Monsieur Gascon,
D'abord, félicitations pour le fait de lire des articles
ne correspondant pas à vos idées, tous les anti-libéraux
(et tous les anti quoi que ce soit, d'ailleurs...) ne
produisant pas cet effort d'information. Il serait trop
long de répondre à tout (il me semble d'ailleurs que
certains articles répondraient de manière exhaustive à
vos questions), je me concentrerai donc sur le premier
point.
Le fait que vous parliez de « solution miracle » est
symptomatique d'une forme d'esprit politique qui n'est
pas libérale. Non, je n'ai pas de solution miracle
contre la pollution, le mensonge, les dépits amoureux,
le cancer ni les hémorroïdes. Le libéralisme est d'abord
comparatif: les seules théories qui ont prétendu ériger
la société idéale ne l'ont fait – et ne pouvaient le
faire – qu'au prix de millions de morts. Et ce pour une
raison bien simple: l'idéal de quelques-uns ne
correspond jamais aux aspirations de tous les autres (je
l'explique à mon fils quand il prétend obliger sa soeur
à jouer au cow-boy avec lui; hélas, les politiques de
tout poil – ne parlons pas des intellectuels qui les
inspirent – n'ont généralement pas dépassé ce stade de
comportement infantile). Dès lors, il n'y a qu'une seule
manière non libérale d'administrer le mécontentement: un
mort n'est jamais insatisfait (l'aliéné non plus, d'où
l'usage intensif de l'hôpital psychiatrique dans les
sociétés totalitaires: c'est normal, il faut être fou
pour ne pas être communiste...). Le libéralisme intègre
ce qu'on appelle « l'arbitrage »: comment choisir,
déterminer le juste milieu entre des aspirations qui
sont contradictoires (ce qui est contradictoire à court
terme pouvant devenir complémentaire à long terme)? Pour
ce qui est du dilemme « richesse matérielle »-«
environnement », les libéraux choisissent le marché (lisez
mes articles sur la question, entre autres). D'autant que celui-ci, loin de dégrader l'environnement,
l'adapte au contraire aux exigences humaines (si l'on
regarde le bilan écologique des pays développés, on peut
faire le double constat suivant: la pollution liée à la
production diminue, du fait de l'amélioration des
techniques. En revanche, la pollution liée à la
consommation – déchets – tendrait à augmenter mais avec
elle et comme toujours lorsqu'il s'agit de marché, les
moyens de la juguler).
En second lieu, vous dites préférer la réglementation à
la liberté d'entreprendre: or, les réglementations que
vous préconisez sont coûteuses à édicter et mettre en
oeuvre (bureaucraties) et en conséquence, elles
consomment des ressources qui auraient pu être affectées
ailleurs (y compris à des finalités non réprouvées par
les socialistes: tout libéral que je suis, si j'ai à
choisir entre le fait que mes impôts financent une
bureaucratie tentaculaire ou des postes d'enseignants ou
de médecins hospitaliers, je préfère la seconde
solution!). D'autre part, d'où tirez-vous que les
réglementations sont efficaces? Que faites-vous de la
fraude et de la corruption, phénomènes qui sont loin
d'être mineurs, surtout lorsque les coûts induits par le
contrôle de la réglementation sont prohibitifs? Les
réglementations ne sont fonctionnelles que lorsqu'elles
correspondent à des tendances sociales ou économiques
qu'elles accompagnent et non qu'elles contredisent; car
on ne fait pas faire aux gens ce qu'ils ne veulent pas
faire (grand motif de désespérance étatiste,
d'ailleurs...). Autrement dit: une réglementation a
d'autant plus de chances d'être efficace qu'elle est
inutile.
En troisième lieu, vous faites une confusion fréquente
entre « environnement » et « nature » et vos conclusions
sur les méfaits du capitalisme sont pour le moins
étranges: comment expliquez-vous que dans un
environnement si dégradé par la prédation à laquelle le
soumettent les entreprises capitalistes depuis trois
siècles, l'espérance de vie ait si spectaculairement
augmenté (je m'attendrais à ce qu'un environnement
dégradé soit abiotique, c'est-à-dire impropre à la
vie...) et, avec elle, un niveau de vie qui nous permet
notamment, vous et moi, de consacrer une part croissante
de notre temps à un travail non directement productif
(écrire des articles, des courriels, consacrer du temps à
nos loisirs, etc.)? Vous pouvez chercher, vous ne
trouverez pas d'autre explication que celle-ci, la
corrélation est trop saisissante: le capitalisme libéral
et lui seul, de par sa logique propre, nous amène au
niveau de liberté et de prospérité qui est le nôtre
aujourd'hui. Il n'a pas dégradé notre environnement: il
l'a modifié pour le rendre plus propre à la vie qu'il ne
l'a jamais été. Regardez les bilans écologiques de notre
planète: vous verrez que l'environnement n'est nulle
part plus dégradé que là où le capitalisme n'a pu
s'épanouir ou là où des modes de décision collectivistes
ont présidé à la « régulation » des actes de production
et de consommation (que pensez-vous de « l'environnement » de nos banlieues HLM, grande idée
socialiste s'il en est?)
Enfin, il faut se méfier des discours
environnementalistes: l'une des grandes idées de cette
mouvance (qui a multiplié les erreurs d'analyse et de
prévision dès les années 1970, nous disposons maintenant
d'assez de recul pour le savoir) est que les dommages
causés à la nature par l'activité humaine seraient
irréversibles: or, quantité de ces dommages ne sont pas
irréversibles, ils dépendent de plein de facteurs non
directement liés à nos rejets: par exemple, il serait
très simple à un reportage télé bien senti de nous
expliquer qu'une zone est très polluée car les indices
d'ozone (polluant industriel) et de monoxyde d'azote
(rejeté par les voitures) rejetés dans l'atmosphère sont
très élevés (ou croissants). Or, le monoxyde d'azote «
bouffe » l'ozone (bref, les gaz nocifs, parfois, se
neutralisent) et la pollution des uns et des autres
dépendent grandement de l'état de la météo. Certains
rejets sont neutres ou inoffensifs.
Certes, la vie sociale, collective, économique, secrète
de nouveaux problèmes, recèle de nouveaux dangers – il y
a notamment beaucoup à redouter d'un certain nombre «
d'innovations virales », déjà à l'oeuvre depuis quelques
années –, mais il convient de les imputer à qui de
droit (pourquoi le « méchant capitalisme » et pas le « méchant État »?) et de ne pas cultiver l'illusion des
solutions miracles. Si vous avez bien lu ce qu'écrivent
les libéraux, vous constaterez que les problèmes d'usage
de l'eau que vous décrivez ci-dessus sont
principalement dus à un défaut de droits de propriété:
tous les économistes de l'environnement (y compris tous
ceux qui ne sont pas libertariens, c'est-à-dire
l'immense majorité) se rejoignent sur ce constat (or,
les libéraux prônent l'appropriation privée d'à peu près
tout!). Mais il est vrai que le respect de l'individu,
de l'environnement et de la propriété – toutes choses
historiquement liées – ne sont concevables que dans des
sociétés humaines touchées par le développement
économique. Trouvez-moi un mode de développement qui ait
été durablement initié et prolongé par l'État, je suis
preneur de ce genre d'informations! Vous voulez empêcher
les entreprises américaines d'investir au Mexique? Allez demander
aux Mexicains qui vivent grâce aux emplois que leur
fournissent les « méchantes multinationales américaines » ce
qu'ils en pensent. Ne vous attendez pas forcément à être
bien reçu...
Si je puis vous faire une recommandation, sans
nécessairement devoir sacrifier vos idéaux ou vos
préventions à l'endroit d'un genre humain parfois peu
enthousiasmant, en effet, je vous invite à vous ouvrir
au raisonnement économique de base, celui que cultivent
les libéraux: lorsque vous avez une solution en tête, ne
vous arrêtez pas à ce qu'elle semble devoir produire,
dans un monde idéal ou désincarné. Réfléchissez aux
effets pervers, aux implications secrètes, faites preuve
d'empathie tout en vous montrant soupçonneux et
vigilant! Et vous verrez qu'en outre, les plus
humanistes de vos recommandations n'auront jamais plus
de chances d'aboutir (d'être entendues, en tout cas) que
dans une société qui respecte votre (et notre) liberté
individuelle de manière non discriminatoire, c'est-à-dire sans la découper en tranches et décider sur la foi
d'une suprarationalité politique ce qu'elle contiendrait
de bien ou de mal!
Très brièvement, sur les autres points: 2) Les monopoles
sont inattaquables lorsque protégés par la
réglementation (l'interdiction de concurrencer) ou la
rente que constituent les marchés publics. Sinon, ils
sont toujours menacés (cf. le concept économique de
« marchés contestables »). 3) Ah, sur ce point, j'avoue
qu'il y aurait trop à dire: mais vous avez raison de
pointer du doigt que certaines conceptions de la liberté
sont ambiguës. La liberté est aussi celle de se
contraindre, en effet (le contrat, c'est ça!). 4) Vous
faite une erreur énorme, fondamentale et fréquente: le
marché valorise fortement les personnes de haute culture
générale. Les diplômés des écoles de commerce sont tous
des têtes bien pleines, par exemple et quantité de
diplômés en sociologie et en philosophie prospèrent
grâce au marché. En revanche, il faut, pour cela, mettre
son savoir au service de l'autre: une entreprise ne peut
vivre qu'en étant au service d'autrui... Certains
intellos de gauche y sont réfractaires mais ça, c'est
leur problème. 5) Objection classique: le communisme a
été corrompu par le soviétisme. Prenez, dès lors, la
responsabilité morale de prôner un autre communisme
(autre que privé et associatif). Vous aboutirez aux
mêmes atrocités, pour les raisons développées en mon
point 1.
Bien à vous,
E. Q.
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