Je suis arrivé à Ottawa vers midi quinze. Déjà,
on sentait quelque chose d’étrange dans l’air. Dans le parking où
je garai mon pick-up, plusieurs automobiles arboraient l’affichette blanche
et or sur fond noir de CHOI-FM: « Liberté! Je
crie ton nom partout. » De jeunes familles sortaient
des voitures, portant le tee-shirt noir ponctué de l’exclamation
« Liberté! ». Quelques automobiles affichant
« Liberté! » passaient dans la rue en klaxonnant.
En approchant du parlement, les affichettes et les tee-shirts «
Liberté! » se multipliaient.
Les premiers autocars, parmi la cinquantaine attendus de Québec,
à 500 kilomètres de là, commençaient à
arriver. On les reconnaissait surtout par les cris qui, sporadiquement,
fusaient de l’intérieur: « Liberté! Liberté!
».
Déjà, avant 13h, sous un ciel pluvieux, les manifestants
commençaient à envahir la pelouse du parlement. Sur l’estrade
métallique où CHOI-FM allait diffuser son émission,
un groupe rock accueillait la foule joyeuse. Partout, l’affichette «
Liberté! », mais aussi des slogans improvisés,
souvent de manifestants anglophones: ici, « Abolish
the CRTC! » sur une pancarte; là, écrit
au stylo-feutre sur un tee-shirt, « Fuck the CRTC ».
Au plus fort de la manifestation, en milieu d’après-midi, quelque
5 000 personnes (selon une estimation de la police) occupèrent la
pelouse du parlement. Sporadiquement, la foule scandait: «
Liberté! Liberté! »
« Il n’arrive pas souvent, au Canada – ni peut-être ailleurs
dans le monde, par les temps qui courent – qu’une foule manifeste avec
le slogan si simple de “Liberté!”, qui semble d’ailleurs en porte-à-faux
avec les “valeurs canadiennes” du CRTC. » |
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Il n’arrive pas souvent, au Canada – ni peut-être ailleurs dans le
monde, par les temps qui courent – qu’une foule manifeste avec le slogan
si simple de « Liberté! », qui semble d’ailleurs
en porte-à-faux avec les «valeurs canadiennes» du CRTC.
Qui veut comprendre la tyrannie soft, l’inquisition aseptisée, et
l’arbitraire judiciarisé sous lesquels nous vivons doit lire la
« décision » des simili-juges du CRTC interdisant
à CHOI-FM de diffuser après le 31 août(1).
Quelques passages sur les fameuses « valeurs canadiennes
»(2)
qu’imposent par la force le tyran canadien et son sous-fifre du CRTC:
«
Le Règlement interdisant les propos offensants qui risquent d’exposer
une personne ou un groupe à la haine ou au mépris est non
seulement nécessaire pour éviter tout préjudice aux
personnes visées, mais aussi pour assurer le respect des valeurs
canadiennes au regard de tous les Canadiens. La diffusion de propos pouvant
exposer à la haine ou au mépris peut attirer des personnes
vers la cause dont ils sont l’écho et être par conséquent
à l’origine de discordes importantes entre différents groupes
de la société canadienne, et ce, au détriment de l’ensemble
de cette même société. » (paragraphe
35)
«
De plus, ces propos sont loin de répondre à l’objectif de
haute qualité énoncé dans la Loi et leur diffusion
sur les ondes publiques ne constitue pas une programmation qui traduit
les valeurs canadiennes. De l’avis du Conseil, le préjudice qui
a pu être causé au groupe visé porte atteinte au droit
à l’égalité reflété dans la politique
canadienne de radiodiffusion et dans la Charte. » (par.
34)
Par « discordes importantes », le CRTC veut dire la contestation
de sa pidgin orthodoxie. Et imaginez-vous que, dans ce monde orwellien,
« la Charte » est la charte canadienne des droits
et libertés, invoquée pour justifier la censure(3).
Lisez le paragraphe 31:
«
Cette politique stipule que la programmation doit être de haute qualité
et que le système canadien de la radiodiffusion devrait, par sa
programmation, refléter la condition et les aspirations des hommes,
des femmes et des enfants canadiens, notamment l'égalité
sur le plan des droits, la dualité linguistique et le caractère
multiculturel et multiracial de la société canadienne ainsi
que la place particulière qu’y occupent les peuples autochtones.
Ces principes sont renforcés par les articles 15 et 27 de la Charte.
»
Écoutez nos commères d’inquisiteurs disserter savamment autour
de l’impact sur « les femmes en général
» de propos concernant les nichons d’une animatrice de télé,
laquelle, la pauvre naïve, est allée se plaindre au protecteur
attitré des nichons, papa CRTC:
«
… le Conseil a relevé plusieurs propos à l’endroit de la
plaignante reliés à ses attributs physiques, et plus particulièrement
sexuels…
«
Le Conseil considère que les propos diffusés au sujet de
Mme Chiasson étaient offensants et risquaient d’exposer la plaignante,
et les femmes en général, au mépris pour des motifs
fondés sur le sexe, contrairement à l’article 3b) du Règlement.
De plus, l’ensemble de ces propos ne répond pas aux objectifs de
la politique canadienne de radiodiffusion énoncée dans la
Loi. L’ensemble des propos n’était pas de la programmation de haute
qualité, tel qu’exigé par l’article 3(1)g) de la Loi.
» (par. 61 et 65)
Il s’agit d’un combat important. Si l’État recule, on pourrait espérer
un déferlement de liberté sur les ondes canadiennes, ce qui
nous changerait du village de Potemkin qui y a été construit.
Je ne veux pas me montrer trop optimiste: je crains un compromis qui permettrait
à CHOI de continuer d’émettre tout en maintenant l’autocensure
que l’État canadien impose continuellement, sous peine de censure
directe, aux stations canadiennes de radio et de télévision.
J’espère quand même que, dans ce cas-ci, le tyran s’est attaqué
un peu trop ouvertement à la liberté d’expression, bien que
les instruments légaux pour ce faire étaient en place depuis
plusieurs décennies. S’il y a une bonne occasion de faire reculer
et de déstabiliser Léviathan, c’est peut-être celle-là.
PRÉSENT
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