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Montréal, 15 septembre 2004 / No 146 |
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par
Yvan Petitclerc
À la question du décrochage scolaire, s'en est ajoutée une autre depuis un bon moment déjà dans le monde scolaire: l'importance de développer une culture entrepreneuriale. Le hic c'est qu'encore une fois, tout semble indiquer que l'on ne comprendra celle-ci que dans son sens le plus étroit. Un peu désespérant quand on sait que l'idée comprise au sens large (et réel) ne peut que faire l'unanimité. Tout le monde qui désire faire quelque chose de sa vie entreprend d'une certaine façon. Malheureusement le danger, c'est de voir se pointer encore une fois la traditionnelle opposition entre le monde des affaires et le monde des sciences humaines. |
Il y a certes un problème dans le cas de ces dernières, mais
il se trouve ailleurs. Quelqu'un qui voudrait résumer ce problème
sous forme de boutade dirait en fait:
Au fait, parlant de notre arbitraire et absurde opposition entre le monde des affaires et celui des sciences humaines, vous savez ce que répondit Michael Eisner, le président de Disney, lorsqu'on lui demanda quelle était la meilleure introduction au monde des affaires? De la même façon, y a-t-il des gens assez naïfs ou ignorants pour s'imaginer que derrière l'investisseur québécois Stephen Jarilowsky, il n'y a pas une forte culture philosophique? Quant à Bill Gates, celui auquel on réfère si souvent, il déclarait un jour: La culture entrepreneuriale et nous On parle beaucoup de développement de la culture entrepreneuriale, mais on parle peu de la manière dont notre conception limitée et trop peu flexible du monde académique l'affecte aujourd'hui. Cela se passe d'ailleurs dans plusieurs sphères, à commencer par la façon dont nous concevons et consommons la culture. Jamais l'éventail de produits disponibles n'a été aussi vaste qu'aujourd'hui. Jamais paradoxalement n'a-t-on autant regardé très souvent la même chose. En éducation cela donne bien sûr le résultat suivant: jamais les sources d'accès au savoir autodidacte n'ont été aussi vastes. Jamais par ailleurs n'a-t-on été aussi incapable collectivement de le reconnaître. Au Québec on a souvent l'habitude de passer d’un extrême à l'autre. Or, d'une société mal éduquée on est passé à une société de plus en plus incapable de concevoir, voire de découvrir, le talent hors du diplôme. Ce qui se fait au détriment de nombreux garçons, et de très nombreuses filles aussi d'ailleurs. On dit souvent que 20% des décrocheurs sont des élèves surdoués. Que fait-on pour reconnaître ce talent hors du diplôme qu'ils n'ont pas? Quel questionnement fait-on au Québec de la valeur intrinsèque de ce même diplôme? Aucun. Pendant ce temps, ailleurs, le débat se fait à droite comme à gauche. Dans certains cas, depuis nombre d'années déjà:
•Zachary Karabell, Salon magazine, September 14, 1998 "At one level their message is undoubtedly true: complex technology has created a need for people with special training. But the wrongheaded application of that message has created a monster that strangles Canadian productivity, cuts down on flexibility in the job market and condemns people to the often unnecessary and expensive pursuit of meaningless qualification...” • –, Canadian Business, September 1995 “Just as irrationally, we encourage the notion that a university degree in just about anything is worth the sacrifice – including huge debts from student loans. That has lead to the most overeducated generation of waiters, taxi drivers and telephone solicitors the world has ever known." •Arthur Johnson, Canadian Business Editor, February 14, 2000 "The U. S. media have been totally irresponsible in failing to pursue the scandal of skyrocketing college costs over the past 20 years. It's bankrupting middle-class families and forcing young people through a rigid structure that was created only after World War II. […] If you're planning to be a surgeon or an aeronautical engineer […], of course you need technical foundation courses in those fields. But general liberal-arts education is no longer what it was, and has become a huge scam. Can anyone honestly say that humanities graduates from the elite schools, with their obscene price tags, are showing a higher level of creativity in the arts and letters or in popular culture? Absolutely not! In fact, we're seeing dwindling knowledge and declining skills." •Camille Paglia, Interview magazine, September 2003 "Throughout most of American history, kids generally didn't go to high school, yet the unschooled rose to be admirals, like Farragut; inventors, like Edison; captains of industry like Carnegie and Rockefeller; writers, like Melville and Twain and Conrad; and even scholars, like Margaret Mead." •John Taylor Gatto, Harpers magazine, September 2003 Former pour former Or, parlant de formation et d'adéquation, voici encore une autre question qui mériterait vraiment qu'on s'y attarde davantage: combien de gens forme-t-on chaque année dans toutes les universités québécoises en anthropologie, en philo, en sociologie, en arts, en lettres, etc., au niveau du baccalauréat ou de la maîtrise? Des centaines. Certes, nombres d'entre eux ne participent pas aux débats publics par absence de volonté, mais parmi les autres il y en a de nombreux qui ne demandent qu'à le faire davantage. Or regardez maintenant les débats publics à la télé ou dans les journaux. Invités: prof de l'Université X, prof de l'Université Y, etc. Pourquoi forme-t-on des gens au niveau du baccalauréat dans les sciences humaines si le message implicite qu'on envoie socialement est qu'aucun ou aucune d'entre eux n'est jugé apte à participer à ces débats?
D'un côté, on nous dit que le diplôme universitaire est le summum de l'accomplissement académique, de l'autre, on demande à de futurs profs de passer un test de français après avoir obtenu ce même diplôme universitaire parce que socialement on accepte que celui-ci ne signifie même pas une sanction implicite de la qualité de la langue maternelle après avoir passé 17 ans dans le système scolaire. Faut le faire! Il y a aussi tout le jeu du diplôme lorsqu'il s'agit de qualification requise pour enseigner à l'université par exemple. Quelqu'un ayant quinze ans d'expérience dans l'enseignement de l'anglais ne pourra souvent même pas enseigner l'anglais à l'université ou ailleurs parce qu'il ou elle n'a pas de diplôme en enseignement de l'anglais. Tout cela au coeur de structures et d'institutions qui, répète-t-on ad nauseam, préparent supposément pour le vrai monde. Pendant ce temps qu'est-ce que l'histoire nous apprend concernant ce fameux vrai monde, et particulièrement les hommes? Que c'est un ancien chauffeur de camion qui a contribué à populariser le Rock & Roll: Elvis Presley. Qu'aujourd'hui, le meilleur comédien américain aux commentaires les plus incisifs et perspicaces est un décrocheur: Chris Rock. Que c'est un homme à la riche culture autodidacte qui joua un rôle clé dans la découverte de nombres d'artistes majeurs américains tels Warhol et Lichtenstein: Ivan Karp.
Que nous apprend encore cette histoire passée comme récente?
Que Larry King a obtenu son diplôme d'études secondaires avec
à peine la note de passage. Que Gauguin était courtier avant
de devenir peintre. Que le douanier Rousseau admiré des surréalistes
avait tout d'un autodidacte. Que Arnold est un ancien champion bodybuilder
qui est ensuite devenu acteur pour passer à la politique pour finalement
devenir gouverneur de Californie. Que Herb Ritts est un ancien étudiant
en économie qui est devenu l'un des plus importants photographes
du jet set hollywoodien, etc.
Dans la vraie vie, les critères académiques étroits pour être jugés aptes à faire un travail donné éclatent de plus en plus. Et de plus en plus de formes d'équivalences ou de combinaisons d'expériences sont reconnues. Sans compter les multiples bifurquements. Ronald Reagan était acteur à Hollywood, il est devenu président des États-unis. Le rapper Snoop Dog livrait des journaux et travaillait dans une épicerie, il est aujourd'hui dans le business du Hip Hop. Bill Goldberg a étudié la psychologie puis est passé au football professionnel et ensuite au monde de la lutte entertainment. Mick Jagger est passé par la London School of Economics. Son comportement ressemble-t-il à celui de Jacques Parizeau? Elton John détestait l'école parce qu'il a su très tôt ce qu'il voulait faire dans la vie. J.K. Rowling, auteure de la fameuse série Harry Potter, a auparavant travaillé pour Amnesty International et la Chambre de Commerce de Manchester. Le rapper Ice Cube est lui passé non pas par une quelconque école de musique, mais par le Phoenix Institute of Technology. Et que dire, au Québec, des Lise Dion, Daniel Bélanger, etc.? Dans le monde scolaire, on continue souvent d'aller en sens inverse. On demande aux gens d'avoir une maîtrise pour être chargé de cours! Et ce, en étant incapables de tenir compte de leur expérience accumulée ailleurs. Pendant ce temps des gens n'ayant complété que leur secondaire ou seulement quelques années de celui-ci s'appellent Kobe Bryant, Rupert Everett, Charles Sheen, John Travolta, Mario Lemieux, etc. Pas étonnant que la notion de culture entrepreneuriale soit si peu répandue, dans un cadre académique aussi peu apte à lire entre les lignes et qui fait preuve de si peu de discernement. Cette situation absurde ne peut plus durer. Lorsque les historiens du futur se pencheront sur cela ils n'en reviendront tout simplement pas. Ils se diront alors: Vous voulez dire qu'ils avaient tous ces exemples passés devant eux et qu'ils étaient incapables de reconnaître la culture autodidacte et le talent hors du diplôme même dans les enceintes qui disaient préparer au vrai monde? Comment faisaient-ils pour ignorer toute l'histoire de l'humanité disponible comme référence et pour faire implicitement du statut de prof d'université une sorte de permis de penser? Étaient-ils tombés sur la tête? |