On trouve d'autres exemples dans la gestion des régimes de
retraite, et plus généralement des risques dans le marché boursier.
Bien que certains aiment prétendre que ce marché reflète assez bien la
valeur réelle des titres, il n'est pas rare de voir des titres à un coût
déconnecté de leur valeur réelle. Pour se prémunir contre cette réalité
–
qui en passant est très bien modélisée par des méthodes tirées de la
mathématique du chaos –, une diversification des titres par type, secteur
et région du monde permet de réduire sensiblement les problèmes liés à
cette fluctuation plus ou moins aléatoire.
On sait que les fonds de pension et les compagnies d'assurance sont
tenus par la loi de respecter un cadre très rigide, qui astreint les
dirigeants à réduire les risques de pertes de capital. Cependant, cela
se fait généralement au détriment du rendement et de ceux qui y
cotisent. Cela a une influence sur plusieurs choses, notamment le coût
de ces assurances mais aussi le coût du travail pour les fonds de
pension. Cela se reflète ultimement sur la valeur des soumissions que
les entreprises envoient pour obtenir des contrats, et donc sur le
niveau d'embauche, sur la capacité des entreprises à lever des fonds
mais aussi sur le niveau d'imposition des contribuables. Ne serait-il
pas envisageable d'avoir différents niveaux de risque pour ces produits financiers, et que les gens qui sont partie prenante de
ces gigantesques transactions négocient entre eux le niveau de risque
qu'ils considèrent
acceptable? Sûrement. L'État, en voulant sans doute bien faire, réduit
la capacité d'enrichissement de la population et prive les citoyens de
la capacité d'innover afin de réduire certains risques.
On peut aussi citer le cas de la gestion de l'utilisation des fonds par
les gouvernements, que ce soit à l'interne ou ceux redistribués aux citoyens
sous une forme ou une autre. Afin de se prémunir contre les fraudes et
pertes, les gouvernements n'hésitent pas à dépenser plusieurs fois la
valeur potentielle de perte de toutes sortes en contrôles – ce qui en
fait est se
voler soi-même, à mon avis – en plus de largement demeurer tributaires de
l'honnêteté et de l'empressement des citoyens et fonctionnaires à
fournir tous les renseignements nécessaires.
À la fin de l'année dernière, la Commission d'étude sur la
gestion de la forêt publique québécoise
a remis son rapport
qui faisait suite à quelques années de polémiques suscitées d'abord par
un film du chanteur/poète Richard Desjardins, L'erreur boréale, qui
dénonçait notamment le niveau trop élevé de coupe de bois sur les terres
publiques par rapport à leur niveau de régénération.
Résultat: une série
importante de lois et réglementations viendra encadrer un peu plus
l'utilisation de la forêt au Québec. Bien sûr, de nouveaux
fonctionnaires seront ajoutés à la myriade actuelle et la loi fera en
sorte que tout un chacun pourra se mettre le nez dans la gestion
forestière – du ti-jos-connaissant en passant par la commère du centre-ville
n'ayant jamais vu de près plus de trois arbres un à côté de l'autre! Et
comme toutes les opinions et intérêts partiront dans toutes les
directions – ce sera encore et toujours à nos omniprésents pots de colle
de ministres et députés à trancher le noeud gordien, avec le
risque de les voir sous-estimer ou surestimer la capacité forestière
pour une raison ou pour une autre.
Or, comme l'ont déjà dit certains de mes collègues du QL, seule
la propriété privée peut garantir à long terme la régénération des forêts. Ne
pas procéder à cette privatisation conduira, comme dans les ex-pays de
l'Est, à une dilapidation de « notre » forêt. Ne serait-ce que pour
cela, ce rapport doit être mis sur les tablettes.
Un autre exemple est donné dans le domaine du transport du
pétrole. Après plusieurs années de pression, les
environnementalistes ont obtenu des gouvernements l'imposition prochaine
des doubles coques sur les navires citernes. Or, les spécialistes
demeurent perplexes, parce que le nouveau système est au moins aussi
dangereux que sans double coque. Pourquoi? Parce que la double coque est
très difficile à inspecter, ce qui augmente le risque de voir se
développer entre les deux une corrosion importante sans qu'il soit
possible de la mesurer. De plus, pour des raisons assez techniques, le
taux de corrosion, soit la vitesse à laquelle la corrosion s'attaque aux
tôles, sera probablement beaucoup plus élevé entre les deux coques que
lorsqu'il n'y en avait qu'une seule, ce qui augmente le risque de voir
le navire se briser en plusieurs morceaux(4), scénario que n'empêcheront
pas les deux coques.
Un autre sujet de
polémique touche l'utilisation de pesticides et d'engrais «
chimiques » dans l'agriculture. Les opposants y voient une
forme particulièrement agressive de produits cancérigènes –
ce qui est partiellement vrai –, mais oublient commodément
de dire que sans ces produits, les terres ne produiraient pas
suffisamment pour nourrir les 6,4 milliards d'habitants de
la planète, entraînant ainsi la mort par famine de bon
nombre d'individus, surtout dans le Tiers-Monde. Ils
passent aussi sous silence le fait que des parasites, du genre de ceux qui
donnent la malaria, sont très bien contrôlés par les
pesticides, réduisant sensiblement le nombre de gens
affectés voire tués par ces maladies (malaria: un million de
décès chaque année). Le retrait du DDT dans les années 1970,
dans le but de réduire le
risque de cancers, a paradoxalement fait augmenter
sensiblement le nombre de décès par parasitoses – à se
demander si les gens de Greenpeace ne seraient pas plus
dangereux que les produits contre lesquels ils se battent...
Les doses maximales
recommandées d'absorption de produits chimiques sont
généralement fixées, pour des considérations diverses
incluant la prudence, à des taux mille fois inférieurs à
ceux pour lesquels on peut être sûrs à 90% qu'ils entraînent
l'apparition de cancers et d'autres problèmes de santé chez des
animaux sur des périodes allant jusqu'à deux ans.
Cependant, il est vrai qu'ils ne garantissent pas totalement
contre des affections plus rares que disons 0,1%, parce que
les cohortes expérimentales ne sont pratiquement jamais
assez nombreuses pour cela. Ni contre les effets de prises
régulières et/ou massives sur le long terme – le retrait et
les mises en garde de décembre 2004 sur les
anti-inflammatoires concernant les possibles problèmes
cardiaques en sont un bon exemple, de même que les problèmes
de défiguration des patients sidéens traités par la
trithérapie. C'est ici qu'apparaît toute la sournoiserie du
principe de précaution: en refusant d'aller de l'avant
par prudence, ses partisans refusent aussi le potentiel
positif des découvertes, qui est généralement globalement un
gain pour la société.
Ce que les gens oublient souvent, c'est que les catastrophes naturelles sont celles qui tuent le plus de monde. Au moment où j'écris ces
lignes, le bilan du tsunami du 26 décembre 2004 en Asie du Sud-Est est
d'environ 300 000 morts. Le tremblement de terre de Bam, en Iran, un an
plus tôt, jour pour jour, a fait 26 000 morts et trois fois plus
de sans abris. Les exemples sont nombreux dans l'histoire de ce type de
catastrophes, auxquelles on peut bien sûr ajouter les épidémies
diverses. Ici, la possibilité de contrôle par les gouvernements est très
mince. Mais cela ne les empêche pas d'essayer, de différentes manières.
Les catastrophes
naturelles sont à toute fin pratique imprévisibles. Dans le
cas des épidémies, au-delà de la vaccination et des mesures
d'hygiène assez strictes – même s'il est toujours aléatoire de prédire le
taux de réponse dans la population, étant donné qu'il dépend
essentiellement de la bonne volonté de chacun –, il n'y a rien à faire.
Les possibilités de contamination sont extrêmement nombreuses, comme les
possibilités d'erreurs lors de la mise en place de protocoles de
protection contre la propagation des virus et bactéries.
Comme on a pu le voir dans ces quelques exemples, la gestion des risques
n'est pas un domaine facile. Il faut se garder des évidences et arrêter
de penser que le risque peut être réduit à zéro. C'est seulement à
partir de ce point que l'on peut d'ailleurs parler de gestion des
risques.
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