Montréal, 15 mai 2004  /  No 142  
 
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Marc Grunert enseigne les sciences physiques dans un lycée de Strasbourg et anime le Cercle Hayek de Strasbourg, consacré à la réflexion et à la diffusion du libéralisme. Il est également éditeur adjoint du QL pour la section européenne.
 
CHRONIQUE DE RÉSISTANCE
 
LE «COMMERCE ÉQUITABLE»,
UNE ESCROQUERIE INTELLECTUELLE! *
 
par Marc Grunert
  
  
          À l’occasion de la «Quinzaine du commerce équitable» un grand distributeur tente de profiter de la mode du moment – le commerce dit «équitable» – pour prendre de l’avance (si on peut dire) sur ses concurrents. Et il n’hésite pas, pour cela, non seulement à vendre des produits qui seraient issus de ce commerce, mais également à nous vendre le concept. 
 
          La figure du «consommateur intelligent» a toujours été un bon moyen de flatter la vanité de l’acheteur pour que son choix se porte sur des produits plus chers, pas forcément de meilleure qualité, mais bénéficiant d’une plus value «morale». Après avoir connu le fameux «achetez français», nous voilà donc invités à consommer de «l’équitable».
 
Politisation du commerce  
  
          Sur un des sites dont la visite est proposée sur le portail du distributeur, on peut lire ceci: «D'un moyen de relation entre les hommes, le commerce est souvent devenu un enjeu de pouvoir et de profit privé lié à la spéculation à court terme. Inéquitable, cette forme du commerce banalise une relation de dominant/dominé.» 
  
          Moi qui pensais bêtement que le commerce consistait à vendre les meilleurs produits possibles au meilleur coût et moins chers que les concurrents, et que les consommateurs avaient intérêt à les acheter sans se préoccuper de savoir d’où ils viennent, ni qui les a fabriqués, me voilà sommé de résoudre un problème moral voire politique. Dois-je aider les petits producteurs du Tiers-monde («small is beautiful») ou permettre aux gros distributeurs de s’enrichir grâce à moi et de renforcer ainsi la «domination» des multinationales ou des gros producteurs, qui - comme nous le savons tous si nous avons un minimum de connaissance de la vulgate marxiste - exploitent scandaleusement les «petits»? 
  
          C’est l’air du temps, désormais, de politiser ses achats. Achetez «équitable» et adhérez au Parti communiste, achetez «moral» et lisez notre manifeste pour le «commerce équitable», le «développement durable» ou mieux: engagez-vous dans une association qui lutte contre la mondialisation capitaliste. Soyez solidaires et dépensez une proportion de vos ressources pour subventionner les producteurs éthiquement corrects. Quant aux autres, ceux dont je fais partie, que leur reste-t-il sinon de jouer le même petit jeu en boycottant les distributeurs qui font la promotion d’une politique et d’une idéologie crypto-marxistes? 
  
          Ce qui est bon pour la politique (voir LIBERTÉ, CAPACITÉ ET POUVOIR de Mickaël Mithra, le QL, no 137: «le pouvoir politique est la capacité d’une personne ou d’un groupe d’imposer certains des choix existants en détruisant les autres par un processus de restriction») est mauvais pour le commerce, et ce qui est mauvais pour le commerce l’est aussi pour tout le monde, y compris les petits producteurs du Tiers-Monde qui s’enferment dans une logique du non-développement, puisqu’ils sont dès lors condamnés par l’idéologie du commerce «équitable» à demeurer indéfiniment dans cette petite niche économique que ledit commerce a pour principe de protéger. 
  
          Le «commerce équitable», on l’aura compris, est un cheval de Troie du socialisme. Acheter les produits dudit commerce est un engagement politique dont les motivations idéologiques sont par nature contraires au commerce libre. Pour l’instant il ne s’agit que d’une opération non étatique destinée à exploiter la mauvaise conscience des consommateurs occidentaux mais bientôt, lorsque les consommateurs «intelligents», qui sont aussi des électeurs, formeront un groupe de pression, on peut être sûr qu’un entrepreneur en politique saura séduire ces nigauds en proposant de rendre obligatoire pour tous ce qui n’est jusqu’à présent qu’un choix du consommateur, par exemple en subventionnant ou en privilégiant les distributeurs qui font la part belle aux produits issus du commerce «équitable». Il suffit d’attendre le retour au pouvoir des socialistes et des Verts. 
  
Une escroquerie intellectuelle 
  
          De fait, le «commerce équitable» n'est pas quelque chose de neutre, c'est un «concept» inventé par des adversaires du marché libre et c'est certainement le prétexte à toutes sortes de taxes et réglementations(1). Que ce soit l'intérêt de Leclerc dans le contexte français de faire sienne cette escroquerie conceptuelle est finalement assez logique, mais il n'en reste pas moins que c'est une chose nuisible en raison de son incohérence et des idées fausses qu’elle propage. 
  
          Le «commerce équitable» est un slogan racoleur et une escroquerie intellectuelle. Comme l’idéologie qui sous-tend cet appel est fondée sur la prétendue exploitation et la théorie marxiste d’un rapport dominant/dominé, se référer à cette notion équivaut à avaliser tout un tissu de contrevérités sur le commerce libre, l’exploitation capitaliste et la mondialisation capitaliste, contrevérités auxquelles Peter Bauer a tordu le coup depuis longtemps et plus récemment Johan Norberg. 
  
          L’absurdité du concept est évidente dès que l’on comprend qu’il s’oppose à la liberté du commerce alors que le commerce libre est nécessairement équitable. En effet, dès lors qu’un producteur n’est pas contraint, ni par la loi, ni par la force, de réaliser un échange, dès lors que la loi ou la force n’imposent pas à l’acheteur un fournisseur privilégié, la justice commutative(2), la seule qui ait un sens dans les échanges, est accomplie. Or ce qui est juste ne saurait être inéquitable. 
 
     «Le "commerce équitable", on l’aura compris, est un cheval de Troie du socialisme. Acheter les produits dudit commerce est un engagement politique dont les motivations idéologiques sont par nature contraires au commerce libre.»
  
          Mais puisque «le commerce équitable» est une idée fausse, pourquoi a-t-elle autant de succès? La raison tient au fait qu’elle cristallise toutes les idées du combat intellectuel anticapitaliste, antilibéral et antimondialisation. Il suffit de consulter les sites qui en font la promotion, et de lire les textes théoriques qui les alimentent. Exploitation de la main-d’oeuvre, précarité des emplois, absence de droits sociaux… 
  
          Comme si les droits sociaux avaient été un point de départ dans la prospérité des pays occidentaux. C’eût été le cas que nous n’aurions jamais connu l’essor et le développement économiques dont les fruits ont été dilapidés et gaspillés par les socialistes, parasites du capitalisme. Le capitalisme de libre marché est le seul régime économique créateur de richesse et de bien-être à long terme. Le socialisme détruit la richesse et partage la pauvreté, le capitalisme conduit à une prospérité inégalement «partagée» mais juste, et à une élévation du niveau de bien-être ainsi qu’à un gain en dignité grâce à l’indépendance individuelle, mais aussi à la diffusion d’une morale de la responsabilité et de l’estime de soi. Grâce à la mondialisation capitaliste, chaque jour les choses s’améliorent (voir sur ce point, Johan Norberg, Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste, chapitre 1, Plon, 2004). 
  
Utopie préfabriquée 
 
          Au lieu de reconnaître les faits de l’amélioration rapide des conditions de vie des populations qui acceptent les règles du commerce libre, les «équitabilistes» veulent appliquer la bonne vieille méthode constructiviste: on échafaude une utopie, un plan, et on force la réalité à s’y conformer. Les effets pervers sont déjà présents virtuellement dans le système comme dans toute utopie socialiste. La liberté, quant à elle, n’a pas ce défaut, elle est adaptative, et les problèmes sont résolus par une multitude d’individus qui inventent de nouvelles solutions en coopérant. 
  
          N’oublions pas que cette utopie du «commerce équitable» est préfabriquée dans les cerveaux des «alter-mondialistes» à bon droit qualifiés d’alter-comprenants puisqu’ils sont incapables de percevoir l’inanité de leurs concepts. Ils s’accrochent à une idéologie de type marxiste, celle qui a causé les plus grands désastres économiques de l’histoire: d’une part en conduisant des nations entières à la faillite et d’autre part, ce que l’on voit moins, en détruisant les capitaux qu’avait accumulés le capitalisme pour le bien-être de tous. 
  
          Les croisés du «commerce équitable» veulent défendre les petits producteurs «exploités» du Tiers-Monde? En réalité ils les utilisent pour définir un nouveau prolétariat mondial. Et gare à ceux de ces producteurs qui voudraient dépasser le stade artisanal en adoptant un mode de production avec des machines, de l'engrais, bref, en utilisant leurs profits pour faire autre chose que de la microproduction lambda, ils perdront immédiatement leur vrai «capital» (aux yeux des alter-mondialistes) qui est celui d'être pauvres et donc de susciter la compassion des riches Occidentaux qui achètent leurs produits. Voudrait-on nous rejouer la lutte des classes? 
  
  
1. On peut déjà lire cet appel à l’intervention étatique: «Les États devraient garantir les droits de leurs citoyens à s’associer librement et à négocier collectivement, appliquant correctement la législation sociale. Les consommateurs ont la possibilité d’acheter des marques qui respectent les droits sociaux.» (www.actionconsommation.org>>
2. «La distinction entre ces deux espèces fondamentales de la justice se rattache étroitement à la distinction que nous avons établie entre la justice légale et la justice particulière. La justice particulière vise en effet une personne privée, qui n'occupe d'autre place dans la communauté que celle qu'occupe une partie quelconque à l'intérieur d'un tout. Or si l'on considère l'une de ces parties par rapport à une autre partie, on voit naître un simple rapport entre deux personnes privées, et les rapports de ce genre sont régis par la justice commutative, régulatrice des échanges qui s'établissent entre deux individus. Mais on peut considérer au contraire l'ordre qui s'établit entre le tout et ses parties, c'est-à-dire l'ordre qui répartit entre les différents individus ce qui leur appartient en commun; les rapports de ce genre sont régis par la justice distributive, qui veille à ce que chaque membre de la communauté reçoive la part proportionnelle des biens communs à laquelle il a droit (Sum. theol., lIa Ilao, 61, 1. Concl.). Dans l'un et l'autre cas la justice demeure fidèle à sa fonction propre, qui est d'assurer le juste milieu et de maintenir l'égalité entre les deux parties en présence, mais cette égalité n'est pas de même nature selon qu'il s'agit de justice commutative ou de justice distributive.» (Saint Thomas, Textes sur la morale, traduits et commentés par Etienne Gilson, éd. Vrin) Notons que, puisque RIEN n’appartient à la société en tant que telle, la justice distributive appliquée au tout social n’a aucune signification. CQFD.  >>
* On peut lire des commentaires concernant cet article, ou en faire, sur la Page libérale
 
  
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