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Montréal, 15 mai 2004 / No 142 |
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par
Jean-Louis Caccomo
Nos dirigeants, qu’ils se proclament de gauche ou de droite, manquent désespérément d’imagination lorsqu’ils parviennent au sommet du pouvoir. Depuis plus de 30 ans, le même scénario se répète inlassablement. À chaque alternance, le gouvernement fraîchement installé décide de faire de l’emploi sa priorité numéro un. Dans ce but, il se propose d’actionner les leviers «d’une politique de relance du pouvoir d’achat et de la consommation, notamment en faveur des plus modestes». C’était le credo en 1981 du gouvernement Mauroy; c’était la politique annoncée par Raffarin lorsqu’il a succédé à Jospin, lequel avait pourtant entonné le même refrain sans résultats convaincants. |
Depuis 30 ans, le chômage a non seulement progressé, mais
s’est durablement installé en France au point qu’une grande partie
du chômage français est devenu un chômage structurel,
c’est-à-dire dont le niveau est indépendant de la conjoncture
et des niveaux de consommation. Face à ces échecs chroniques
et historiques des politiques de relance, les décideurs politiques
persistent dans cette vision qui consiste à croire qu’un gouvernement
aurait la possibilité de réguler le niveau de l’activité
économique à l’insu des acteurs économiques eux-mêmes.
Faut-il rappeler à nos dirigeants que la politique économique doit promouvoir la production et la formation des facteurs de production (capital financier et compétences réelles) si elle veut trouver la croissance et l’emploi? Si la croissance n’est pas au rendez-vous alors que les hommes et les femmes tendent spontanément à échanger et à créer des richesses, il est fort probable que les institutions politiques et les gouvernants y soient pour quelque chose. Certes, l’État se doit d’être présent dans les circonstances exceptionnelles lorsque des chocs graves perturbent violemment le fonctionnement normal d’une économie. Un acteur incontournable de l’économie En Europe, les partisans d’une union politique approfondie plaident pour une «charte pour l’emploi» qui consisterait à soutenir la consommation, à renforcer les procédures réglementaires et à élargir la sphère de l’intervention administrative. En France, le Président Chirac s’inscrit dans une telle vision qui conduit à faire de l’État un acteur incontournable de l’économie. En période de croissance, l’État se donne pour rôle de «partager les fruits de la croissance» tandis qu’en période de ralentissement, il se propose de relancer l’activité économique par les dépenses publiques. Il n’y a donc plus de «circonstances exceptionnelles» dès lors que l’État s’impose comme l’acteur permanent de la régulation économique. Mais comment un État qui ne parvient pas à se réguler soi-même a-t-il encore prétention à réguler toute l’économie? Même pendant la période de croissance retrouvée, l’État français a accumulé les déficits publics et sociaux si bien que nous n’avons guère les moyens de faire face aux «chocs sociaux» qui secouent régulièrement la société française et aux autres chocs géopolitiques (attentats, crises boursières, chocs pétroliers, etc.) qui risquent toujours de perturber demain l’économie mondiale. Au moment où les Français devraient redoubler d’efforts pour financer leurs futures retraites sérieusement hypothéquées par l’absence de véritables réformes, on leur proposerait de travailler moins! Au moment où l’effort d’épargne devrait être accentué pour éviter que se tarisse la source des investissements, on se demande comment relancer la consommation. Qui pense sérieusement que l’on peut s’enrichir en consommant? Soit la consommation répond à un besoin, alors elle est une nécessité; soit elle correspond à des envies, alors elle est un plaisir. Dans les deux cas, il n’y a aucun sens à vouloir «inciter à la consommation» car on n’incite ni à la nécessité, ni au plaisir(1). Seul l’individu est apte à percevoir ce qui relève de sa nécessité ou de son plaisir. Par contre, la production n’est pas spontanée; elle requiert un effort, un talent, une épargne, etc., toutes choses qu’il faut inciter si l’on veut stimuler véritablement la croissance économique car on se laisse plus volontiers aller au plaisir de la consommation qu’à l’effort de la production. Un pays est d’autant plus prospère qu’il est efficace et productif; et comme la production mobilise des facteurs dont la rémunération engendre des revenus, la consommation découlera nécessairement de cet effort productif. Encourager l’épargne dans toutes ses dimensions productives est le seul moyen de stimuler la croissance économique. Au-delà de ses formes spécifiques, l’épargne rend possible l’investissement, lequel reste le seul vecteur d’accroissement de la productivité. À terme, les gains de productivité permettent à la fois une meilleure rémunération du travail tout en autorisant une baisse des prix des biens et services et une tendance historique à la réduction du temps de travail. Il s’agit donc de ne pas confondre l’effet avec la cause. La consommation n’est pas le moteur de la croissance; elle en est le résultat. À terme, c’est la croissance qui stimule la consommation car c’est seulement dans les pays qui accumulent du capital par le biais de l’investissement que la consommation est possible. Le pouvoir d’achat est toujours la contrepartie d’un «pouvoir de produire» comme le revenu est la contrepartie d’un travail… comme un droit est la contrepartie d’un devoir. Quand le nouveau ministre de l'Économie encourage... la dépense Être un bon ministre de l’Intérieur ne donne pas des garanties pour gérer le ministère de l’Économie. Le nouveau ministre croit-il qu’il peut convaincre les ménages français de consommer ou les entrepreneurs d’investir comme il a su intimider les chauffards qui empoisonnent nos routes? Car l’argument de la relance par la consommation repose sur une conception purement comptable et technocratique de l'épargne. Il avait été magistralement démonté par Bastiat en son temps à travers la fable de la vitre brisée. D'un point de vue purement comptable, le taux d'épargne en France est, en effet, élevé. Mais d’un point de vue comptable aussi, le nombre d’accidents de la route stimule le PIB… Sommes-nous plus riches pour autant?
C'est une illusion statistique de plus car l'épargne qui a vocation à financer les investissements réalisés par les entreprises (encore appelée épargne financière) est plutôt faible, voire largement insuffisante en France. De même, et c'est bien le plus dommageable en terme de dynamique économique, les comportements d'épargne sont très insuffisants: acquérir des compétences réelles en vue de se constituer un capital humain, prendre soin de sa santé en vue de se constituer un capital santé, financer de la recherche en vue de créer des nouveaux produits, etc., tous ces comportements sont des comportements d'épargne extrêmement favorables à la dynamique économique, mais qui échappent au prisme réducteur de la mesure du taux d'épargne par les comptables nationaux. De ce point de vue, les ménages américains sont bien plus «épargnants» que les ménages français, habitués à compter sur la solidarité et la redistribution d'une part, et dont le revenu disponible est amputé par «l'épargne forcée» que représente l'ensemble des prélèvements d'autre part. À ce propos, notons que l'actuel ministre de la Santé propose une idée aussi géniale qu'originale: augmenter la Contribution Sociale Généralisée... Les dernières annonces de M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'Économie, laissent songeur: relancer le crédit à la consommation, fustiger les grandes surfaces sous le prétexte fallacieux qu'elles pratiqueraient des prix trop élevés (alors qu'hier elles étaient montrées du doigt parce qu'elles étaient suspectées de faire du dumping!). Je dépense donc je suis... (ou quand les cigales fustigent les fourmis) Le grand débat économique du moment en France est de se demander pourquoi ces maudits Français épargnent plutôt que de consommer. Et tel animateur d'une émission économique de se demander comment inciter les Français à s'endetter davantage pour consommer plus, constatant que les ménages britanniques et américains consommaient plus que les ménages français. Mais, cher monsieur, c'est que ces derniers sont plus pauvres que les ménages britanniques et américains, qui ont la chance de vivre dans une économie qui a retrouvé depuis plus de 10 ans le chemin de la prospérité grâce à la mise en oeuvre de courageuses et douloureuses réformes structurelles. Nous oublions que la France perd chaque année des places dans le classement des nations. On pourrait tout aussi bien constater que les ménages en Corée du Nord consomment moins que les ménages en Corée du Sud. Suffirait-il de consommer plus en Corée du Nord pour résorber ce décalage? Mais nos experts officiels restent aveugles et il ne faut surtout pas remonter aux efforts d'adaptation entrepris, dans les années 80, par les gouvernements américains et britanniques. Belle illustration de la niaiserie ambiante de nos commentateurs et journalistes économiques dont la pertinence du propos est inversement proportionnelle à l'audience médiatique. C'est vraiment le drame de l'économie collectivisée que de vouloir sans cesse corriger les comportements spontanés, rationnels et raisonnables d'individus libres et responsables. Si les ménages français épargnent, c'est qu'ils ont des motivations et des raisons légitimes, surtout s'ils cherchent à se protéger de l'insécurité générée par l'irresponsabilité de l'État et le dérapage des finances publiques. Car la dérive des dépenses publiques entraînera des prélèvements supplémentaires. C'est inévitable, et ce sont les ménages qui devront les payer. Sans être des économistes distingués, les ménages français le savent. Pourtant, constatant que l'État est sur-endetté, nos experts en déduisent alors que les ménages seraient... sous-endettés. Il n'y a pas si longtemps, nos élites ont pondu une loi instituant la faillite civile, pour venir en aide aux ménages qui ont été bien imprudents dans leurs comportements de consommation. À cette occasion, les organismes de crédit à la consommation étaient montré du doigt car leurs méthodes (crédit revolving par exemple) étaient autant d'incitations à s'endetter facilement. Aujourd'hui, les mêmes expliquent aux Français qu'ils ne sont pas de bons citoyens à force d'être trop prudents et prévoyants, et encouragent l'activité des organismes de crédit à la consommation qui sont appelés à la rescousse. Quand les cigales donnent des leçons aux fourmis... il n'y a plus de pilote à bord.
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