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Montréal, 15 août 2004 / No 145 |
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par
Jean-Luc Migué
On me permettra quelques réflexions supplémentaires à l’appui de l’exposé de mon collègue Michel de Poncins dans le dernier numéro du QL (voir POUR UNE MÉDECINE À PLUSIEURS VITESSES, le QL, no 144). La vision conventionnelle postule que la gratuité au consommateur et le transfert du fardeau à la fiscalité dans des secteurs comme la santé, l’éducation, la voirie et l’entraide, sont le symbole de la justice sociale, l’expression du sens de la compassion qui anime l’âme française et canadienne, en opposition par exemple à l’individualisme cruel des Américains. D’en être réduit à rationaliser un régime par son «esprit» plutôt que par sa performance en dit long sur son évolution. |
Le financement public généralisé en France et au Canada
n’a a priori rien à voir avec l’accès des couches
les plus modestes aux soins. Si telle était la vraie finalité
de la logique politique, on opterait pour l’assistance publique au revenu
des plus démunis, qui leur permettrait d’obtenir l’assurance nécessaire
dans un marché concurrentiel. Le fait est que les disparités
de budgets et de services varient immensément d’une région
à l’autre, d’un établissement à l’autre sous tous
les régimes publics. Il est paradoxal, à l’observation de
ces faits, que les défenseurs de l’équité égalitariste
ne renoncent pas à leur foi dans le monopole public.
Deux personnes dans les mêmes conditions peuvent obtenir le même traitement, l’une plus rapidement que l’autre en en payant directement le prix. Pour les idéologues de l’égalitarisme, cet écart est inadmissible, même si le temps d’attente aux soins gratuits s’est raccourci. Dans cette vision égalitariste, il est honteux d’obtenir un traitement plus rapide que ne le permet le régime public, même si cet arrangement améliore la qualité ou le délai des soins obtenus par ceux qui recourent aux seuls services publics. Ce n’est donc pas la qualité des soins dispensés dans le régime public qui suscite l'angoisse des égalitaristes, c’est la variété. C’est le refus du voisin de payer des taxes suffisantes pour accélérer le service public qui devient contraire à l’idéal égalitariste. Ce que les défenseurs du régime public prônent, ce n’est donc pas l’accès universel, mais l’accès égalitariste par le budget public. La théorie économique des choix publics prédit que la majorité optera pour un budget global de dépenses inférieur à ce qu’elle choisirait si chacun était libre d’acheter lui-même les soins. Sous un régime de monopole public exclusif à la canadienne, le budget public (et donc global) retenu par la majorité s’avérera en général inférieur au budget qui découlerait de la coexistence d’un secteur public et d’un secteur privé(1). La raison en est que le budget public est déterminé par un décideur théorique (le votant médian) qui dispose d’un revenu inférieur de 25% à la moyenne. Lorsque coexistent un régime public et privé, les consommateurs qui opteraient pour le service privé ajouteraient à la capacité du système, en libérant même le secteur étatique d’une demande supplémentaire. Mais ce n’est pas la capacité totale que les tenants de la médecine d’État cherchent à maximiser, c’est le budget public.
Pourtant, on peut affirmer que l’égalitarisme est immoral, en ce qu’il favorise l’adoption de comportements antisociaux et incompatibles avec l’accès universel. Un régime est manifestement immoral lorsqu'il traite également les usagers prudents, consciencieux et disciplinés, et les consommateurs négligents, insouciants et indisciplinés. C’est exactement ce que produit ce système, en pénalisant ceux qui s’alimentent sainement, qui s’adonnent à l’exercice, qui s’abstiennent de fumer et pratiquent l’hygiène en se lavant fréquemment les mains surtout avant de toucher les aliments, qui prennent des vitamines et des suppléments régulièrement, qui investissent du temps dans la lecture de documents sur la santé et qui, en conséquence de ces décisions personnelles, absorbent une fraction négligeable des services de santé. En contrepartie, l’égalitarisme de notre régime récompense cette fraction de la population qui ne se soucie aucunement des conséquences de son mode de vie néfaste sur sa santé. Une proportion inquiétante de la population est obèse et impose un alourdissement du coût de l’ordre de 13% à ses concitoyens; une proportion semblable choisit de s’adonner au plaisir de la cigarette. On estime qu’une portion importante des épisodes de rhume, de grippe, de maux de gorge et de diarrhée est imputable au peu de souci des gens de se laver les mains aux moments opportuns. Lorsque le temps viendra de recourir aux services de santé publique, les membres du dernier groupe auront autant de chances que les premiers d’accéder aux services. Est-ce là un régime économiquement et moralement défendable? La leçon est nette: chacun doit être libre d’abuser ou de ne pas abuser de sa santé… mais pas aux dépens des autres. C’est précisément la fonction du prix de pénaliser les négligents et de récompenser les plus responsables. L’égalitarisme incorporé dans les pratiques est un concept anti-économique et immoral. Ce qui n’empêche pas le Haut Conseil de soutenir péremptoirement que «les principes de solidarité de notre système de prise en charge sont sains et doivent être maintenus»(2). Le ministre français de la Santé Douste-Blazy ne fait que servir de porte-voix à la pensée reçue. Le régime de santé publique est l’une des institutions les plus populaires. Il ne se trouve pas de merveilles ou de miracles que la santé nationalisée n’ait pas produits, en plus du nivellement de la richesse. Tous les partis politiques sont forcés de venir se recueillir devant l’autel du Medicare. En réalité, lorsque les gens appellent à l’alourdissement fiscal pour le rescaper, ils ont en tête la taxation des plus riches qu’eux. La démonstration est depuis longtemps faite que l’affection apparente de la population pour la médecine socialisée repose, non pas sur le noble idéal de la compassion, mais sur le souci calculateur du grand nombre d’accéder à l’assurance santé illimitée aux frais des autres et sur l’activisme des groupes de producteurs. La réalisation suprême de la pensée collectiviste chez nous et en France aura été de convaincre la population que l’option bureaucratique incarne la générosité.
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