Montréal, 15 novembre 2004  /  No 148  
 
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Christian Michel est propriétaire du site Liberalia.
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PHILOSOPHIE LIBERTARIENNE
  
LES VISIONS ÉTROITES DU MONDE
 
par Christian Michel
  
 
          Arafat et Bush ont maintenant ceci de différent que l’un est mort et l’autre pas. C’est en comparant ce qui semble être le plus opposé que l’on découvre d’étonnantes similarités. Le chef d’État le plus redouté du monde et celui sans même un État, prisonnier dans un palais dévasté, n’ont pas compris qu’il n’existe qu’une seule hyper puissance, l’opinion publique mondiale.
 
          Pas étonnant. L’un et l’autre sont des provinciaux, jamais sortis de leur trou, n’ayant jamais étudié à l’étranger, jamais voyagé avant d’accéder aux responsabilités, incapables de comprendre un autre point de vue que celui de leur étroit milieu.  
  
          L’action politique de ces deux gouvernants a été toute entière fondée sur la violence à l’encontre d’un adversaire diabolisé. Dans l’usage de cette violence, leurs ressources étaient à deux extrêmes. Bush dispose du plus effrayant complexe militaro-industriel jamais développé; Arafat, dans son territoire occupé et sous embargo, employait des ferblantiers et des étameurs. À l’un les Marines, à l’autre les gamins suicidaires, mais chacun a poursuivi la politique de « shock and awe », la sidération de l’adversaire par une déferlante de bombes pour le persuader (comme dans Star Trek) que « toute résistance serait futile ».  
  
          La seule limite à l’horreur des moyens mis en oeuvre a été celle que leur opinion publique respective pouvait supporter. Or il faut s’en féliciter, depuis une trentaine d’années, les Occidentaux ne tolèrent plus les massacres en leur nom. Nous progressons. Nous nous humanisons plus vite que d’autres cultures, celles du Moyen-Orient en particulier. Là bas, le seuil de tolérance aux massacres est celui que nous n’avons plus connu depuis le Vietnam. Arafat a commis là sa plus grosse erreur. Il avait vu le parcours des Ben Bella, Ben Gourion, Kenyatta et autres artificiers tueurs, à qui tous les crimes furent pardonnés puisqu’ils avaient conduit au succès. Autres temps, autres moeurs.  Arafat est mort sans avoir compris que le recours à la violence fut la raison même de son échec.  
  
     « La grandeur de l’Occident moderne est de montrer plus de sympathie pour les faibles que de respect pour les puissants. Il faut y voir la saine source de l’antiaméricanisme. »
 
          Il avait le soutien des Arabes, il lui fallait celui du monde. C’est l’opinion publique mondiale qui dicte la conduite d’Israël puisque c’est d’elle que dépend sa survie (plus encore il y a 20 ans qu’aujourd’hui). Les nervis d’Arafat gloussaient à chaque explosion de voiture piégée, et lui dans sa cambrousse pelée ne comprenait pas que chaque victime lui aliénait une population à San Francisco, à Göteborg, à Marseille, qui ne demandait qu’à lui être acquise: tiers-mondistes aux relents d’antisémitisme, Européens trop ravis de nettoyer leur mauvaise conscience envers les Juifs en soulignant le brutal colonialisme d’Israël…  
  
          Mais comment, avec la meilleure volonté, cautionner les attentats dans les bus scolaires? Arafat, eut-il joué la carte de la non-violence, des défilés aux flambeaux devant les chars de Tsahal, des grèves de la faim (puisqu’il y a tant de Palestiniens suicidaires), la Palestine serait depuis longtemps indépendante, vidée de colonies. Et au lieu d’être enterré comme le chef de gang qu’il était, Arafat aurait été suivi à sa dernière demeure par tous les grands de la planète, comme le sera bientôt Mandela.  
  
          La grandeur de l’Occident moderne est de montrer plus de sympathie pour les faibles que de respect pour les puissants. Il faut y voir la saine source de l’antiaméricanisme. Au lendemain des attentats du 11 septembre, l’opinion publique mondiale s’écriait comme la manchette du Monde, « Nous sommes tous des Américains ». Mais Bush ne lit pas de journaux étrangers. Comme Arafat, il n’écoute que son clan. Collectivistes dans la moelle, l’un et l’autre se sont identifiés à leur peuple, aveugles à tout autre point de vue, ont flatté sa vanité, exacerbé son ressentiment, joué de sa peur. Le monde tendait la main à l’Amérique, mais Bush ne voulait pas la punition des criminels, la restauration de la paix, mais plutôt manifester la toute puissance du géant. En deux semaines, il avait retourné l’opinion mondiale contre lui.  
  
          L’Amérique comme la Palestine paieront longtemps le prix de s’être donné des petits chefs.  
  
  
PS: Il ne s’agit pas d’équivaloir Bush = Arafat, comme j’entends déjà le reproche, mais de montrer que toute politique fondée sur la violence, quelles que soient la noblesse de ses intentions et la justice de sa cause, se retourne fatalement contre ses auteurs. Être libertarien, c’est tout simplement l’avoir compris.
  
 
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