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Montréal, 15 octobre 2004 / No 147 |
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par
Martin Masse
L’ouverture à Montréal la semaine dernière de MD Plus, la première clinique d’urgence entièrement privée au Canada, est un jalon de plus dans la désintégration du monopole public de la santé. Le Canada est le seul pays industrialisé qui possède un tel système, ce qui le place dans la même catégorie de pays avant-gardistes que Cuba et la Corée du Nord. Tous les autres pays contiennent des systèmes parallèles privés. |
Comme l’atteste l’existence de cette clinique, ce monopole ne s’applique
pas à tout et le secteur privé joue évidemment un
rôle dans la santé au Canada. En fait, il compte pour 30%
de la production de services de santé, ce qui n’est pas très
différent de la plupart des pays européens.
Si l’on simplifie la situation(1), tout ce qui n’est pas considéré comme un soin « médicalement Ces cliniques étaient peu nombreuses jusqu’à récemment. Les médecins qui offrent ces services privés doivent se désengager complètement du système public et seuls quelques dizaines d’entre eux ont pris ce risque. Les coûts de telles opérations ne sont évidemment pas à la portée de tout le monde, et la plupart des gens se contentent d’attendre leur tour dans le système public. On peut payer, mais il demeure impossible d’acheter des assurances privées pour ces soins couverts par le régime public. Toutefois, à mesure que les listes d’attente s’allongent, et que les histoires d’horreur concernant les salles d’urgence bondées se multiplient, la demande augmente et les cliniques privées qui répondent à ce besoin se multiplient. Le monopole du système public est complet pour tout soin qui nécessite une hospitalisation, c’est-à-dire toutes les opérations importantes et les traitements de longue durée. Il est donc impossible de subir une opération au coeur, ou un traitement pour le cancer, dans un hôpital privé. Les hôpitaux privés n’existent pas au Canada(2). Un citoyen canadien qui vient d’être diagnostiqué pour une maladie grave n’a d’autre choix que d’attendre des semaines, souvent des mois, avant qu’une salle d’opération se libère. À moins bien sûr d’être une personnalité connue, d’avoir des contacts influents dans le réseau de la santé, ou d’avoir les moyens d’aller se faire soigner aux États-Unis. Les coûts psychiques et économiques d’une telle attente sont immenses, sans compter les risques pour la vie du patient. Mais comme dans tout système étatisé, ce ne sont pas les intérêts des bénéficiaires qui priment, mais ceux des apparatchiks qui contrôlent le système. Dans le cas présent, ce sont les bureaucrates de la santé, les syndicats et les corporations de personnel médical. La poursuite du Dr. Chaoulli
La contestation du Dr Chaoulli se fonde sur deux arguments. Selon lui, les déclarations des politiciens provinciaux à l’époque prouvent que ces interdictions n’avaient nullement pour but de garantir l’intégrité ou la viabilité du régime public, mais se fondaient plutôt sur un motif idéologique (d’inspiration communiste), soit celui de vouloir supprimer la présence du secteur privé en santé à cause de son caractère La Cour suprême du Canada a entendu le plaidoyer du Dr. Chaoulli il y a quelques semaines et rendra son jugement au cours des mois qui viennent. Les juges font partie de la caste étatique et il ne faut pas trop s’illusionner sur leur compréhension et leur respect de la liberté et des droits fondamentaux. Comme les autres membres de la nomenklatura, ils sont d’abord incités à protéger les intérêts de l’État et des clientèles qu’il entretient. Par ailleurs, malgré leur caractère prétendument immuable, les constitutions sont en fait des objets très malléables, qu’on peut adapter selon les modes idéologiques du jour. Il suffit de lire les jugements pour s’en rendre compte. Quoi qu’il en soit, si jamais la cour donnait raison au Dr. Chaoulli, le monopole public de la santé serait immédiatement remis en question partout au Canada (les lois similaires dans les autres provinces seraient tout autant affectées) et un système parallèle privé pourrait alors se développer à plus ou moins court terme. C’est sans doute la solution préférée de nombreux politiciens, qui voient bien que la situation ne peut plus durer, mais qui n’osent pas prendre le risque d’être les premiers à entreprendre les réformes nécessaires. Des coûts exponentiels Même si la Cour suprême du Canada trouvait des arguments tordus pour soutenir la constitutionalité des lois qui établissent ce système criminel, cela ne signifie pas pour autant qu’il pourra se maintenir encore bien longtemps. D’autres facteurs vont mener à son effondrement à moyen terme. Comme l’ont expliqué les économistes de l’École autrichienne Ludwig von Mises et Friedrich Hayek, il est impossible de gérer rationnellement un système économique de façon bureaucratique et centralisé, puisque les bureaucrates ne possèdent pas l’information qui existe localement dans la tête de chacun des acteurs. Le système de santé soviétisé du Canada ne fait pas exception(4). L’allocation des ressources se fait de façon arbitraire, les fonds se perdent dans la bureaucratie, les syndicats empêchent le système de s’adapter, le contrôle des prix (à zéro pour la plupart des soins) crée inévitablement des pénuries, etc.
Le résultat est que le système ne cesse de se détériorer, même si on y engloutit des fonds de plus en plus gigantesques. Au cours des cinq dernières années, la croissance moyenne des dépenses en santé des gouvernements provinciaux a été de 5,5% (en termes réels, donc en tenant compte de l’inflation), alors que les dépenses de programme dans leur ensemble n’ont augmenté que de 3,1%. La part des dépenses en santé dans les dépenses totales de programmes est passée de 32,1% en 1983-84 à 41,3% en 2002-03. Ce rythme d’augmentation des dépenses ne pourra être maintenu bien longtemps. Les gouvernements en sont rendus à couper dans les autres ministères pour nourrir le monstre insatiable qu’est devenu le système de santé public. Les coûts vont continuer d’augmenter à mesure que les baby boomers atteignent l’âge de la retraite et que la population vieillit. Une autre entente fédérale-provinciale a eu lieu en septembre pour augmenter la contribution financière d’Ottawa aux dépenses en santé des provinces, mais quelques semaines plus tard, certains gouvernements se plaignent déjà que ce ne sera pas suffisant. L’opinion publique est de moins en moins dupe des tromperies des politiciens. Les sondages montrent qu’une forte majorité de Québécois se dit d’accord avec l’émergence d’un système de santé privé parallèle(5). Les étatistes ont, semble-t-il, perdu la bataille d’image dans ce débat. Ils ont habituellement la partie plus facile lorsqu’ils dénoncent les partisans d’une libéralisation comme des capitalistes sans coeur qui méprisent les plus démunis. Les effets pervers de l’étatisation de la santé sont cependant devenus trop évidents pour qu’ils puissent défendre le système aussi efficacement qu’ils le font pour d’autres interventions de l’État. Dans ce débat, ce sont eux qui apparaissent maintenant comme les salauds qui justifient que des personnes soient victimes d’un système inhumain. Le jour de l’ouverture de la clinique MD Plus, la station de télévision TQS a invité le Dr. Chaoulli pour en discuter. Une tribune téléphonique a suivi. Toutes les personnes qui ont appelé ont raconté comment elles ont dû attendre des mois pour des opérations, et comment il était épouvantable et frustrant d’avoir à subir une telle attente. L’animatrice en remettait. Il est clair que la légitimité de ce système fond de mois en mois, et que bientôt, un politicien avec un sens de l’entrepreneurship plus développé que la moyenne verra qu’il peut être rentable de s’y attaquer ouvertement et directement. Bientôt, le coup de grâce Enfin, si tout ceci ne suffit pas, le coup de grâce sera donné par divers autres développements, tous issus du dynamisme et de la créativité du capitalisme. Le gouvernement peut maintenir des interdits dans un secteur économique spécifique aussi longtemps qu’il contrôle la production et que les consommateurs ne peuvent se tourner vers des fournisseurs étrangers. Mais cela devient de moins en moins vrai dans la santé, notamment grâce à la mondialisation, aux progrès technologiques et aux innovations dans le domaine des assurances. Aller se faire soigner à l’étranger devient de plus en plus abordable et facile à organiser. Certaines cliniques étrangères font même de la publicité au Canada. La médecine à distance, grâce à Internet, est aussi une solution d’avenir. Les compagnies d’assurance ne peuvent assurer les soins eux-mêmes, mais un nouveau produit a été développé qui contourne partiellement l’interdit. Dès que l’assuré reçoit le diagnostic d’une maladie grave, il obtient un montant important dont il peut disposer à sa guise, et qui lui permettra d’aller se faire soigner à l’extérieur du Canada s’il le désire. D’une façon ou d’une autre, le système de santé soviétisé du Canada n’en a plus pour longtemps. Nous sommes au même point que l’Union soviétique en 1986. Attention, le mur va bientôt s’écrouler…
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