Par ailleurs – on l'oublie trop souvent – les subventions
sont nécessairement prélevées sur les contribuables et elles
diminuent donc les ressources disponibles pour les autres
activités. La politique industrielle est ainsi frappée d'un
terrible biais: elle consiste à aider un petit nombre de
grandes entreprises, mais aux dépens d'une masse immense,
active et souvent innovatrice, de petites entreprises. Comme
l'aurait souligné Frédéric Bastiat, il y a ce que l'on
voit – la réussite technique des projets subventionnés –
et ce que l'on ne voit pas – la destruction de
richesses et les obstacles à l'innovation dans les autres.
Quelque chose de dérisoire |
Il y a en effet un cycle dans la vie des entreprises. Elles
commencent à petite échelle et, si elles sont suffisamment
innovatrices, elles vont grandir. Certaines des meilleures
d'entre elles deviendront de grandes entreprises. Mais ceci
est un legs du passé et ce n'est pas parce qu'on a été
innovateur dans le passé qu'on le restera dans le futur,
précisément parce que la lourdeur de l'organisation risque
de porter un coup fatal à l'esprit d'innovation. Si l'on
veut vraiment parier sur le futur, c'est vers de plus
petites entreprises, fortement innovatrices, qu'il
conviendrait de regarder. Mais personne par définition ne
peut connaître à l'avance et comparer ce que feront les unes
et les autres et c'est bien pourquoi l'existence d'une
agence centralisée de l'innovation est quelque chose de
dérisoire.
Il est d'ailleurs intéressant de constater que, partout dans
le monde, l'innovation ne vient pas essentiellement des
grandes entreprises, en dépit de l'importance de leur budget
de recherche-développement. Beaucoup échouent pour cette
raison, comme cela a été le cas pour IBM, incapable de voir
venir la révolution de l'ordinateur personnel, ou avec les
compagnies aériennes traditionnelles, secouées par
l'émergence de compagnies à bas coût. Les grandes firmes qui
restent innovatrices sont essentiellement celles qui
achètent des licences à des entreprises de taille moyenne,
mais extrêmement dynamiques et flexibles.
Dans le cas français, la création de l'Agence pour la
promotion de l'innovation industrielle semble liée aux
recommandations faites par M. Beffa, le président de
Saint-Gobain. Certes on peut comprendre que ce dernier
souhaite recevoir des subventions étatiques, mais on peut
aussi s'étonner qu'il puisse ainsi être juge et partie,
prescripteur et bénéficiaire. On peut aussi s'inquiéter de
ce terrible aveu de faiblesse. Si le dirigeant d'une grande
entreprise affirme qu'une grande entreprise comme la sienne
a nécessairement besoin de l'aide étatique pour développer
ses activités de recherche, c'est dire à quel point elle
n'est pas capable de mettre en oeuvre la fonction
essentielle de l'entreprise, c'est-à-dire sa capacité
d'innovation!
Les entreprises françaises n'ont en tout cas pas besoin
d'une bureaucratie supplémentaire, de prélèvements
supplémentaires, de subventions supplémentaires. Elles ont
tout simplement besoin de bien plus de liberté. Parce qu'il
existe un retard économique français inquiétant, c'est dans
cette voie qu'il faudrait s'engager d'urgence et
vigoureusement au lieu d'accroître indéfiniment la présence
envahissante de l'État sous toutes sortes de prétextes
fallacieux.
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