Montréal, 15 juillet 2004  /  No 144  
 
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Xavier Collet est fondateur de l’ADEL, l’association des libertariens.
 
OPINION
 
PAUVRE LILI, ELLE A RIEN COMPRIS!
  
par Xavier Collet
  
  
          L'éducation de nos enfants ne doit pas être confiée à n'importe qui, puisque c'est par là que toute transformation sociale doit se réaliser. Il a fallu d'abord en faire des Républicains et Danton en son temps avait posé le principe selon lequel «Les enfants appartiennent à la République avant d'appartenir à leurs parents».   
  
          Aller plus loin implique un formatage complet afin que les armes de la raison ne remettent pas en cause les valeurs collectivistes défendues par la grande majorité des enseignants. Le programme du PS l'énonçait clairement en 1975: «La petite enfance sera l'objet d'une priorité absolue pour un gouvernement de gauche. C'est à cet âge que la socialisation des enfants peut être rendue la plus facile.»
 
          On a vu sous certains régimes les enfants se lever contre leurs parents pensant incorrectement, les dénoncer à leur enseignant et à la police politique. Ce fut là un bel exemple donné aux écoliers soviétiques. Car oui, ce sont bien les parents qui se trouvent être les parasites principaux dans ce projet d'abrutissement citoyen et de réduction des esprits au plus petit commun dénominateur.  
  
          Car effectivement, certains parents, pourtant conditionnés en leur temps par l'école et toujours sous l'influence des médias, ont oublié tout l'enseignement économique et social dont ils ont été les proies et ont profité des leçons de leurs expériences. Le réel est le plus sûr danger d'un enseignement fait de sentences à décliner dont les principales forment une liste sur laquelle il faudra s'accorder sans bémols. Quelques éléments forts de cette liste sont les suivants: 
    1. Le capitalisme, c'est l'exploitation du pauvre par le riche.  
      
    1(bis). Le socialisme, ça marche: il suffit d'éduquer les gens à des comportements éthiques, équitables, citoyens, solidaires, etc.  
     
    2. La France possède une Sécurité Sociale fondée sur la solidarité que le monde entier nous envie. Cette conquête sociale, comme d'autres, est le fruit des luttes syndicales.  
     
    3. Le service public est au service de tous, le service privé est au service du fric.  
      
    4. Les hommes politiques sont au service de l'intérêt général  
      
    5. L'Amérique est le plus grand pays capitaliste. Donc les Américains sont des exploiteurs et veulent dominer le monde. En plus ils sont bêtes à cause de leur sous-culture. Et obèses à cause de la malbouffe dont ils polluent le monde.  
      
    5(bis). Les Américains ont exterminé les Indiens et maltraitent les Noirs.  
      
    6. Les autres sont mieux que nous, sauf si ce sont des Américains ou des Israéliens, car les Français sont quand même des racistes dont beaucoup votent Le Pen.  
      
    7. Le raciste est forcément un occidental. Un noir ou un arabe raciste ou antisémite ne fait que réagir naturellement à la ségrégation dont-il a été victime. 
      
    8. L'homme est naturellement bon, c'est le capitalisme qui le pervertit. Le délinquant est donc avant tout une victime qui réagit face à l'injustice sociale.  
      
    9. Ceux qui ne sont pas d'accord avec les postulats/sentences ci-dessus pensent des choses graves. Ce sont des fascistes et il faut les exclure. 
          Il faudra des années pour faire entrer cela dans le crâne des enfants. Pas la peine d'en faire des conclusions logiques d'une démonstration, ce serait semer le doute, il s'agit donc bien de postulats. Par contre, c'est à partir de ces principes simplistes que l'on se sentira autorisé à parler en experts de problèmes politiques, économiques et sociaux. 
  
     «L'élève ne se rend pas encore compte qu'en le laissant analyser, on le conduit à se leurrer. Mais c'est là une méthode assez infaillible de conditionnement.»
  
          Les «intellectuels» dont on étudiera les textes illustreront ces postulats. Les enseignants devront s'interroger sur la façon de les faire entrer le plus facilement possible dans les cervelles. Dès le plus jeune âge on s'y attelle. Les postulats admis, ils permettront d'être à la source de raisonnements fallacieux dans les classes supérieures. Des poèmes, des chansons, voilà le moyen le plus simple d'apprendre par coeur, de mémoriser. 
  
          On commencera par le côté le plus émotionnel et manichéen. Le sixième postulat marchera bien avec les plus jeunes; c'est aussi un thème très citoyen qu'il faut marteler sans cesse depuis le 21 avril 2002. 
  
Cantiques politiquement corrects 
  
          Parmi toutes les chansons à choisir, celle qui l'illustre le mieux est «Lili» de Pierre Perret. Une vieille chanson récupérée pour les besoins de la cause, avec la complicité de l'auteur. L'histoire relatée est très riche car elle permet d'acquérir facilement un nombre important des postulats nécessaires. Certes, elle date un peu et n'est pas adaptée à notre réalité d'aujourd'hui mais qu'importe. Elle permet d'abord de montrer que les immigrés sont venus en France au seul profit des Français: 
    Elle arrivait des Somalies, Lili 
    Dans un bateau plein d'émigrés 
    Qui venaient tous de leur plein gré 
    Vider les poubelles à Paris
          En réalité bien sûr point d'altruisme ou de volonté d'humiliation, chacun cherchait son avantage. Les immigrés ont trouvé une situation plus favorable que dans leur pays d'origine (sinon pourquoi seraient-ils venus?) et effectivement dans les années 60, le pays avait besoin d'une main-d'oeuvre pas nécessairement qualifiée.  
  
          Mais ce premier couplet pourra être utilisé au lycée à partir du premier postulat: les capitalistes ont fait venir des immigrés pour augmenter l'exploitation des salariés. Cela reste néanmoins un peu boiteux car les poubelles de Paris étaient vidées par des employés municipaux, fonctionnaires à traitement garanti, mais bon…  
  
          Deuxième couplet en plein dans le sixième postulat: 
    Elle croyait qu'on était égaux, Lili 
    Au pays d'Voltaire et d'Hugo, Lili 
    Mais pour Debussy, en revanche 
    Il faut deux noires pour une blanche 
    Ça fait un sacré distinguo! 
          Rien à rajouter ici, en France on hiérarchise les couleurs selon un code racial entre Gobineau et Pétain, à creuser dans les cours d'histoire, pas faux du tout mais anachronique. Les deux premiers couplets ensemble permettent d'insister sur la mauvaise conscience esclavagiste. Faire venir des bateaux pleins d'émigrés noirs, c'est déjà un peu du commerce triangulaire, mais, exemple d'actualité, les faire repartir en affrétant des charters c'est pas non plus une solution, toujours le sixième postulat.  
  
          Et on continue avec le troisième couplet:  
    Elle aimait tant la liberté, Lili 
    Elle rêvait de fraternité, Lili 
    Un hôtelier, rue Secrétan, 
    Lui a précisé en arrivant 
    Qu'on ne recevait que des blancs.
          L'enfant a l'impression de découvrir quelque chose, d'exercer faussement son esprit critique, il va donc s'approprier avec fierté cette découverte de l'opposition entre la devise de la République et la réalité de la vie en France pour les immigrés. L'élève ne se rend pas encore compte qu'en le laissant analyser, on le conduit à se leurrer. Mais c'est là une méthode assez infaillible de conditionnement.  
  
          En France donc, pas d'égalité car c'est être moins qu'un autre que d'exercer un métier moins qualifié. Étrange conception élitiste et figée. Pas de liberté ni de fraternité non plus car un bailleur privé peut se permettre de refuser un noir – enfin pouvait, puisque c'est devenu un délit –, mais dans le principe disposer de son bien en discriminant ses locataires (tout choix est discrimination, en passant) devient une atteinte à la liberté alors que ne pas être libre de l'affectation de son bien devient une liberté. La notion de liberté est précocement vidée de son sens. En avant pour le premier postulat, on en creusera un autre suivant lequel la propriété de l'un est une entrave à la liberté de l'autre.  
  
          On en remet une couche sur l'inégalité des fonctions:  
    Elle a déchargé les cageots, Lili 
    Elle s'est tapé les sales boulots, Lili 
    Elle crie pour vendre les choux-fleurs 
    Dans la rue ses frères de couleur 
    L'accompagnent au marteau-piqueur.
          Il n'y a pas de sot métier dirait-on et quand on vient d'arriver sans qualifications et sans pouvoir compter sur cet État-providence pourtant omniprésent, on prend ce que l'on trouve. Mais non c'est indigne, c'est injuste, l'émigré est exploité et on en passera vite au postulat 8 pour montrer la réaction actuelle contre ceux qui osent proposer un travail plutôt que des allocations. Quant à considérer que des Somaliens ou des Ivoiriens puissent créer des boîtes d'informatique ou être cadres export, ça les enfants n'ont pas à le concevoir.  
  
          Répéter encore le postulat 8 en mettant en exergue le racisme fait de discrimination sociale et d'humiliation, il faut le décliner sous d'autres aspects. Le travail de Lili est humiliant, elle l'accepte pour ne devoir rien à personne (enfin l'élève verra plus tard que cette notion là doit être dépassée car l'émigré possède une créance sur l'exploitation colonialiste de son peuple) mais sa fierté, sa volonté d'être au-dessus de tout cela est battue en brèche par les railleries de ceux qui se croient supérieurs: 
    Et quand on l'appelait Blanche-neige, Lili 
    Elle se laissait plus prendre au piège, Lili 
    Elle trouvait ça très amusant 
    Même s'il fallait serrer les dents...  
    Ils auraient été trop contents!
Humiliation encore plus forte quand elle vient du Français moyen, pas vraiment raciste, mais…: 
    Elle aima un beau blond frisé, Lili 
    Qui était tout prêt à l'épouser, Lili 
    Mais la belle-famille lui dit:  
    "Nous n'sommes pas racistes pour deux sous, 
    Mais on n'veut pas de ça chez nous..."
          Lili a compris à partir de ce moment qu'elle est exploitée, moquée, ostracisée. Elle adopte le comportement le plus naturel qui soit, elle va voir ailleurs si c'est mieux et bien sûr il semblerait que l'on dise beaucoup de bien des valeurs américaines. On ne sait jamais, en dépit de l'hystérie anti-Bush il reste peut être un vieux fond libéral chez certains parents. C'est alors que l'on peut passer au cinquième postulat:  
    Elle a essayé l'Amérique, Lili 
    Ce grand pays démocratique, Lili 
    Elle aurait pas cru sans le voir 
    Que la couleur du désespoir 
    Là-bas aussi ce fût le noir.
          On passe ensuite au septième postulat, Lili veut se venger, elle devient à son tour raciste et communiste contre l'exploitation et l'humiliation subie. Elle rejoint Angela Davis, leader du parti communiste américain et avocate du mouvement raciste noir américain des Black Panthers: 
    Mais dans un meeting à Memphis, Lili 
    Elle a vu Angela Davis, Lili 
    Qui lui dit "Viens, ma petite soeur 
    En s'unissant on a moins peur 
    Des loups qui guettent le trappeur."
          Les cinquième et septième postulats sont mêlés dans une Amérique présentée comme violente. L'enfant choisit son camp dans le climat insurrectionnel des années 60; plus tard ce camp sera présenté comme romantique, mené par Guevara, les maoïstes dont les Black Panthers sont également proches, et toute l'extrême gauche révolutionnaire. Il est naturel pour Lili de s'y trouver, ce n'est pas sa faute, là-bas les blancs sont très méchants, ils incendient ses bus, font régner l'apartheid, elle veut seulement: 
    …conjurer sa peur, Lili 
    Qu'elle lève aussi un poing rageur, Lili 
    Au milieu de tous ces gugusses 
    Qui foutent le feu aux autobus 
    Interdits aux gens de couleur.
          Lili lève le poing rageur, elle est une Black Panther. Mais la chanson doit rester positive et Lili doit rester militante, l'enfant doit comprendre qu'il doit se battre pour défendre les postulats qu'on lui apprend, et selon le neuvième postulat établissant la frontière entre les types bien et les méchants. Ce type bien elle ne peut le rencontrer que dans son combat: 
    Mais dans ton combat quotidien, Lili 
    Tu connaîtras un type bien, Lili 
    Et l'enfant qui naîtra un jour 
    Aura la couleur de l'amour 
    Contre laquelle on ne peut rien.
          La chanson a permis d'inculquer des principes par l'émotion, en dehors de toute rationalité. Conditionné continuellement durant sa scolarité, l'enfant devenu adolescent puis adulte ne pourra plus être détrompé par des arguments rationnels. Ces notions citoyennes apprises dès le plus jeune âge lui laissent dans la bouche le goût de la madeleine de Proust, des repères, des sécurités, des réponses simples à un monde dont les mécanismes véritables doivent être cachés pour maintenir l'ordre social étatique et les prérogatives des maîtres.
 
 
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