Montréal, 15 janvier 2005 • No 150

 

OPINION

 

Georges Lane enseigne l’économie à l’Université de Paris-dauphine. Il a collaboré avec Jacques Rueff, est un membre du séminaire J. B. Say que dirige Pascal Salin, et figure parmi les très rares intellectuels libéraux authentiques en France.

 
 

LA MÉDECINE DANS LA SERINGUE *

 

par Georges Lane

 

          Depuis qu'en 1971, dans le cadre de la première convention médicale nationale, des médecins ont échangé le droit de pratiquer librement leur noble art contre un plat de lentilles, les choses se sont précipitées. La médecine avait certes été mise dans la seringue en 1945, mais l'application du principe de la convention allait activer cette dernière. La énième convention médicale nationale, conclue en décembre 2004, est à marquer d'une pierre blanche: les Français vont désormais devoir se lier, chacun, à un médecin dit « traitant » ou « correspondant », et un seul.

 

Principe de la seringue

          S'il venait à l'idée d'un consommateur de services de santé de consulter un autre médecin, non seulement il paiera plus cher que le « tarif » défini, mais, en plus, il sera moins remboursé. Et cela avant que, selon toute vraisemblance, il ne soit plus remboursé du tout à l'avenir. Tel est le principe de la seringue.

          Ainsi, le gouvernement et les deux chambres du Parlement vont, en 2005, infliger une nouvelle obligation aux Français: nous allons devoir nous lier irrévocablement à un médecin dit « traitant » si, en cas de « dépenses de soins maladie », nous voulons être remboursés de celles-ci par l'organisation de sécurité sociale maladie. Celle qui nous est déjà imposée et sur les détails de laquelle jamais le moindre référendum n'a été organisé depuis le coup d'État socialo-communiste qui l'a instaurée en 1945.

          Cette nouvelle obligation s'inscrit elle-même dans la énième convention médicale nationale, un document qui vient d'être signé entre un organisme de sécurité sociale, lui-même de création très récente (mi-2004), à savoir l'« Union nationale des caisses d'Assurance-Maladie » (UNCAM), et les syndicats dits « représentatifs » des professions médicales.
 

Historique

          Un peu d'histoire. Le principe de la « Convention médicale nationale » a été avancé au début de la décennie 1970 pour faire face à la dérive des dépenses d'assurance maladie que connaissait la Sécurité sociale depuis que des chiffres étaient disponibles (1950).

          La « convention médicale » veut façonner les relations que vont entretenir les « professions de santé » qui ne sont pas exercées dans le secteur public – à savoir des professions de santé du secteur dit « libéral » – et les organismes de Sécurité sociale.

          Par exemple, l'ordonnance du 19 octobre 1945 avait institué ce qu'elle dénommait une « convention médicale départementale » entre les organismes de Sécurité sociale et les syndicats de praticiens. La « convention » fixait les tarifs de remboursement. Ceux-ci étaient variables selon la nature de l'acte, la spécialité du praticien et quelques autres éléments. Cela a conduit à une distinction entre départements « non conventionnés » et départements « conventionnés ». Dans le cas de ces derniers, les caisses régionales de Sécurité sociale et les syndicats de praticiens signaient entre eux des conventions qui n'en obligent pas moins tous les praticiens du département « conventionné », syndiqués ou non.

          Cependant, à l'expérience, on s'est rendu compte que le principe d'une « convention » entre des « représentants » ne suffisait pas à définir toutes les relations entre les « Organismes du Régime Général » et les « professions de santé ». Aussi, par un décret du 12 mai 1960, le gouvernement a-t-il entrepris d'y mettre son « ordre ». Le décret a porté sur les rapports entre le « Régime Général » et les « professions de santé ». Il a réglementé, en particulier, l'application des tarifs de soins et le « conventionnement » des praticiens. Il a continué à présenter comme « contractuelles » les relations entre, d'une part, « le corps médical » et « les pharmaciens », et, d'autre part les Caisses.

          De fait, elles restaient donc réglées par des « conventions » entre les syndicats professionnels et les Caisses. Cependant, comme ce serait là par trop de liberté encore, il faudra que ces « conventions » se conforment à une « convention-type ». En outre, parce qu'il ne fallait pas laisser les gens faire n'importe quoi, les tarifs de soins ne deviendront applicables qu'après avoir été approuvés par une commission interministérielle. Le décret a innové cependant en ce qu'à défaut de « convention », tout praticien pouvait adhérer individuellement à une « convention-type ».

          Fait inattendu à signaler, le décret laissait entendre qu'en définitive les relations entre les hommes de l'État national et ceux de la Sécurité sociale n'étaient pas, elles non plus, très claires. Pour ce qui est des assurés sociaux, il ne semble pas excessif de dire qu'on ne leur demandait pas du tout leur avis, et qu'en fait, on ne les tenait même pas au courant de ces prétendues « conventions » qui pourtant les engageaient. Et cela, en dépit de l'ordonnance du 19 octobre 1945, qui énonçait le principe selon lequel le patient aurait le libre choix absolu du praticien, les honoraires de ce dernier étant fixés par entente directe avec le médecin! De même, aux termes de l'article 257 du Code de la Sécurité sociale, l'assuré était censé choisir librement l'établissement hospitalier auquel il voulait avoir recours, le pharmacien et le centre d'appareillage (à condition que ces centres et établissements soient « agréés »).

          Il est à souligner que, si le principe d'origine était que les professionnels de santé conserveraient leur liberté de prestations, rapprochés les uns des autres, les textes juridiques faisaient apparaître la volonté latente du législateur de se rendre maître de la liberté de certains d'entre eux pour ne pas dire de tous.

          La raison: l'augmentation des dépenses de santé, et par conséquent, l'augmentation des remboursements, indemnisations, réparations et autres expédients sociaux. En effet, préoccupantes au début de la décennie 1950, les dépenses médicales le demeuraient à la fin de la décennie 1960, sans parler bien sûr de leurs perspectives d'évolution.

          Pour des commentateurs, l'application des principes de départ aboutissait à un échec d'autant que les dépenses-maladie ne faisaient que s'alourdir malgré les lois pour les encadrer. Cela a amené la « Confédération des Syndicats Médicaux Français » et les « caisses nationales » compétentes des Régimes intéressés (Régime agricole, Régime Général, Régime des non-salariés non agricoles) à s'accorder sur une nouvelle démarche fondée sur un nouveau principe, celui d'une « convention médicale » nationale en 1971 dont certains ont cru l'application désormais perpétuelle. Mais qui n'a eu qu'un temps.

          Depuis lors, les conventions ont succédé aux conventions. Il est à remarquer en particulier que sur les cinq conventions nationales signées en 1971, 1976, 1980, 1985 et 1990, seule celle de 1985 n'a pas été frappée d'annulation de la part du Conseil d'État. Le Conseil d'État a, par exemple, annulé pour deux motifs la convention médicale de mars 1990 qui régit les relations entre les médecins et les caisses d'assurance-maladie et portent sur les tarifs, la formation continue, la prise en charge des « cotisations » sociales, la régulation des dépenses. Premier motif: l'arrêté d'approbation du ministre des Affaires sociales avait scindé le texte en deux, en n'approuvant que la première étape des hausses d'honoraires inscrites à l'annexe tarifaire. Second motif: le Conseil d'État à estimé que s'agissant d'une convention unique régissant les conditions d'activité des généralistes et des spécialistes, elle aurait dû être signée par au moins deux syndicats médicaux représentatifs. Or seule la FMF représentant essentiellement des spécialistes avait signé le texte, les deux autres syndicats – CSMF majoritaire et généralistes de MG – ne s'y ralliant que plus tard.

          La première Convention médicale nationale a couvert les années 1971-1975. Elle a été signée le 28 octobre 1971 entre la « Confédération des syndicats médicaux français » (CSMF) et les caisses nationales compétentes des Régimes intéressés (Régime Général, Régime agricole, Régime des non-salariés non agricoles).

          Au préalable, le gouvernement s'était engagé solennellement à garantir l'avenir de l'exercice de la médecine libérale et, en particulier, le paiement à l'acte. Une loi du 3 juillet 1971 avait fixé le cadre juridique où y sera incluse la « convention médicale » nationale. La convention fixe les tarifs que les praticiens conventionnés ont le droit de pratiquer pour que les patients connaissent un remboursement digne de ce nom, mais aussi l'organisation des soins, la formation continue, et même la surveillance de la conduite des médecins. Autrement dit, tout se passe comme si certains médecins acceptaient le principe d'un contrôle de leur activité. Les caisses de Sécurité sociale s'engagent à payer une partie des cotisations-maladie et vieillesse des médecins qui choisissent d'être conventionnés.

          La convention de 1975, deuxième du nom, a repris pour l'essentiel les termes de la convention précédente. Si l'on en croit des commentateurs, elle a constitué le premier exemple d'un texte conventionnel qui a eu force de loi, mais qu'un ministre promit de ne jamais faire appliquer dans sa totalité.

          La convention de 1981 comportait deux grandes innovations: l'idée d'une « enveloppe globale » et le « secteur II des honoraires libres ». Font partie du « secteur II des honoraires libres » les médecins qui demandent les honoraires qu'ils jugent bons, mais dont les patients sont remboursés sur la base du tarif de la Sécurité sociale. Mais, la convention supprime le droit à dépassement permanent octroyé dans le passé à certains praticiens en raison de leur notoriété, de leurs titres ou de leurs travaux particuliers. L'enveloppe globale (dont l'idée a été imputée à Jacques Barrot) ne sera en fait jamais appliquée. Les caisses ne parviendront même pas à réunir une seule fois la « commission économique nationale » qui était censée fixer annuellement les objectifs de dépenses de l'année.

          La convention médicale nationale, quatrième du nom, a été signée le 1er juillet 1985, et pour la première fois, par l'« ensemble des partenaires », à savoir:
 
  • la Caisse nationale d'assurance-maladie des travailleurs salariés de l'industrie et du commerce (CNAM), la Caisse centrale de secours mutuels agricoles (CCSMA), la Caisse nationale d'assurance-maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles (CANAM) d'un côté, et, de l'autre,

  • la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) et la Fédération des médecins de France (FMF).

          Il est à remarquer que jusqu'à 1995, les praticiens et auxiliaires médicaux conventionnés ont bénéficié d'un Régime dérogatoire en matière d'assurance maladie, maternité et décès, puisqu'il s'agit du « Régime Général ». En matière d'assurance-vieillesse, ils relevaient de la « Caisse autonome de retraite des médecins français » (CARMF). Leur « cotisation » d'allocations familiales pouvait, en outre, être prise en charge partiellement par les caisses primaires d'assurance maladie.

          La sixième convention nationale a été négociée en novembre 1993. Elle a été signée par deux des quatre syndicats médicaux (CSMF et SML), par la CNAM et par la MSA. Elle a été conclue pour une durée de quatre ans et agréée par les pouvoirs publics le 22 novembre 1993. Plusieurs dispositions visant à la maîtrise des dépenses ont été prévues dans le texte de ce protocole:
 
  • des références médicales opposables (RMO) aux médecins ont été définies pour vingt-quatre thèmes médicaux, avec « codage spécifique des actes médicaux »; leur non respect par le praticien pourra conduire à une sanction financière.

  • la création d'un « dossier médical », regroupant auprès d'un même praticien les comptes rendus de tous les actes et prescriptions réalisés par divers intervenants sur une même personne, devra permettre d'éviter les redondances ainsi que les risques d'interactions médicamenteuses.

  • le gel du secteur à honoraires libres est reconduit pour quatre ans; la création d'un « secteur optionnel » permettra cependant, à certains praticiens, de dépasser les honoraires conventionnels.

  • les tarifs de consultations (ou de visites à domicile) sont « revalorisés ».

          Près de cinquante années après l'instauration de l'organisation de la sécurité sociale, dans la mesure où l'augmentation des dépenses de santé était présentée comme un échec, on pouvait dire que l'échec continuait en dépit des conventions signées périodiquement entre les hommes de l'État, les hommes de la Sécurité sociale et les représentants des syndicats médicaux.

          Bien évidemment, il n'était toujours pas question de la « disparition de la liberté » des professions médicales ou de celle de leurs patients, mais il a été néanmoins question, et nommément, de « régulation des dépenses médicales », de « maîtrise » pour la raison que les « dépenses de santé » augmenteraient plus que le PIB en France ou qu'elles augmenteraient plus que les dépenses de santé dans les pays étrangers.

          L'application du principe de la convention médicale nationale a soulevé des questions telles, dans le domaine de l'assurance-maladie, que les hommes de l'État ont franchit une nouvelle étape, celle de l'« objectif national des dépenses de santé » (ONDAM), nouvel euphémisme employé pour désigner la planification communiste dans le domaine.
 

« L'application du principe de la convention médicale nationale a soulevé des questions telles, dans le domaine de l'assurance-maladie, que les hommes de l'État ont franchit une nouvelle étape, celle de l'"objectif national des dépenses de santé", nouvel euphémisme employé pour désigner la planification communiste dans le domaine. »


          Malgré l'assujettissement d'un nombre croissant d'individus, malgré son extension à presque toute la population, l'assurance-maladie connaissant toujours des dépenses d'un montant supérieur au montant des cotisations, l'assujettissement a été encore entrepris dans une direction restante: celle des personnes que la Sécurité sociale-maladie voudrait s'attacher comme fournisseurs, celle de ceux qui fournissent les « réparations-indemnisations-remboursements » de l'intégrité des malades, c'est-à-dire celle des professions de santé.

          De fait, l'assujettissement en question est un assujettissement aux volontés des gestionnaires des Organismes de la Sécurité sociale ou de leur tutelle, aux prix et quantités des produits que les hommes de l'État jugent justes.

          Et l'évolution future était prévisible: c'était à terme l'assujettissement complet des professions de santé, la maîtrise totale...

          La méthode que le législateur a utilisée pour y parvenir était également prévisible. Elle a plusieurs facettes: l'une consiste à monter de toutes pièces un tabou, une autre à trouver un bouc émissaire, une autre encore à calomnier ou jeter le discrédit sur des individus, des techniques.
 

La chute finale

          Les hommes de l'État ont et auront recours à divers types d'instruments. Parmi les moins recommandables, on peut citer les jugements de valeur portés sur les professions de santé. Par exemple, les médecins prescriraient sans discernement. Les professions de santé vivraient aux dépens du système et scieraient la branche sur laquelle elles prospèrent, les unes et les autres mettant en danger la Sécurité sociale-maladie (ou -accident du travail).

          À l'origine, en 1945, il y avait la reconnaissance et l'affirmation du principe de la liberté des « professions de santé » et des patients. Aujourd'hui, soixante années plus tard, où va entrer en vigueur la dernière convention médicale nationale, la énième du nom, n'est-ce pas, implicitement, un principe opposé qui est appliqué?

          La convention médicale n'oblige-t-elle pas les professions de santé à respecter un écheveau de règles administratives qui s'enrichit chaque jour qui passe ou presque, sous peine des pénalités de diverse nature édictées si les obligations ne sont pas respectées.

          Et comment ne pas juger extraordinaire son arbitraire à l'égard des patients? Changer de médecin ne vous interdira pas d'être remboursé mais vous devrez verser des honoraires supérieurs au « tarif » et ceux-ci seront l'objet d'un remboursement non pas nul, mais comparativement moindre! À cause des faits rappelés ci-dessus, il faut s'attendre avec certitude à ce que le « remboursement moindre » soit progressivement réduit à zéro car la médecine est désormais dans la seringue.

          Étant donné l'ignorance limitée de chaque être humain, une ignorance spécifique qu'aucun tiers ne saurait connaître, l'obligation supplémentaire de s'adresser au préalable obligatoirement et toujours à un même médecin, « généraliste traitant » ou « spécialiste correspondant », charge à la fois l'aspect « demande » et l'aspect « offre » du marché des soins.
 

L'aspect « demande »

          Choisir entre plusieurs médecins, est une action certes coûteuse (à commencer par « le temps qu'elle prend », etc.), comme toute action humaine, mais elle l'est au patient, assuré social, et à personne d'autres, et elle lui procure un avantage: l'avantage est d'ailleurs plus grand que le coût sinon il ne la mènerait pas.

          Choisir suppose de découvrir et de connaître. De tout temps, le patient a d'ailleurs fait des efforts dans ce sens. Qu'il les connaisse ou les découvre, il en informe ses semblables par le bouche à oreilles ou par la publicité (quand la publicité n'est pas interdite par le législateur qui déclare faire le bien de tous, médecins et patients confondus).

          D'un instant à l'autre, certains goûts changent pour diverses raisons: « il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis », adage cher aux socialo-communistes. Et le choix qui s'ensuit est différent et le nouveau choix procure un avantage, net de coûts, positif.

          Dans ce monde changeant, l'obligation nouvelle va interdire tout nouveau choix et changement au patient, assuré social, et chacun évaluera à sa façon, mais toujours coûteuse, cette impossibilité de changer. Toute interdiction donnant lieu à marché noir, selon ses calculs, il fera partie ou non de ceux qui feront émerger et pérenniseront le marché noir des soins.

          Pour faire face au marché noir des soins né des répressions de la demande, la bureaucratie mettra sur pied une police: il y avait déjà les médecins du travail, les médecins de la sécurité sociale, il y aura désormais, dans le meilleurs des cas, les médecins chargés de surveiller les médecins et leurs patients et, dans le pire, tout est imaginable! Que de nouveaux coûts inutiles.
 

L'aspect « offre »

          Les médecins ne tombent pas du ciel, un médecin est un être humain comme un autre mais qui a choisi de faire des études et des sacrifices pour parvenir à le devenir. À l'instant t, il y a donc des médecins généralistes ou spécialistes qui ont choisi de soigner leurs semblables.

          D'un instant à l'autre, des médecins disparaissent car ils deviennent trop coûteux (médecin inefficace ou « qui part à la retraite »), d'autres évoluent (le médecin qui vend son cabinet à un autre), d'autres enfin apparaissent car ils sont découverts (installation de médecin frais émoulu de l'université, créations de cabinet) et présentent chacun un avantage net de coûts. Il s'ensuit que varie pour le bien de tout l'éventail de choix de possibilités, une possibilité étant donc soit le médecin généraliste soit le cabinet de médecine généraliste (évaluée sur la base de la clientèle...).

          Dans notre monde changeant, l'obligation nouvelle interdit a priori toute disparition libre et va ouvrir la porte à une bureaucratie chargée de se prononcer sur les causes de la disparition (retraite, vente, etc.). Elle interdit aussi a priori toute nouvelle possibilité et va ouvrir la porte à une bureaucratie, la même que précédemment ou une autre, chargée de se prononcer sur les caractéristiques de la nouveauté (création, achat, etc.). Chacun évaluera, à sa façon, c'est-à-dire coûteuses, ses impossibilités nouvelles de changer ou les actions nécessaires pour obtenir les autorisations nécessaires. Et en résultera nécessairement un marché noir des autorisations.

          Pour faire face au marché noir des autorisations né des répressions de l'offre de soins, la bureaucratie mettra sur pied une police! Que de coûts inutiles.

          Dans ces conditions, comme les précédentes, la nouvelle convention médicale nationale ne sera en aucune façon l'économie de coûts qu'avance la bureaucratie en place dans l'UNCAM et les hommes de l'État avec l'aide des médecins stipendiés.

          Comment alors, me direz-vous, tout ce beau monde ose-t-il avancer, en particulier, que l'obligation supplémentaire que vont devoir supporter les patients, vous et moi, va contribuer à des économie de coûts significatives? Par ignorance: une ignorance criminelle!
 

La « Sécu » démystifiée

          De fait, comme le stigmatise ci-dessous François Guillaumat, le financement public était un piège pour les professions libérales:
 

          Médecins, pharmaciens et autres professions de santé peuvent aujourd'hui se demander comment le financement public des dépenses médicales, système qui semblait si bien marcher au départ, échoue désormais à préserver leur revenu et se met à leur opposer des exigences de plus en plus contraignantes. Quoi que puissent croire les adeptes de la religion démocrate-sociale, le fait est que la Sécurité sociale actuelle n'est pas un ordre viable mais un désordre à la dérive. Déréglée dès le départ, elle devait forcément conduire à l'excès de dépenses et aux velléités actuelles de rationnement brutal. Si nous ne réussissons pas à en chasser la décision publique, les hommes de l'État continueront à empêcher toute régulation, et ils réduiront tous les professionnels de la santé au statut sous-humain de fonctionnaires payés avec un lance-pierres. […]

          En même temps, la valeur du service baisse aux yeux de ceux qui s'en servent. Bien sûr, les hommes de l'État font tout pour confisquer la rente à leur profit; mais de toute façon, c'est une loi absolue de l'économie que la valeur perçue tend toujours vers le coût. Lorsqu'on reçoit un produit à bas prix, sa valeur perçue (et d'autant plus dans les générations montantes; c'est le syndrome dit de l'enfant gâté, que l'on connaît bien en matière d'immigration) baisse jusqu'à ne plus représenter que le coût subi pour se le procurer de sorte que:

• La valeur de la subvention disparaît aux yeux de l'« usager ». Phénomène bien connu dans l'enseignement, où par-dessus le marché la scolarité obligatoire donne une valeur négative aux « services » pour certains, mais qui explique en médecine qu'on finisse par trouver « normal » de la payer moins cher que les services d'artisans moins longuement formés. Ce qui ouvre la voie aux rémunérations de plus en plus misérables par quoi les hommes de l'État, acheteurs réels et monopolistiques des services, vont exploiter leurs fournisseurs.

• La demande n'est plus contrainte que par les coûts non pécuniaires qui sont les seuls perçus: coûts d'information, de transport, humiliations, souffrances, perte de temps, etc. Ce qui introduit la limitation de la demande par l'accroissement des coûts non-pécuniaires. Accroissement d'abord spontané, par l'évolution bureaucratique normale, puis délibéré par la politique de rationnement de la demande par l'offre (et l'organisation de pénuries).

• Lorsque l'illusion fiscale connaît de vraies pannes (on ne fait pas si facilement le « coup » de la violence indirecte aux entrepreneurs indépendants), comme on ne peut pas obtenir que les hommes de l'État cessent de vous voler, le seul moyen de récupérer son bien (tout en se vengeant de l'escroquerie pillarde dont on est victime) c'est de prendre les hommes de l'État au mot de leur prétendue « gratuité » et d'accroître systématiquement ses dépenses tout en offrant des services au noir pour éviter de payer (La Sécu ça craint, en abuser c'est bien).

          La faillite, inscrite dans le système dès le début, commence à apparaître nettement dans les comptes. C'est alors que les hommes de l'État doivent faire acte de « courage » (violer leurs engagements), faire preuve de « volonté politique » (écraser les faibles, ménager les puissants), se montrer « audacieux » (stupidement autoritaires).

• Les hommes de l'État jettent le masque. Il n'est bien sûr pas question de remettre en cause le principe du pillage politique (de la « solidarité »): la raison d'être, la passion du pouvoir arbitraire des hommes de l'État, demeure et en outre, de plus en plus d'usagers, profiteurs et prébendiers dépendent du système et le maintiennent de leur masse stérile, parasitaire et revendicatrice. Les hommes de l'État vont donc renier leurs engagements.

• Ils renient leurs engagements financiers: ils voleront toujours davantage aux contribuables pour leur fournir toujours moins de services. Le « service public » révèle sa vraie nature. C'est verbalement qu'il sert le public (la loi, les puissants le disent), mais il en est réellement dispensé (par les mêmes). Alors que le client de l'entreprise normale (privée et concurrentielle) est l'objet de tous ses soucis, l'« usager » du « service public » n'est qu'un prétexte à recevoir des privilèges et l'idéal secret de ses administrateurs est qu'il disparaisse. (Avantage secondaire du retrait des services: une privatisation partielle de fait).

• Les hommes de l'État trahissent leur engagement de payer correctement leurs fournisseurs. Étant l'acheteur dominant des services, ils se conduisent en monopole d'achat et imposent des rabais de plus en plus impudents, d'où la paupérisation et la tiers-mondisation des professions. Celles-ci se retrouvent moins bien payées qu'elles ne le seraient sur un marché libre et découvrent qu'en acceptant le financement public (criminel) elles ont troqué leur droit d'aînesse contre un plat de lentilles.

          Pour concrétiser ce pouvoir de monopole, aussi longtemps que demeure le principe de l'exercice « libéral », les hommes de l'État devront user de moyens de pression tels que le chantage à la suppression des remboursements, puis des autorisations d'exercer. Ils exploiteront d'abord les plus faibles (infirmières), puis les autres (médecins, chirurgiens) suivront. L'obligation de négocier avec eux développera des « organisations représentatives » dont ils essaieront d'acheter les dirigeants ou de manipuler la « représentativité ».

          La contrainte autoritaire sur les quantités succède ensuite au contrôle des prix: « enveloppes de dépenses », quotas d'actes, en attendant la nationalisation complète des services.

• Les hommes de l'État renient leur engagement de respecter la liberté des usagers: refusant de mettre en cause le principe de l'irresponsabilité institutionnelle (le socialisme) qui est la raison d'être du système, les hommes de l'État prétendront « responsabiliser » les acteurs en revenant au mode de régulation autoritaire de la société archaïque (mais avec bien moins de possibilités de « voter avec ses pieds »). Cette prétendue « responsabilisation » (encore un Ersatz) commence par des discours et des campagnes de propagande débile (la Sécu c'est bien...). Elle se terminera par le fichage de la population (carte à puces) et l'affectation autoritaire à un médecin ou à un centre de soins (Suède et Grande-Bretagne).

• Les hommes de l'État renient leur engagement de développer les services: décrétant que les « besoins » sont « satisfaits » (et jamais à court d'« inégalités » à exhiber pour soi-disant « justifier » qu'ils refusent ici ce qu'ils se déclarent prêts à autoriser là s'il y avait une demande) les hommes de l'État vont refuser l'ouverture de nouveaux centres, fermer les anciens, supprimer les postes, etc. Dans la pseudo-gratuité, l'offre est le seul régulateur de la demande, ce qui veut dire que les hommes de l'État vont s'acharner à réduire l'offre.

          S'impose alors un discours ahurissant, et qui serait impensable si le service était privé et concurrentiel, suivant lequel l'accroissement des dépenses serait un problème grave (imaginons les dirigeants de la chaussure française s'inquiétant de la progression « alarmante » de leur chiffre d'affaires). Le problème, bien sûr, tient exclusivement au financement criminel, à la séparation forcée de la fourniture du service et de la collecte du paiement.

• Ces mesures échouent à seulement freiner l'accroissement des dépenses aussi longtemps qu'une affectation strictement autoritaire des patients n'est pas imposée.

• En outre, elles multiplient des coûts qui, bien que très réels et de plus en plus douloureusement perçus par ceux qui les subissent, ne prennent pas toujours de forme pécuniaire et, n'étant pas mesurés, n'entrant pas dans les statistiques. Ce qui permet de faire croire à la réalité des économies: délais d'attente, traitement des « usagers » comme des porcs, longs déplacements (cas typique de la médecine d'État britannique, présentée comme « efficace », mais que ses « usagers », ô surprise, fuient dès qu'ils en ont le moyen).

• On ne peut pas laisser les gens faire n'importe quoi. Le slogan autoritaire et arrogant des hommes de l'État pour justifier leur pouvoir est qu'« on ne peut pas laisser les gens faire n'importe quoi » (si on instituait le salaire direct, ils iraient le boire et deviendraient des miséreux à la charge de la société). Or, ces nuisibles-là, nous voyons bien que ce sont eux qui font n'importe quoi, et qui obligent les autres à faire n'importe quoi.

          Le système est fondé sur l'irresponsabilité institutionnelle de tous, qui engendre l'irrationalité chez tous, et réduit donc tout le monde au statut de sous-hommes. Le socialisme fait des sous-hommes (ratoïdes: cf. Zinoviev, Homo Sovieticus) avec des êtres humains.

          Reprenons le slogan à notre compte. Pour empêcher les gens (à commencer par les hommes de l'État) de faire n'importe quoi, c'est-à-dire pour revenir à une société normale et réglée, le seul moyen est d'éradiquer le principe de l'irresponsabilité institutionnelle, c'est-à-dire d'abolir les ingérences autoritaires de l'État dans l'organisation et le paiement.


 

* NDLR: L'article est, certes, un peu long et technique mais il retrace dans les détails l'évolution vers toujours plus de coercition dans la gestion de la pénurie organisée par les hommes de l'État dans le cadre du monopole de la Sécurité sociale française. L'analyse finale de François Guillaumat enfonce le clou de manière claire et directe. Georges Lane a écrit un livre sur « l'asécurité sociale » qui sera bientôt publié.

 

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