Montréal, 15 décembre 2004  /  No 149  
 
<< SOMMAIRE NO 149 
  
  
 
Pascal Salin est professeur d'économie à l'université de Paris Dauphine. Il est l'auteur de Libéralisme (Paris, Odile Jacob, 2000).
Page personnelle
 
 
OPINION
 
L'ILLUSION DE LA « TVA SOCIALE » *
  
par Pascal Salin
 
 
          La taxe à la valeur ajoutée (TVA) sociale est de retour(1). Périodiquement, des voix s'élèvent pour proposer la recette fiscale magique qui permettrait de réduire un chômage perçu comme excessif depuis des années et même des décennies. Dans la panoplie des recettes magiques, ce que l'on appelle la « TVA sociale » figure en bonne place. Tout récemment, c'est le Sénat qui en a proposé la création et le ministre de l'Économie et des Finances a décidé de la mettre à l'étude. Son nom même a de quoi plaire à une époque où l'adjectif « social » évoque la bienveillance à l'égard d'autrui, en particulier des plus démunis. Mais allons au-delà des mots et essayons d'analyser ce qu'est cette TVA sociale et ce que l'on pourrait en attendre.
 
Une proposition simple et séduisante... 
  
          L'idée qui inspire la proposition de TVA sociale paraît simple et séduisante. Il s'agirait de remplacer tout ou une partie des cotisations sociales payées par les employeurs par une TVA. En effet, remarque-t-on, alors que les cotisations sociales sont assises sur les salaires, la TVA est prélevée sur les dépenses de consommation, de telle sorte que l'on pourrait ainsi alléger le coût du travail et stimuler l'emploi. En outre, dans la mesure où la TVA est traditionnellement remboursée à l'exportation et payée sur les importations, on pourrait provoquer une variation positive du solde commercial de la balance des paiements et donc obtenir un effet de relance pour la production et l'emploi. Malheureusement, ces deux idées sont fausses et le remplacement des cotisations sociales par une TVA ne sert strictement à rien. 
  
          Qu'en est-il tout d'abord de l'idée selon laquelle cette substitution permettrait d'alléger le coût du travail et, donc, d'améliorer la situation de l'emploi? Il est incontestable que, si l'on pouvait effectivement alléger le coût du travail, l'emploi augmenterait. Il est d'ailleurs amusant de noter que les hommes politiques se refusent généralement à reconnaître une quelconque liaison entre le poids de la fiscalité et le chômage, sinon ils seraient hautement coupables de ne pas mettre en oeuvre une forte baisse du fardeau fiscal, alors qu'ils prétendent toujours que le problème du chômage est leur priorité – mais qu'ils admettent cette relation de manière sélective lorsqu'ils défendent une mesure fiscale particulière. Ils ne se trompent donc pas lorsqu'ils défendent l'idée qu'une baisse de la fiscalité pourrait accroître l'emploi, mais ils se trompent lorsqu'ils pensent que le passage des cotisations sociales à une TVA permettrait d'obtenir ce résultat. La raison peut en être exprimée de manière très générale: les cotisations sociales et la TVA reposent très largement sur la même assiette fiscale, de telle sorte qu'en passant de l'une à l'autre on change essentiellement le nom du prélèvement fiscal, mais pas sa réalité. 
  
          Pourquoi en est-il ainsi? L'explication rigoureuse de cette affirmation demanderait une analyse de théorie fiscale relativement complexe et il ne peut pas être question de la présenter ici. Essayons cependant d'en présenter les grandes lignes. 
  
          Il est tout d'abord faux de dire que les cotisations sociales patronales sont prélevées sur les salaires. Elles sont en réalité perçues sur tous les revenus créés à partir de la production de richesses par l'entreprise. En effet, l'entrepreneur sait, lorsqu'il signe un contrat de salaire avec un salarié, qu'il devra payer des cotisations sociales représentant un certain pourcentage de ce salaire. Compte tenu de la rentabilité de l'activité qu'il projette de réaliser avec ce salarié et compte tenu des prétentions salariales du salarié, une certaine répartition du prélèvement se fera entre le salarié et son employeur. Autrement dit, même si les cotisations sociales sont assises sur les salaires d'un point de vue administratif, leur charge effective pèse à la fois sur les salaires et sur les profits, sans que l'on puisse d'ailleurs bien évaluer cette répartition. 
  
Un impôt sur les revenus 
 
          Qu'en est-il maintenant de la TVA? L'idée courante consiste à dire que la TVA est un impôt sur la consommation. Cela est pourtant faux, car la TVA n'est en réalité rien d'autre qu'un impôt sur les revenus, comme l'impôt sur le revenu, comme la CSG, comme les cotisations sociales. Cette idée importante a été particulièrement développée par le grand économiste américain Murray Rothbard(2). En effet, les prix de vente des produits TVA incluse sont déterminés par l'état du marché, c'est-à-dire par la confrontation de l'offre et de la demande: à un moment donné, le prix demandé par un producteur est le prix maximum qu'il peut demander, compte tenu de ce que les acheteurs sont prêts à payer. S'il pouvait vendre la même quantité de produits à un prix plus élevé, il en serait heureux, mais il ne le peut pas.  
  
     « Si l'on veut vraiment diminuer le chômage, il ne sert à rien de s'amuser à passer d'un impôt à un autre (tous les impôts étant plus ou moins prélevés sur la même matière fiscale). Il faut réduire la pression fiscale. »
  
          Par quel miracle l'augmentation de la TVA lui permettrait-elle soudain de vendre plus cher ce qu'il ne pouvait pas vendre plus cher auparavant? Ce miracle est impossible. C'est pourquoi l'entrepreneur ne va pas répercuter l'augmentation de TVA sur ses prix de vente, mais sur ses coûts de production. Il en résulte donc, comme son nom l'indique d'ailleurs parfaitement, que la TVA est un impôt sur la valeur ajoutée. Or, la valeur ajoutée correspond nécessairement à des rémunérations (salaires, profits et intérêts). La TVA est payée par les salariés et par les titulaires de profit (sans parler des prêteurs), exactement comme les cotisations sociales. Passer des dernières à la première ne présente donc strictement aucun intérêt. 
  
          Qu'en est-il par ailleurs de la proposition selon laquelle la TVA permettrait de dégager une variation positive du solde commercial de la balance des paiements et donc de la production et de l'emploi? Sans entrer dans une analyse qui serait nécessairement complexe et longue, soulignons seulement deux choses. Tout d'abord, le solde commercial n'est que la contrepartie des mouvements de capitaux et des flux monétaires, et si rien ne change dans les facteurs qui expliquent ces flux il n'y a aucune raison pour que le solde commercial change. Autrement dit, le fait de rembourser ou non la TVA à l'exportation n'a aucun effet sur le solde commercial. Et, par ailleurs, il est faux de penser qu'une variation positive de ce solde aurait un effet de relance: ce qui détermine la production et l'emploi ce ne sont pas les variations d'une prétendue demande globale, mais les incitations à produire, à travailler, à épargner. Et celles-ci sont déterminées en grande partie par le poids de la fiscalité. 
  
          Si l'on veut vraiment diminuer le chômage, il ne sert à rien de s'amuser à passer d'un impôt à un autre (tous les impôts étant plus ou moins prélevés sur la même matière fiscale). Il faut réduire la pression fiscale. En effet, tout prélèvement obligatoire – qu'on l'appelle cotisation sociale, impôt sur le revenu ou TVA, ou autre – a un double effet destructeur: il diminue les incitations à produire de ceux qui le paient et il diminue l'incitation à produire de ceux qui bénéficient des ressources ainsi transférées par l'État (puisque ce qu'ils obtiennent est indépendant de l'effort de travail ou d'épargne qu'ils font). On ne réduira donc pas le chômage en passant d'un prélèvement obligatoire à un autre, mais en supprimant le système dit de Sécurité sociale, que l'on devrait d'ailleurs plutôt appeler un système de Sécurité antisociale – c'est-à-dire en remplaçant le financement des dépenses de santé au moyen de l'impôt par un système d'assurance où les cotisations seraient proportionnelles aux risques et non aux revenus. 
  
          Le ministère de l'Économie et des Finances a donc mis à l'étude le remplacement au moins partiel des cotisations sociales par la TVA sociale. Il en résultera d'innombrables réunions et discussions, la publication d'épais rapports appuyés sur des simulations savantes. Celles-ci aboutiront certainement à des conclusions définitives et précises permettant de chiffrer le nombre d'emplois qui seraient ainsi créés pour chaque point de cotisations sociales remplacé. Mais ces simulations seront fausses dans la mesure où elles seront inspirées par une approche purement comptable et non par une analyse théorique et donc pratique de l'impact réel des prélèvements obligatoires. Ce qui est dramatique dans notre monde d'aujourd'hui, c'est la prétention des hommes de l'État à agir sur l'économie, alors même qu'ils ignorent les fondements théoriques du fonctionnement d'une économie. Il n'est, bien souvent, pas nécessaire de se lancer dans de coûteuses et impressionnantes simulations chiffrées. Il suffit de raisonner. 
 
 
* Cet article a d'abord été publié dans Le Figaro, le 23 novembre 2004.
1. Voir aussi, sur le même thème, ce commentaire de J.G. Malliarakis, « Non, non et non au projet de "TVA sociale" », L'Insolent (Bulletin en toute liberté), 25 novembre 2004.  >>
2. Power & Market, Institute for Humane Studies, 1970. Voir aussi notre ouvrage L'Arbitraire fiscal, éditions Slatkine, 1996.  >>
 
 
  PRÉSENT NUMÉRO
 
SOMMAIRE NO 149QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME?ARCHIVESRECHERCHEAUTRES ARTICLES DE P. SALIN
ABONNEZ-VOUS AU QLQUI SOMMES-NOUS?SOUMISSION D'ARTICLESREPRODUCTION D'ARTICLESÉCRIVEZ-NOUS