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Montréal, 15 juillet 2004 / No 144 |
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par
Mickaël Mithra
Avec l'affaire du changement de statut d'EDF-GDF(1) (ci-après dénommée simplement EDF pour les besoins de l'article), les Français sont confrontés une nouvelle fois aux éternelles manifestations, «actions syndicales», débats atterrants de niaiserie et de mauvaise foi desquels les tenants du «service public» sont coutumiers. |
Au-delà des discussions techniques concernant la nature exacte de
ce changement de statut, les intentions vraies ou supposées des
uns et des autres, les ersatz d'arguments avancés par chacun des
deux camps, je voudrais insister sur un point essentiel du débat.
Essentiel et simple.
Il est apparemment clair pour tout le monde que l'«entreprise publique» EDF appartient aux Français. C'est en tous cas ce que l'on entend vociférer quotidiennement. On peut imaginer, compte tenu de l'engouement unanime pour l'égalité, que cela signifie plus précisément: à tous les Français, de manière égale. Bien que la situation me semble plus complexe, pour une fois je ne me battrai pas. Je me rallie au point de vue général. J'accepte sans discussion l'idée qu'EDF appartient de manière égale à tous les Français, et c'est sur cette base admise que je vous demande de raisonner avec moi. Commençons. Bout de papier plutôt que bonne parole Une question vient immédiatement à l'esprit: si EDF appartient aux Français, pourquoi ne pas le leur signifier par écrit? Quand on possède quelque chose, il est toujours plus sûr et plus sain d'en détenir la preuve écrite. Cela évite des situations gênantes, où de prétendus gestionnaires, par exemple, s'arrogent de fait la jouissance de la propriété d'autrui. Ainsi, il semble que la moindre des choses serait que chaque Français dispose d'un papier, signé par une administration de l'État, précisant qu'il est effectivement propriétaire d'EDF à hauteur d'un soixante millionième, puisqu'il y a soixante millions de Français. Sur la question des mineurs et des incapables, il n'y a rien de particulier à dire, si ce n'est que leurs titres seraient confiés à leurs tuteurs, comme en toute autre affaire. Bref, au-delà des détails secondaires, il serait normal que chaque Français détienne chez lui un titre de sa propriété dans EDF, pour pouvoir l'encadrer ou le ranger dans ses dossiers personnels, à côté de sa carte grise et du titre de propriété de son logement (pour ceux qui ont la chance d'en posséder un). Je ne vois vraiment pas ce qu'on pourrait opposer à un tel projet, si on croit vraiment que cette «entreprise publique» appartient aux Français. En langage plus technique, c'est une façon de dire que chaque Français est actionnaire d'EDF à hauteur d'une action. Il ne s'agit donc pas de débattre pour savoir si les changements de statuts préparent une privatisation, ou si EDF doit ou non être privatisée, mais de constater qu'EDF est déjà une entreprise privée. Je le répète, toute personne qui ouvre la bouche pour prétendre qu'EDF appartient aux Français est en train d'affirmer que tous les Français sont actionnaires d'EDF à parts égales. Sinon, qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire? En tant qu'homme pratique et conséquent, je demande donc simplement que chacun ait un bout de papier au lieu d'une bonne parole. Et que chacun ait le droit de faire ce qu'il veut de son bout de papier. Si chaque Français est propriétaire d'une action EDF, au nom de quoi voudrait-on empêcher ceux qui ne s'intéressent guère à cette entreprise de vendre leurs actions à d'autres personnes? Et pourquoi voudrait-on interdire à tous ces braves gens de se rencontrer régulièrement en un lieu donné pour échanger leurs titres au gré de leur humeur, puisque ces titres seraient à eux? Et si, finalement, on dématérialisait les titres en question, pour plus de commodité, et qu'on les inscrivait à la cote d'une place boursière pour plus d'efficacité, où donc serait le mal?
Ceux qui pousseront des hauts cris en lisant cela considèrent au fond qu'il faut empêcher les gens d'échanger ce qu'il leur appartient, ce qui est une façon inavouée de prétendre que cela ne leur appartient pas vraiment. Ils sous-entendent donc qu'EDF n'est pas réellement à tous les Français. Oh! Dois-je comprendre qu'une minorité possède en réalité bien concrètement EDF quand les autres n'ont rien? Dois-je comprendre que nous sommes face à une corporation organisée qui spolie les masses à son profit? Je ne veux pas faire cette hypothèse qui pourrait blesser nos braves manifestants. •Mais, me dira-t-on, c'est ingérable! Vous rendez-vous compte des millions et des millions d'actionnaires que cela ferait? Comment prendraient-ils leurs décisions de gestion? Il faudrait organiser des élections et des assemblées à l'échelle du pays. Non, ce n'est pas raisonnable. •Qu'entends-je? Répondrai-je. Quand il s'agit d'élections politiques, donc à l'échelle du pays, vous n'y voyez pas tant d'inconvénients. Quelle difficulté supplémentaire y a-t-il donc là? En outre, des sociétés anonymes comptant des millions d'actionnaires sont chose banale de nos jours. •Peut-être, me répliquera-t-on, mais certains se défausseront de leurs titres, et d'autres s'engraisseront, amassant des milliers et des milliers d'actions. C'est injuste. •Et pourquoi? Sursauterai-je. Remarquons d'abord que c'est là un remède naturel à la dispersion du capital que vous évoquiez à l'instant. Ensuite, si certains se défaussent de leurs titres, ce ne sera qu'en échange d'autre chose, et dans la mesure où ils seront libres d'échanger ou non, il n'est pas possible de voir là une injustice. Ce sera simplement le signe que beaucoup de gens ne souhaitent guère s'occuper de la gestion d'EDF, probablement les mêmes que ceux qui aujourd'hui, sont importunés par tout le bruit qu'on fait autour de cette entreprise dont ils n'ont que faire, si ce n'est lui acheter de l'électricité. Mais en voulant absolument que ce soit l'affaire de tous, on empêche cette évidence d'apparaître. Est-ce mal de vouloir s'occuper d'autre chose que de la gestion d'EDF? •Assez! Vous savez fort bien que des groupes organisés se constitueront en vue d'intérêts personnels. Les petits porteurs seront lésés. •Ah bon? M’étranglerai-je. Parce qu'actuellement, ce ne sont pas des groupes organisés en vue d'intérêts personnels qui contrôlent effectivement l'entreprise? Les petits porteurs, à savoir l'immense majorité des Français, ne sont pas lésés, peut-être, quand on leur demande leur argent, toujours, et leur avis, jamais? Vous souvenez-vous que les subventions au comité d'entreprise d'EDF aient jamais été soumises à l'approbation des Français? Quand bien même ce serait le cas, croyez vous vraiment qu'ils voteraient de tels crédits si on leur donnait maintenant la parole? Les inconvénients que vous voyez dans mes propositions sont précisément les maux monstrueux qui rongent éhontément le système actuel que vous défendez. •Suffit! Ignorez-vous qu'EDF possède un parc nucléaire qui ne peut être placé entre toutes les mains? N'avez-vous pas retenu la leçon de Tchernobyl? •WHAT? Suffoquerai-je. Avez-vous dit, ou non, qu'EDF appartenait aux Français? À tous les Français? De quels autres mains pourrions-nous donc parler? Nous sommes en France, il n'y a que des Français. Si vous voulez dire que ceux-ci risquent de choisir de mauvais gestionnaires, il n'y a pas moyen d'échapper à ce risque: ils peuvent en choisir d'aussi mauvais par le processus politique que vous vénérez tant. Les énarques et les syndicalistes ne sont ni meilleurs ni mieux intentionnés que les autres. Quant à Tchernobyl, la catastrophe ne serait peut-être pas arrivée si le parc nucléaire russe avait échappé à la gestion de technocrates irresponsables et inamovibles. Ces mêmes technocrates que vous souhaitez voir régner pour l'éternité à la tête d'EDF. •Mais vous ne cherchez que le profit? •Vraiment? Qui donc recherche le profit, de celui qui demande que le capital d'EDF soit distribué à parts égale entre tous les Français, ou de celui qui bataille pour que son syndicat encaisse pendant que la masse paye? •Sale capitaliste! Hurlera-t-on dans mes oreilles en brandissant bâtons, gourdins et coutelas. Et là, je m'enfuirai, n'étant guère spécialiste de l'usage de la force brute, que ne manquent jamais d'employer dans toute discussion les partisans acharnés du «service public». Pour finir ma petite histoire, je me bornerai à souligner que si les «entreprises publiques» appartiennent aux Français, il est scandaleux de leur en vendre les titres sous prétexte de privatisation. Car c'est vendre aux gens ce qui leur appartient. Comment appelle-t-on cela? De l'escroquerie? Politiciens, fonctionnaires et syndicalistes! Distribuez les actions EDF aux Français, maintenant. Ou cessez de prétendre que cette «entreprise publique» leur appartient!
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