À chaque année la tragédie est commémorée non pas tant
pour la comprendre et honorer les victimes que dans un objectif de
propagande politique.
Rappelons que Poly est située sur le campus de l'Université de Montréal,
université où j'ai moi-même étudié dans les années 1960; Poly forme des
ingénieurs. La plupart des faits relatés ci-dessous sont tirés du
rapport de la coroner Teresa Z. Sourour produit le 10 mai 1991. N'ayant
pu obtenir le texte français j'ai dû me contenter de la version
anglaise; il appert que ce rapport n'est pas facilement accessible et
nous comprendrons pourquoi.
Cette année-là Lépine, de son vrai nom Gamil Gharbi, venait d'avoir ses
25 ans le 26 octobre. Il portait le nom de famille de sa mère
québécoise, Monique Lépine, depuis le divorce de ses parents, lorsqu'il
avait 13 ans. Son père, Rachid Liass Gharbi, était d'origine algérienne
arabe, un fait rarement mentionné. Le rapport du coroner ne parle pas de
la famille Lépine. Les parents étaient séparés. Dans les lettres qu'il a
laissées, Marc Lépine identifiait les féministes comme des ennemis à
détruire et il a généralisé à toutes les femmes.
Lépine avait pourtant obtenu un permis d'armes à feu émis par la Sûreté
du Québec, l'Autorisation d'Acquisition d'armes à feu (AAAF), un
certificat obligatoire depuis le 1er janvier 1979 pour l'acquisition
d'une arme à feu (en pratique, le permis n'était demandé que lors d'un
achat chez un détaillant enregistré et l'arme était alors enregistrée au
nom de l'acheteur; mais ces dossiers ont été perdus et il s'est avéré
que la majorité des propriétaires détenaient des armes à feu sans
permis). L'arme était une Ruger mini-14 calibre .223 à action
semi-automatique. Ce calibre est idéal pour la chasse à la marmotte, au
coyote, au raton laveur. Lépine avait trois chargeurs, deux d'une
capacité de 30 coups et un de cinq coups. Mais une fille a été tuée de 3
coups de couteau (lame de 15 cm), après avoir été blessée par balle.
Lépine a laissé 60 cartouches inutilisées. Toutefois, écrit la coroner,
ces meurtres auraient pu être perpétrés au moyen d'autres armes de
chasse et Lépine a tiré plusieurs coups sans atteindre une cible.
Mauvais tireur, heureusement.
Marc Lépine a été décrit comme étant peu communicatif, replié sur
lui-même, sauf lorsqu'il parlait d'ordinateurs et d'informatique (un
trait commun avec les deux meurtriers de Columbine). Il paraissait
insensible, indifférent aux émotions. L'évaluation psychiatrique parle
d'une personne suicidaire, les homicides étant la manifestation élargie
de sa volonté de suicide. Ceci caractérise une personne ayant des
problèmes graves de personnalité.
Lépine était sans emploi depuis septembre 1988. À l'automne 1986, il est
admis à Poly à condition qu'il complète deux cours jugés essentiels. Il
en complète au moins un au cours de l'hiver 88/89. Lépine s'était
familiarisé avec Poly. Il y a fait plusieurs visites, dès 1985, mais
surtout d'octobre 89 jusqu'à la veille des événements, le 5 décembre. La
coroner ne dit pas si Lépine s'est vu refusé l'admission à Poly et
qu'elles étaient ses relations avec le personnel.
Je résume. Le 6 décembre, Lépine a été vu une première fois à 16:00,
pendant environ 40 minutes, assis à l'entrée du bureau du registraire
(ou bureau des admissions), dont il entravait le passage. Il
transportait un sac en plastique noir, dont il cachait le contenu. À
16:45, on le voit au troisième étage et ensuite, à 17:10, dans un
corridor du deuxième. C'est à ce moment qu'il entre dans la salle de
cours (génie mécanique) C-230.4 où étaient (selon les dossiers de Poly)
deux professeurs et 69 étudiants. Il tire un coup en l'air, que certains
ont pris pour un jeu, et demande aux filles de se ranger à gauche et aux
hommes, à droite. Après une grande confusion, Lépine demande ensuite aux
hommes de sortir, ce qu'ils font. Il se rend alors vers les 9 filles
regroupées à l'arrière, un endroit sans issue, et leur dit qu'il combat
le féminisme. Une lui répond qu'elles ne sont pas des féministes,
qu'elles n'ont jamais combattu les hommes. Lépine tire alors à
répétition, laissant derrière lui 9 victimes, dont 6 sont décédées.
De retour dans le corridor, il blesse trois personnes à la salle de
photocopie et va à la salle C-228 où il vise une étudiante, mais son
chargeur était vide.
Il se rend à l'escalier d'urgence où, pendant qu'il change de chargeur,
il se bute à un étudiant descendant l'escalier qui se rendait à la salle
de photocopie (située à proximité de la salle de cours C-230.4). Où
étaient donc rendus les hommes sortis de la salle C-230.4 ? Quoi qu'il
en soit, l'étudiant de l'escalier, quand il a vu des blessés, s'est
enfui.
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