping d’hiver. D’ailleurs, un centre
de camping d’hiver financé par les taxes perçues dans les
établissements hôteliers ouvrira sous peu au lac des castors.
Katy et moi allons maintenant vers le lac des castors, question de prendre
le temps de faire une bonne marche. Avant tout, nous devons nous enregistrer...
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