Montréal, 15 février 2005 • No 151

 

COURRIER DES LECTEURS / READERS' CORNER

 

Vous n'êtes pas d'accord avec le contenu d'un article? Vous avez une opinion à partager? ÉCRIVEZ-NOUS
Le QL publiera toutes les lettres pertinentes. N'oubliez pas d'écrire vos nom et lieu de résidence.

 

You don't agree with the content of an article? You have an opinion you want to share? WRITE TO US
We will publish all pertinent letters. Don't forget to include your name and place of residence.

 
 
 

SUGGESTIONS DE BRANDING POUR LE QUÉBEC

 

          Boston, l'Athènes de l'Amérique. Cuba, la Perle des Antilles. Vancouver, le Jardin du Pacifique. Une image de marque pour le Québec touristique nous sera bientôt soumise par BCP communication. Pourquoi n'a-t-on pas pensé à un concours provincial? Le bon peuple, prisonnier d'une société d'images et d'illusions, voire de mensonges, aurait sûrement aimé participer à un tel jeu. Il n'y a pas que les gratteux et les casinos. Trouver un slogan accrocheur qui ralliera tous les intervenants touristiques ne sera pas aisé, mais il est possible de dénicher une « étiquette » aussi puissante que « I love NY », ou « Nature et culture » de l'Espagne.

          Depuis vingt ans que je fais du tourisme-vérité comme guide-accompagnateur, j'ai bien saisi la perception des touristes étrangers à l'égard du Québec. Le « branding » ou marque de commerce à retenir devrait rappeler notre côté festif et latin, sans oublier les accidents géographiques qui forgent nos grands espaces. Quand les touristes nous viennent de l'Ontario ou des États-Unis, les premières « remarques » portent sur nos routes crevassées et les nids-de-poule. Pour rivaliser avec les épithètes parfois pompeuses des autres villes ou régions, je suggère comme slogan évocateur pour le Québec: « Le Canyon du Nord-Est »; « Adoptez votre nid-de-poule »; « Passage obligé »; « Apportez votre asphalte »; « Facteur de risque »; « Slalom 365 ». Mais mon préféré serait: « Chica chica boum ».

Michel Bédard
chef du Parti Éléphant Blanc de Montréal
 

 

GRANDEUR ET DÉCADENCE DE LA POSTE

 

          J'ai peur qu'en écrivant ces quelques lignes, j'apporte à nos décideurs de cette chère administration des Postes (du moins ce qu'il en reste) des arguments pour finir de vendre les derniers services dits publics. Tant pis pour moi, même si j'ai appartenu durant une quarantaine d'années à cette administration digne de ce nom à l'époque. Même mal rétribué, je m'y suis plu. J'aimais ce contact avec les clients de la Poste. J'ai appris beaucoup dans mes pérégrinations de facteur et puis j'ai écouté, j'ai vu, j'ai constaté et j'ai même conseillé en toute modestie. Bref une excellente pédagogie.

          Tout ceci pour déplorer un service de plus en plus lamentable. Mon quartier n'a pas été desservi 2 fois dans la semaine du 10 au 15 janvier: pas de distribution le jeudi ni le samedi! Je suis persuadé qu'une fois la grande maison entièrement jetée en pâture au secteur privé, la qualité du service en sera améliorée dans un domaine, celui du profit, oui il y aura du mieux. Le Monde est malade! Son Europe a la fièvre! Et notre France, sa gastro.

Bernard Jacotot
Dijon

 

POINT DE VUE LIBERTARIEN SUR LE SYSTÈME JUDICIAIRE

 

          Je vous envoie ce message pour vous proposer d’écrire un article à propos du point de vue libertarien sur le système judiciaire.

          Il m’apparaît que le droit de propriété est une pierre d’assise fondamentale de la philosophie libertarienne, qui elle prône l’absence de mécanismes étatiques pour régir les relations entre les individus d’une société. Or, dans les sociétés modernes, le seul garant du droit de propriété est l’État lui-même, à travers le système judiciaire qu’il façonne au gré de l’évolution de la société et de son État. Il est vrai qu’en principe cet appareil judiciaire se veut d’être indépendant de l’État, mais il s’exerce quand même à partir des lois et règlements créés par le pouvoir législatif d’un État. Il y donc nécessité d’intervention commune, à travers les mécanismes d’État, pour assurer les fondements même d’une société libertarienne. Cela pourrait paraître contradictoire, mais je m’imagine que ce n’est pas forcément le cas. Il me paraît intéressant pour votre webzine de publier un article ou un éditorial sur ce sujet. Peut-être en existe-t-il un déjà que je n’ai pas vu.

          Au plaisir de peut-être éventuellement lire un de vos éditoriaux à ce sujet.

Cordialement,

Frédéric Michaud
Professeur, département de mathématiques (UQAM)

 

Réponse de Martin Masse:


Bonjour Monsieur Michaud,

          Vous avez raison, nous avons très peu d’articles qui traitent du système judiciaire en rapport avec l’approche libertarienne. C’est un domaine extrêmement complexe. Permettez-moi quelques réflexions.

          Vous dites que l’appareil judiciaire est façonné par l’État et s’exerce à partir des lois et règlements créés par le pouvoir législatif. C’est vrai en partie, notamment parce que l’État n’arrête pas de générer toujours plus de lois et règlements! Mais ce n’est pas une nécessité. Le droit commercial par exemple, s’est développé au Moyen-Âge de façon privée, les ligues de marchands des différentes villes d’Italie et du Nord de l’Europe s’entendant sur des règles communes pour transiger et régler les litiges. Ceux qui refusaient de s’y conformer risquaient d’être exclus de ces cercles commerçants et de perdre des affaires.

          Vous savez aussi sans doute que le droit coutumier (la common law anglaise) n’est pas nécessairement fondé sur des règlements de l’État, mais découle au contraire d’une jurisprudence accumulée au fil des siècles. D’une certaine façon (si je comprends bien), c’est un système judiciaire qui s’est développé en parallèle à l’État, et qui a d’ailleurs parfois servi à restreindre le pouvoir de l’État. Ainsi, le système judiciaire n’est pas nécessairement une émanation de l’État, mais au contraire, il peut se développer sans l’État. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, et le concept tend à être oublié, parce qu’il n’y a probablement plus un seul aspect de la vie humaine qui ne soit pas réglementé en détail sur des centaines de pages de textes de loi.

          Je ne suis donc pas certain qu’il faille intervenir à travers les mécanismes de l’État pour assurer les fondements d’une société libertarienne, comme vous écrivez. C’est comme dire que l’État doit intervenir pour assurer la concurrence, alors qu’en fait les seules entraves à la concurrence qui existent sont celles que met l’État. Pour assurer la concurrence, l’État doit simplement cesser d’intervenir.

          La première chose à faire pour assurer une justice libertarienne serait d’éliminer la presque totalité des lois, qui régissent des aspects de la vie humaine qui n’ont pas besoin d’être régis, et qui créent de faux crimes et de faux conflits. Toute la justice dans un sens libertarien découle de l’axiome de non-agression. Si nous avions un État minimal qui s’occupait simplement de nous protéger contre les agressions internes et externes, et qui ne gardait pour fonction que la sécurité, la défense et la justice, on pourrait imaginer qu’il n’y a qu’une loi fondamentale très simple, qui dit que chacun est propriétaire de son corps et des biens qu’il a acquis légitimement (sans agresser personne), que toute coopération volontaire est permise et que toute forme d’agression est interdite. Évidemment, ceci est sujet à des interprétations très diverses, mais ces interprétations pourraient être dévolues à un système judiciaire autonome, évolutif, comme celui de la common law.

          D’ailleurs, si on va plus loin, on peut imaginer que nous n’avons même pas besoin d’un État pour appliquer cette loi fondamentale. Dans une société sans État, des entreprises privées (probablement liées, selon les théoriciens libertariens qui se sont penchés là-dessus, à des sociétés d’assurances, qui auraient intérêt de par la nature de leurs affaires à développer des mécanismes de protection de leurs clients et de règlement des litiges) pourraient offrir des services de justice. Les individus pourraient s’affilier à l’une ou l’autre de ces entreprises. Les mécanismes de marché (concurrence, entrepreneurship, recherche du profit, etc.) joueraient également ici pour assurer que ce seraient les meilleures entreprises (avec les juges les plus objectifs et qui appliqueraient de la façon la plus cohérente le principe de liberté, propriété individuelle et non-agression) qui attireraient le plus de clients. C’est ce qu’explique notre collaborateur Erwan Quéinnec dans son article « Pour un système de justice privée » (le QL, no 112).

          Parler de concurrence entre des entreprises et des systèmes de justice découplés de l’État peut sembler bizarre, alors que nous sommes habitués à voir un seul système uniforme, avec une Cour suprême au sommet. La réplique habituelle est: Mais qui va avoir la décision finale? Est-ce qu’on ne va pas s’entretuer pour imposer une vision ou l’autre de la justice? Est-ce que la justice ne deviendra pas une notion totalement arbitraire si elle est soumise à la concurrence? Il suffit pourtant de constater que c’est exactement ce qui a cours entre les États: il existe des tas de systèmes judiciaires sur le plan international, et pourtant, malgré les conflits constants entre les États et entre les individus de différents États, on observe de nombreux mécanismes pour régler ces litiges et nous ne sommes pas constamment en guerre. Il n’existe pas non plus de Cour suprême mondiale pour régler en bout de ligne tous les différends (la cour internationale de La Haye ne s’occupe pas de grand-chose).

          Il faut d’ailleurs se demander s’il est prudent de donner tant de pouvoir à quelques hommes et femmes qui peuvent bouleverser la vie sociale avec des jugements qui sont parfois déconnectés de la loi même sur laquelle ils sont censés s’appuyer. Selon la nouvelle orthodoxie exprimée par la Cour suprême par exemple, la Constitution canadienne est un « arbre vivant » (par opposition à un document qui doit être interprété de façon stricte), et on peut donc l’interpréter différemment selon les circonstances, les moeurs, les modes intellectuelles. Bref, cette Constitution est de moins en moins pertinente, et les jugements reflètent surtout l’opinion subjective des juges. C’est ce système qui est totalement arbitraire, et qui menace de plus en plus la liberté (à mesure que l’État grossit et que les lois s’accumulent), pas celui d’une société libertarienne où il y aurait de fortes incitations à s’en tenir à une justice cohérente.

          J’espère que ces quelques commentaires répondent en partie à vos questionnements.

Cordialement,

M. M.

 

Réponse de Erwan Quéinnec:

Bonjour,

          Conformément à l'approche évolutionniste du libertarianisme, on peut envisager nombre de systèmes judiciaires efficaces et réformables (car le principal avantage de la concurrence, c'est la réforme!).

          Le sujet est difficile en effet car, d'une part, il convient de distinguer droit civil et droit pénal. Le droit civil est le droit des gens. L'État, ici, ne peut que jouer le rôle de « ratificateur » de ses prescriptions (c'est d'ailleurs largement ce qu'il fait: le code civil contient nombre de stipulations auxquelles le libertarien n'a rien à opposer). Le contrat est d'ailleurs une norme juridique, théoriquement reconnue comme telle par le droit (français). Et nombre de contrats d'entreprises contiennent des dispositifs particuliers d'arbitrage, une institution très libérale.

          Le droit pénal est le droit de la collectivité. On peut éventuellement s'en passer et c'est, je pense, la posture anarcho-libérale (au motif, exact, que tout préjudice qui n'est pas réductible à une atteinte individuelle n'en est pas un). Mais l'on peut aussi envisager des collectivités fondées sur des bases conventionnelles, contractuelles donc volontaires, comportant des règles fondamentales à observer (constitution). C'est typiquement le cas des associations sans but lucratif (j'incline à penser que l'État devrait prendre une forme associative, permettant de gérer certains services communs, dûment circonscrits). L'essentiel, évidemment, est qu'un sens commun partagé unisse les membres de la communauté. C'est historiquement le cas: toutes les sociétés humaines condament le meurtre et le vol.

          D'autre part, une difficulté doctrinale de la justice libertarienne réside en sa contingence: elle n'est pas codifiable par le menu détail puisque quantité de nouveaux litiges sont susceptibles d'émerger, corrélativement à l'évolution des sociétés humaines. La littérature académique a parfois analysé cette caractéristique de manière pertinente. Par exemple, est-ce qu'en portant une chemise verte, j'agresse celui qui ne supporte pas la vision d'un tel accoutrement? L'exemple peut paraître absurde, il est parfaitement recevable, en principe: il s'agit bien d'un rapport conflictuel interindividuel à réguler selon des voies raisonnables et prévisibles (objet naturel du droit). En toute rigueur, la solution au problème ne peut être que jurisprudentielle et fait appel au bon sens du juge (raison pour laquelle celui ci ne doit pas être statutairement inamovible). La judiciarisation de la société américaine est pleine de cas litigieux qui se posent en ces termes et dont le bon sens est souvent très contestable.

          La solution au problème est certainement d'adopter 1) une conception à la fois minimale du préjudice et maximale de sa réparation (les atteintes physiques et patrimoniales, au premier chef) et 2) de se référer au droit de propriété (si je suis proprio de ma rue, j'ai le droit d'interdire qu'on porte des chemises vertes quand on marche dessus). Mais le principe fondamental de l'organisation de cette justice, c'est la qualité du juge, son adéquation aux attentes sociales, dont les libertariens espèrent et pensent qu'elles seront guidées par la raison; car on trouvera toujours des cas de conflits que les principes fondamentaux ne permettent pas de régler « dogmatiquement », en particulier, tout ce qui ressortit aux conflits de voisinage.

Bien à vous,

E. Q.
 

 

LUTTE OUVRIÈRE ET LE « DEVOIR DE MÉMOIRE »

 

          L'Internet a vraiment du bon. Voici qu'un tract émanant de Lutte ouvrière (usines Citroën La Janais, à Rennes) et totalitairement signé Arlette Laguilier (sic) parvient jusqu'à moi. Il me donne l'occasion de démonter, si cela était encore nécessaire, la dialectique trotskiste telle qu'utilisée par LO (et les autres) pour contaminer à leur profit l'esprit de tous ceux qui acceptent de les suivre et doivent donc être convaincus, pour la pérennité de la Cause (perdue), que la Liberté conduit inéluctablement à cette sorte de solution finale.

          Le titre en est le suivant: Le « devoir de mémoire », c'est se souvenir de tout. Car se remémorer d'Auschwitz-Birkenau et des horreurs nazies qui y furent perpétrées, pour LO, n'exclut sûrement pas de se souvenir que « [...] si le régime nazi s'est effondré en 1945, les Pinochet, les généraux argentins... les Aussaresses et les sinistres méthodes de l'armée des USA en Irak [les grands criminels Trotski et autres peuvent dormir en paix] doivent nous rappeler que la barbarie n'appartient pas qu'à un passé révolu et qu'elle peut se parer d'autres signes que la croix gammée. »

          En tête du tract de LO, figure toujours en bonne place la monstrueuse représentation du communisme symbolisée par la faucille et le marteau; un signe caractéristique des crimes d'État perpétrés dans le monde entier au nom de l'« idéal marxiste » présenté comme émancipateur et que les plus sérieux historiens, dont nul ne saurait contester les conclusions sans perdre l'honneur, chiffrent à plus de 100 millions de morts au XXème siècle et d'autres encore au XXIème là où le communisme n'est toujours pas totalement éradiqué.

          Pour LO, le vrai responsable de toutes ces horreurs nazies n'est explicitement autre que le grand patronat incarné, à l'époque, par les Alliés à l'exception notable, bien entendu, de l'URSS: car « Cette barbarie, c'est le fruit du système capitaliste. Et le risque de la voir ressurgir ne disparaîtra qu'avec celui-ci ». Certes, si le système capitaliste n'est pas parfait, il n'a non plus jamais conduit personne, en tant que tel, à la servitude; mais voler leur liberté aux hommes, fût-ce pour faire leur bonheur malgré eux, n'est autre qu'un crime contre l'humanité, c'est-à-dire le plus grand crime de la terre.

Philippe Robert
France
 

SOMMAIRE NO 151QU'EST-CE QUE LE LIBERTARIANISME?ARCHIVESRECHERCHE LISTE DES COLLABORATEURS

ABONNEZ-VOUS AU QLQUI SOMMES-NOUS? SOUMISSION D'ARTICLES POLITIQUE DE REPRODUCTION ÉCRIVEZ-NOUS