À moins d'être Conrad
Black et d'avoir des centaines de millions à investir dans
une chaîne de journaux, il est impossible d'avoir un tel
impact au moyen d'institutions privées. Conrad Black
a pu changer la tournure des débats au Canada anglais en
achetant la chaîne de quotidiens Southam, en fondant le
National Post et en imposant une ligne éditoriale
correspondant à ses vues (plus libérales sur le plan
économique mais aussi conservatrices sur les questions
sociales et néoconservatrices sur les questions
internationales) à ses nouveaux journaux.
L'arrivée d'Internet a toutefois tout changé. Aujourd'hui,
tous les journaux, tous les magazines du monde sont
disponibles en quelques clics de souris. Avec la
numérisation des bibliothèques qui est en cours, c'est toute
la connaissance de l'humanité qui sera bientôt sur le Web.
En cherchant un peu, on peut rapidement découvrir tous les points de
vue imaginables. On peut se familiariser avec une
philosophie en une fin de semaine.
Les « barrières à
l'entrée » sont de même spectaculairement plus basses pour
ceux qui veulent disséminer leur point de vue. Plus besoin
de capitaux importants, de contacts difficiles à établir, de
réseaux de distributions coûteux à développer. Faire
découvrir de nouvelles idées est maintenant relativement
facile pour les entrepreneurs intellectuels qui s'en donnent
la peine et qui sont capables de s'associer avec d'autres
pour créer un produit de qualité.
Le QL est passé en
sept ans d'un petit site animé par quelques amis à l'un des
plus importants sites indépendants au Québec et dans la
Francophonie(1). Il reçoit plus de 80
000 visiteurs uniques du monde entier chaque mois, compte
des collaborateurs sur trois continents qui écrivent en deux
langues, et son message de mise à jour est envoyé à plus de
1000 abonnés. Le « page ranking » très élevé que lui accorde
Google (à cause du nombre important de liens en provenance
d'autres sites) lui assure une visibilité extraordinaire sur
le Web. Il est pratiquement impossible de faire des recherches sur des questions économiques,
politique ou sociales sur le Web sans tomber régulièrement
sur des articles du QL.
Des gens qui n'auraient
sans doute jamais découvert la philosophie libertarienne
sans le Web peuvent maintenant s'abreuver à cette source et
à bien d'autres. Certains qui étaient en fait des
libertariens sans le savoir s'en rendent compte en nous
lisant. Nous recevons régulièrement des messages qui disent
en gros: « Je suis tellement heureux d'avoir trouvé votre
site et découvert la philosophie libertarienne. Ça fait
longtemps que je pense comme vous, mais je croyais être seul
à avoir ces idées. » La seule existence d'une alternative
qui s'exprime change complètement la situation, en
permettant de mettre en contact des individus jusqu'ici
isolés et sans voix, sans aucune limite géographique.
Maintenant que nous pouvons rivaliser plus directement avec
les doctrines collectivistes et étatistes, en contournant
les médias conventionnels qui parlent encore peu de nous
(mais cela aussi change, les journalistes peuvent de moins
en moins ignorer un courant d'idées qui semble de plus en
plus influent), il y a toutes les raisons de croire que nos
idées vont continuer à se répandre.
D'abord parce que lorsque
les idées libertariennes se retrouvent sur le même pied que
les autres sur le marché des idées, elles ont d'excellentes
chances de s'imposer. Les explications
libertariennes sont conformes à la raison et aux faits,
alors que celles des étatistes sont fondées sur des mythes.
Les illettrés économiques de gauche n'ont par exemple aucune
explication logique des mécanismes économiques. Ils ne
comprennent pas comment la croissance économique se produit,
ne portent aucune attention à des notions telles la
productivité, l'information contenue dans les prix ou les
préférences temporelles, et sont trop obsédés à dénoncer
l'horreur du profit pour en voir l'utilité économique (voir
« À
quoi sert le profit? »).
Tous les modèles de
planifications centralisée et d'interventionnisme étatique
ont échoué. Dans notre société, l'économie privée se porte
bien, alors que tous les secteurs étatisés comme la santé et
l'éducation sont constamment en crise. Il devient de plus en
plus difficile de nier que l'économie de marché est le seul
système possible qui favorise la prospérité. Les gens
intelligents qui sont enfin confrontés aux idées
libertariennes vont s'en rendre compte de plus en plus.
Nous sommes à l'aube
d'une ère de dynamisme économique sans précédent dans
l'histoire de l'humanité avec la mondialisation capitaliste
qui prend de l'ampleur et l'intégration de la Chine et de
l'Inde dans ce grand marché global. Il y a une génération,
l'Asie était encore affligée par les famines. Aujourd'hui,
des centaines de millions d'Asiatiques accèdent à une vie
confortable grâce à l'ouverture des marchés et au retrait
graduel de la planification étatique. Seule
l'Afrique, encore largement à l'écart des réseaux de
l'économie mondiale et dominée par des tyrans liberticides, n'a pas encore compris la recette du
développement.
Parce qu'elles sont
fondées sur des mythes, les idées collectivistes ont
également besoin d'unanimité, de consensus. Toute la logique
collectiviste dépend d'une « conscientisation » des masses,
d'une mobilisation collective en vue d'atteindre des buts
abstraits et inatteignables. Cette mobilisation est très
coûteuse sur le plan humain, difficile à maintenir
longtemps, et il est de toute façon impossible d'atteindre
l'utopie visée. Lorsque ces mouvements réussissent à
atteindre en partie leurs objectifs politiques, il y a
d'ailleurs toujours des effets pervers à l'interventionnisme
étatique, qui font que les structures créées n'atteignent
jamais les objectifs désirés, sont constamment en crise et
sur le bord de la faillite. Il faut soit les renflouer avec
des fonds publics, soit imposer de nouvelles mesures coercitives, au
risque de les voir s'effondrer, comme c'est arrivé à l'URSS
et au bloc communiste. C'est pourquoi les militants
étatistes trouvent constamment des raisons d'être déprimés,
comme on peut le constater en lisant leurs blogs et leurs
magazines.
Au contraire, pour
marquer des points, les libertariens n'ont qu'à expliquer la
logique de l'action humaine dans un contexte de liberté et
de coopération volontaire et montrer à quel point la
civilisation dans laquelle nous vivons s'appuie sur ces
notions et en dépend pour se perpétuer. Aucun besoin d'appel
à l'action collective et à la mobilisation. Un citoyen
ordinaire qui croit à l'idéal libertarien peut faire un tas
de choses utiles tout seul chez lui. Cesser de se laisser
manipuler par la propagande étatiste des politiciens et des
groupes de pression. Rester indifférent lorsque la prochaine
fausse crise nécessitant une intervention urgente de l'État
fera la manchette des journaux. Se désengager de tout
mouvement qui s'appuie sur ces mythes collectivistes.
Refuser de participer à toute action qui vise à augmenter le
pouvoir coercitif de l'État. S'organiser le plus possible
sans faire appel à l'État et toujours recourir à une alternative
privée lorsqu'il y en a une.
Chaque fois que
quelqu'un, dans sa vie quotidienne, se prend ainsi en
charge, se met à l'écart des mouvements collectivistes et,
dans la mesure du possible, hors de portée de la pieuvre
étatique, notre mouvement avance. Chaque fois qu'un individu
de plus exerce sa souveraineté individuelle, l'État et les
mouvements collectivistes reculent. Toutes ces petites
actions ont l'effet d'un acide qui dissout les pseudo
consensus et la fausse unanimité sur lesquels comptent nos
adversaires pour faire avancer la tyrannie. L'utopie
(généralement sanglante lorsqu'elle est poussée à l'extrême)
des collectivistes ne peut se maintenir sans un appui
enthousiaste d'une proportion significative de la
population. Simplement en leur refusant cet appui, nous leur
mettons des bâtons dans les roues. Et grâce à Internet, nous
sommes de plus en plus nombreux à le faire consciemment et
délibérément.
Ce n'est sans doute pas demain que nous pourrons vivre dans
une société véritablement libérée des diktats des
apparatchiks qui cherchent par tous les moyens à contrôler
notre travail, notre éducation, notre santé, notre culture,
notre alimentation, et pratiquement tous les autres aspects
de nos vies. Les États n'ont pas cessé de grossir au 20e
siècle, et ce n'est que très récemment que cette croissance
a ralenti. Mais il y a tout lieu d'être optimiste pour le
21e siècle. Pour employer un jargon marxiste, les
« conditions objectives » sont là pour que nous assistions à
une renaissance et à une radicalisation de la grande
tradition libérale qui a permis l'émergence de la
civilisation.
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